Revoir Comanche – Prix Rossel 2024

Revoir Comanche – Prix Rossel 2024

Tout le monde a déjà parlé de ce livre, je le sais bien… Et, en outre, vous savez le peu d’importance que j’attache aux récompenses de toutes sortes. Mais ici, avec cet album, les jurés du prix Rossel ne se sont pas trompés : attention, chef d’œuvre du neuvième art !

copyright le lombard

Depuis les débuts de Romain Renard, j’ai eu à cœur de souligner ses immenses qualités… Depuis toujours, je n’ai jamais caché la passion que j’avais et que j’ai toujours pour un autre dessinateur, Hermann… Et ici, dans un chef d’œuvre total, ces deux univers se mélangent… Je ne peux donc qu’en dire tout le bien que j’en pense !

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Même si, sur le site du Lombard, on parle d’un western, tout comme on parle aussi d’un roman graphique, avec cet album exceptionnel, véritablement exceptionnel, on se trouve dans un autre univers. L’univers d’un auteur complet, d’un scénariste, d’un dessinateur, d’un musicien, d’un artiste n’ayant pas peur de montrer ses admirations. On se trouve en présence d’un album de bd, simplement, dans lequel le thème du western n’est, finalement, qu’un simple rapport avec le passé. La thématique de ce livre est universelle, elle parle de la fuite du temps, de la mort inexorable, de l’amour, de la haine, de la mémoire et de ses fidélités. Ce livre nous parle de nos propres angoisses à toutes et à tous.

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Remettons le récit que nous offre Roman Renard dans son contexte… « Comanche », c’est une série western qui a vu le jour dans les années 70, sous la plume de Greg et le pinceau d’Hermann. Une série western qui s’éloignait de tout ce qui, dans ce domaine, existait déjà, de Blueberry à Jerry Spring. Pendant plus de 20 albums, si ma mémoire ne me trahit pas, on a pu suivre un vrai récit adulte, dans un ranch tenu par une femme, la belle Comanche, un récit d’aventures, bien évidemment, mais aussi un récit qui abordait de front le thème du racisme. Une bande dessinée qui mettait en avant quatre personnages dont on n’imaginait pas, jusque-là, qu’ils puissent être les héros d’une série à succès : une femme, un cow-boy iconique, un Noir, un Indien…

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Et dans cet album, on retrouve Red Dust, le cow-boy créé par Hermann, des années plus tard, en un début de vingtième siècle dans lequel il se sent ne plus exister. Un homme âgé qui, ours tapi dans sa tanière, attend la mort… Un homme qui a changé de nom, aussi, comme s’il avait voulu tout effacer de son passé… Un homme dont l’existence, il le sait, n’a rien eu d’héroïque et ne mérite pas que quiconque puisse s’y intéresser.

Et voici qu’arrive une jeune femme enceinte, Vivienne, une bibliothécaire qui fait un travail sur la réalité au-delà des légendes, du « far-west ». Et elle annonce à Red Dust que, dans ses recherches, elle avait voulu retrouver les membres de ce ranch oublié, le Triple Six, mais que Comanche, sa belle propriétaire, ne répondait à aucun message.

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Red Dust, aux profondeurs de sa vieillesse, n’a jamais oublié cette époque lointaine de son existence… Il ne la magnifie pas, loin s’en faut, mais il ne la renie nullement… Et ce qu’il ne renie pas non plus, c’est le mot « fidélité », surtout à l’égard de Comanche, cette femme qu’il a fuie, pour ne pas, sans doute, lui avouer son amour… Et cet homme bourru, carré, aux cheveux blancs, à la moustache presque conquérante, va accompagner cette jeune femme inconnue jusqu’au ranch de sa jeunesse, traversant plusieurs états, ne reconnaissant rien, sauf les paysages peut-être, de ses vingt ans… Et même s’il est en route vers cette jeunesse qui fut sienne, il est surtout en quête de lui-même… Comme s’il avait besoin, hanté par des fantômes, de conclure sa vie par des retrouvailles avec ce qu’elle aurait pu être…

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Il y a dans ce livre bien des chemins ouverts par Romain Renard. Un auteur qui crée une bande-son pour ce qui est une longue balade dans un monde qui se meurt, avec des « héros » qui n’y sont déjà presque plus vivants. Une musique profonde… De cette country ayant un jour ouvert ses rythmes à la révolte… Dylan, Pete Seeger, Cohen, et bien d’autres, choisis par Romain Renard ou par nos souvenances musicales de lecteurs, accompagnent ainsi la longue marche de Red Dust vers son ultime destin.

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Le dessin de Romain Renard devient ainsi une partition qui mêle l’image, le son, le rêve, la réalité, l’espérance et le désespoir. L’amour et la mort, également, et l’amitié et la haine, toutes des réalités qui dépassent le temps de vivre…

C’est un livre envoûtant… C’est un livre qui, graphiquement, atteint des niveaux de narration et de beauté jamais égalés jusqu’ici. C’est un livre dans lequel souffle le vent du désert, dans lequel, sans avoir l’air d’y toucher, son auteur touche à l’infini, à l’éternité, à la nécessité d’ouvrir les yeux… C’est un livre qui, au travers de petites touches, de petits récits vécus le long de la route, dessine en effet les pourtours d’une société malade, déjà, d’elle-même…

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Et puis, et j’allais dire surtout, c’est un livre qui, à sa façon, rend hommage à l’immense Hermann, lui qui a hissé la bande dessinée réaliste en des sommets de qualité que d’aucuns, de nos jours, osent critiquer… Hermann est présent partout dans cet album. Parce que Red Dust, sans doute, lui ressemble, physiquement sans doute, mais moralement aussi… Red Dust, qui donne à un bébé le nom de son père, qu’il semble à peine murmurer : Hermann… Comme pour nous dire, les yeux dans les yeux, que rien jamais ne se termine, et que la mémoire, bien plus qu’un hommage, est ce qui sous-tend cet album de bande dessinée qu’il ne faut, à aucun prix, rater !

Jacques et Josiane Schraûwen

Revoir Comanche (auteur : Romain Renard – éditeur : Le Lombard – octobre 2024 – 150 pages)

Law Men Of The West – un western « choral »

Law Men Of The West – un western « choral »

En littérature comme au cinéma, et en bd évidemment, le genre « western » réoccupe régulièrement le haut du pavé… Et cet album-ci le fait avec un vrai mélange de talents !

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Ce genre plaît et plaira toujours, incontestablement. Sans doute parce qu’il est capable de conjuguer tous les possibles de la narration : l’Histoire, la romance, l’aventure, la violence, le huis-clos, le drame, la tragédie, l’enquête, la quête, le portrait…

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Je parlais d’un western choral, et c’est bien le cas, puisque, aux commandes du scénario, on retrouve un seul auteur, Tiburce Oger… Mais un scénariste bien entouré par quatorze dessinateurs complices, pour quatorze récits courts qui nous emmènent à la rencontre de quatorze hommes de loi, marshals, shérifs, juges…

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Et à travers ces quatorze nouvelles dessinées, toutes mettant en scène des personnages réels, des situations historiques avérées, les dessinateurs forment une sorte de fresque racontant, à hauteur de quotidien bien plus que de légende, l’histoire de cet ouest américain qui a fait autant rêver que pleurer. Quatorze dessinateurs, cela fait quatorze styles graphiques différents… Et, par la grâce de quatorze scénarios mis bout à bout, mais unis par un fil conducteur efficace, tout cela forme un ensemble cohérent…

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Ce fil conducteur, cet axe scénaristique qui permet le lien entre tous les « chapitres », c’est un cahier découvert, par deux truands, dans les poches d’un écrivain qu’ils viennent d’assassiner. Nous sommes, à ce moment-là, au début du vingtième siècle… Mais ce carnet, lui, se remplit de 14 portraits, et nous conduit ainsi de 1813 à 1924 : un siècle d’hommes de loi dans un pays soumis aux aléas de la haine, du pouvoir, du racisme…

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Je répète qu’il ne s’agit nullement de belles légendes héroïques illustrées dans ce livre ! C’est un quotidien violent, sanglant, toujours injuste que Oger nous raconte et que dessinent ses complices… Un monde dans lequel la mort est et reste la seule loi, au nom de codes, de justices sans cesse changeantes, d’aléas de l’Histoire… Et bien des réalités de ce siècle enfui sont encore, de nos jours, d’actualité… La guerre de sécession servant de toile de fond à plusieurs récits de cet album n’est, finalement, pas tellement différente des guerres que nos médias nous montrent de nos jours, avec leurs « bons » et leurs « méchants » !

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Il en va de même avec le racisme, et je tiens à souligner un des chapitres de ce livre, dessiné par Dimitri Armand, qui aborde cette thématique avec une vraie pudeur loin de toute idéologie inutile. En fait, tous les dessinateurs présents de ce bouquin se sont adaptés merveilleusement au scénario de TIburce Oger, tout en restant eux-mêmes, et c’est ce qui en fait, également, la qualité!

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Et tous méritent qu’on souligne leur travail. Astier dont le style classique et posé est bien choisi… Bertail, avec quelques envolées graphiques somptueuses… Meyer, créateur d’ambiances parfait… Milano, influencé par Giraud… Corentin Rouge, Jex, etc.

Un très bon livre, qui nous montre et nous raconte la part du diable et du mal en chaque individu…

Jacques et Josiane Schraûwen

Law Men Of The West (scénario : Tiburce Oger – dessin : 14 auteurs – éditeur : Grandangle – novembre 2024 – 120 pages)

Christian Godard a rejoint Jérôme, très loin, très loin d’ici…

Christian Godard a rejoint Jérôme, très loin, très loin d’ici…

Je suis amoureux de la bd, depuis toujours me semble-t-il, et quelques séries de mon enfance et de ma jeunesse m’ont marqué à tout jamais. Martin Milan en fait intimement partie…

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Certains sont des enfants de la télé, moi je suis enfant des livres… Un peu de Bob Morane, beaucoup de la collection Signe de Piste, de Pierre Pelot. Et puis, depuis mes premières années, enfant de la bande dessinée!

A 19 ans, devenu Akéla à la 31ème A, il m’est venu une étrange idée : organiser des camps, totalement, de jeu en jeu, de veillée en veillée, autour d’une bd… C’est ainsi que, novateur je pense, deux camps se sont suivis qui m’ont laissé des souvenirs profonds, et qui, je l’espère, ont fait de même avec les mômes dont je m’occupais (avec un staff d’amis, bien sûr…). Un camp tout autour de Chevalier Ardent, de François Craenhals, et un autre autour du personnage de Martin Milan.

A l’époque, pas de sms, pas d’internet, mais le téléphone, le courrier, le vrai… C’est de cette manière que j’avais contacté Godard, lui demandant si, par hasard, il aurait des posters, que sais-je encore, pour accompagner ces dix jours de camp.

Et j’ai reçu bien des choses, des « bleus », des affiches, des petits posters, que sais-je encore… Et une bd dédicacée pour chaque louveteau !

Je vous parle d’un temps sans polémique, un temps éclairé par la simple gentillesse d’auteurs qui, peu à peu, marquaient de leur empreinte la grande Histoire du neuvième art.

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Parce que Christian Godard, c’est bien cela : un artiste qui a changé les horizons de la bande dessinée avec des personnages dont on peut dire, sans se tromper, qu’ils furent et restent de superbes anti-héros : Martin Milan, Norbert et Kari… Des anti-héros, oui, qui regardaient le monde qui les entoure avec désillusion, avec humour, avec tendresse, avec colère… Et avec une infinie poésie !

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Quand je dis que Godard a participé pleinement à l’évolution de la bd, c’est une vérité évidente quand on regarde, même de loin, tout ce qu’il y a réalisé, créé…

Ses débuts datent de l’année 1954… Année de ma naissance, hasard du temps qui fuit…

Ses débuts l’ont vu se balader dans pratiquement tous les périodiques pour jeunesse qui existaient, et ils étaient nombreux… « Fillette », Francs-jeux », « Lisette », « Coq Hardi », que sais-je encore, ont ainsi accueilli ses premières bandes dessinées, dans lesquelles l’humour était totalement présent. L’humour et l’aventure, déjà un peu décalée…

Il a par exemple pris la suite de Will pour une série qui paraissait dans Paris Flirt, « Lili Mannequin ». Et qui était, excusez du peu, scénarisée par Goscinny.

Goscinny, ainsi, qui fut le premier, sans doute, à permettre à Godard de quitter quelque peu le carcan bien-pensant des petits mickeys… Il y eut d’autres compagnons de route, Charlier entre autres, et, graphiquement, une influence qui a vite évolué, celle de Greg, d’Uderzo…

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Et puis, il y a eu Vaillant, Pilote, Tintin, Spirou, en une époque où Godard s’est lancé dans une carrière multiforme : dessinateur, scénariste, auteur de théâtre, et même d’une petite comédie musicale, complice aussi de quelques auteurs bienheureux de profiter de ses talents, de son imagination, de la force tranquille et toujours quelque peu provocatrice, de ses histoires. Il y a même eu un roman policier passionnant… Un seul, malheureusement…

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Je ne vais pas essayer de vous faire ici la liste exhaustive des albums dans lesquelles son nom est mis en évidence… Ce serait impossible, tant Godard s’est amusé à toucher à tous les styles, avec, presque à chaque fois, une vraie réussite… En voici quelques exemples…

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Norbert et Kari dès 1963… Martin Milan, dès 1967…

Et comme scénariste : « La jungle en folie », dès 1973, avec Mic Delinx au dessin, « Le vagabond des limbes », à partir de 1975, une série avec Ribera comme dessinateur, une série qui, je l’ai toujours pensé, faisait face à Valérian, et remportait la confrontation haut la main ! Cette série SF était, elle, originale, endiablée, brisant les stéréotypes du genre, plus influencée par les thématiques de Bradbury que par celles des codes américanisés de ce style littéraire…  

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Godard était touche-à-tout, oui, puisqu’on l’a vu, toujours comme scénariste, nous raconter les histoires de « Toupet », de « Modeste et Pompon », de « Indésirable Désiré »… Ou, dans un univers bien plus sombre, travailler avec Clavé sur « La bande à Bonnot » entre autres…

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Christian Godard, malgré cette carrière exceptionnelle, tant par son ampleur que par sa qualité jamais trahie, a eu, certes, quelques prix… Mais ne se trouve pas, dans les œuvres « sérieuses » qui parlent de bd, à sa place : celle d’un créateur qui a aimé le neuvième art, qui en a fait, en étant volontairement populaire, un regard aiguisé posé sur la société qui est la nôtre…

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Merci, monsieur Godard, de m’avoir permis de grandir avec vous, de croiser vos pas…

Et que vous saluent, de l’autre côté de mes lectures, tous ces personnages que vous avez créés et qui, chacun à sa manière, vous ressemblent un peu !…

Jacques et Josiane Schraûwen

Et vous pouvez écouter Christian Godard dans cette ancienne chronique…