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Blateman & Bobine – Bd délirante pour adolescents amusés

De la bd pour adolescents, oui, avec deux tomes parus d’une série consacrée à un super héros plutôt proche de la super-nullité!

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Sa tenue, déjà : celle d’un cafard ! D’où son nom : Blateman. Heureusement que son assistant, Bobine, lui, est futé, débrouillard ! Ce jeune garçon est là, en fait, pour apprendre à devenir à son tour super-héros ! Avec Blateman en guise de maître de stage, cela n’est pas évident ! Deux albums sont déjà sortis. Le premier, Zombie-Attack, nous conduit dans un village au nom de « Loindetout ». Un village que des zombies, entre autres, hantent… Et que Blateman et Bobine vont, bien évidemment vaincre…

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Le deuxième tome s’intitule Gouda City. On y parle de disparitions qui sèment la terreur… et Blateman et Bobine vont avoir fort à faire pour démanteler un réseau criminel dirigé en partie par un certain Ronald Dump… Vous l’aurez compris, on se trouve ici en présence d’une série bd sans prise de tête… Un dessin extrêmement simplifié, mais plein de mouvements, des couleurs flashy, un découpage délirant, des jeux de mots en veux-tu en voilà…

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De la bd de divertissement pur pour des adolescents d’aujourd’hui… Avec, comme dessinateur, Vhenin, qui fit, si je ne m’abuse, en son temps, ses classes dans l’équipe de Jacques Martin… Ici, son graphisme s’éloigne totalement de l’univers de Martin… Et, ma foi, cela fonctionne bien, au premier degré…

Jacques et Josiane Schraûwen

Blateman et Bobine, deux volumes… Vhenin au dessin, Tarek au scénario, et c’est paru chez l’éditeur aba-academy… 2025

L’image et la place de la femme dans la bande dessinée – texte de ma causerie devant des élèves attentifs…

L’image et la place de la femme dans la bande dessinée – texte de ma causerie devant des élèves attentifs…

Quand on m’a proposé de vous parler de L’image et de la place de la femme dans la bande dessinée, j’ai bien compris qu’il serait impossible d’en faire une analyse exhaustive, tant il est vrai que, comme dans tout art graphique, la femme, donc la féminité, ont une présence importante… Une présence, dans l’édition bd, qui ne s’est affirmée qu’il y a peu, tout compte fait…

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L’intervention que je vais faire à ce sujet sera bien plus un panorama très subjectif d’une partie de l’histoire de la bd… Un travail passionnant, parce que, en le faisant, je me vois dans l’obligation, en quelque sorte, de porter un regard précis, sans jugement de valeur, sur une des réalités du neuvième art… Le résultat, ce sera à vous d’en juger… Les arts ont toujours été à l’image de leur époque, qu’ils soient convenus ou révoltés… Les arts picturaux, au sens large du terme, et pendant très longtemps, en Europe du moins, ont usé de l’alibi religieux ou mythologique pour peindre la femme : La Vénus de Botticelli, par exemple, ou une vierge Marie du Caravage pour laquelle il avait pris comme modèle une péripatéticienne, ce qui a entraîné pour lui bien des déboires. Cela dit, les révoltes, ou révolutions culturelles, sont toujours devenues, après quelques années, convenues à leur tour. Le romantisme, par exemple, le surréalisme plus tard… Il en va de même pour la musique, la littérature… Les modes vont et viennent, et les arts, consciemment le plus souvent, suivent leur rythme.

Botticelli Sandro (1444/1445-1510). Italie, Florence, Galerie des Offices. INV1890-878,0105299.

Parler de la place de la femme en bande dessinée sans remettre en perspective l’Histoire de la place de la femme dans la société, ce serait aussi stupide que de vouloir tailler un arbre avec une paire de ciseaux ! L’art, et la bande dessinée en est un, mérite qu’on ne le sacralise pas au nom d’idéologies dont on sait qu’elles sont, toutes, de toute façon, condamnées à mourir un jour, à laisser la place à d’autres idées, d’autres idéologies, d’autres « modes ». Lorsque l’homme s’est fait humain, se mettant debout, il a simplement continué à utiliser les nécessités et les codes du monde animal… Parmi ceux-ci, le principal étant la procréation, pour que ne s’éteigne pas l’espèce… La femme, dès lors, se devait d’être quelque peu protégée, elle qui était « la » procréatrice, donc la garante d’une continuation de cette espèce humaine en train de prendre le pouvoir sur la Terre. Ce rôle de la femme, au fil des millénaires, s’est affiné, mais il est resté essentiellement dans la ligne de ses origines. Un rôle effacé derrière celui de l’homme… Même si, de ci de là, des réalités matriarcales ont existé, l’essentiel de ce qu’on appelle la civilisation s’est créé au travers d’un pouvoir pratiquement exclusivement masculin. Avec, comme dans toute règle, des exceptions notables…

La grande Catherine de Russie, Aliénor d’Aquitaine, Victoria d’Angleterre… Mais, dans le « peuple », il a fallu attendre bien longtemps avant que la femme ne revendique sa place dans le monde, dans la société, dans les méandres de tous les pouvoirs, de tous les possibles.

colette

Et le vingtième siècle s’est ainsi fait, progressivement, féminin aussi, grâce à un féminisme porté par des artistes, par des scientifiques, par Marie Curie, par les suffragettes et leurs combats pour pouvoir avoir le droit de vote, par l’écrivaine Colette, par la peintre Léonor Fini, par des artistes et avocates qui ont obtenu la légalisation de l’ivg, entre autres.

tableau de Léonor Fini

Et la bande dessinée étant un art qui a pris son essor, ses essors pluriels même, au sein de ce vingtième siècle, il est évident qu’il s’est fait témoin et partenaire de cette « féminitude ». Se demander ce qu’est l’image de la femme dans la bande dessinée, c’est aussi réfléchir à sa place, de manière plus générale, dans le neuvième art. C’est donc suivre, au travers d’un art de divertissement pur d’abord, la manière dont ce rôle sociétal s’est exprimé, s’est dessiné, dans un média qui, ne l’oublions jamais, a d’abord été destiné aux enfants ! Ce que je vais faire aujourd’hui, c’est, en amateur, et dans le sens premier du terme, quelque peu dresser, de manière subjective, un portrait de ces femmes de papier qui, parfois images désuètes d’un monde précis, parfois revendicatrices d’un monde en devenir, ont permis de faire petit à petit de la bande dessinée un art à part entière, dans lequel la liberté d’être et de s’exprimer, tout comme celle du choix de vie, a occupé une place centrale, et devrait continuer à le faire ! D’autre part, je vais épingler avec vous quelques autrices qui ont marqué l’histoire et l’évolution de la bande dessinée, qui la marquent encore, et ce au travers de thématiques de plus en plus ancrées dans la réalité quotidienne. Images de papier ou autrices de plus en plus engagées, les femmes, sous bien des formes, occupent une place essentielle, désormais, enfin, dans le monde de la bd ! Je l’ai dit, la bande dessinée a d’abord été un outil de délassement pour les enfants. Pour les garçons, essentiellement, en des époques où la petite fille était reléguée à des lectures encore plus sages… Encore plus formatées… Genrées, comme on dit aujourd’hui. Et la représentation féminine, dans ces bd pour jeunes garçons, était soit inexistante, soit caricaturale. Inexistante, comme dans Tintin, héros de papier pour lequel il a fallu bien des albums avant que des femmes apparaissent à ses côtés ! Caricaturale, comme dans Popeye, créé en 1929, et son amoureuse Olive…

popeye et olive

Tout comme dans les créations de Walt Disney, évidemment, avec Minnie et Daisy, quittant le monde de l’animation pour devenir personnages de bd en janvier 1930.

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Du côté des Etats Unis toujours, sans caricature graphique cette fois, mais très typée dans son caractère, on peut souligner la présence de Loïs Lane aux côtés de Superman. Une femme active, certes, mais se caractérisant surtout par son amour, ses sentiments, bien plus que par son sens de l’action…

Loïs Lane

Du côté européen, c’est en 1939, dans le sceptre d’Ottokar, que la Castafiore est apparue aux côtés de Tintin reporter… Plus qu’une simple caricature, cette chanteuse classique, cette diva fut inspirée par quelqu’un de réel, la femme d’un collaborateur d’Hergé… Qui ne connaît pas cette femme opulente donnant des boutons même au capitaine Haddock ?… Qui ne connaît pas non plus Sidonie, la tante de Bob et Bobette, une femme longiligne apparue dès les premières aventures de ces héros venus de Flandre et qui ont, pendant un certain temps, trouvé place dans le magazine Tintin.

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La bande dessinée, voyez-vous, ne cherchait pas du tout, en ces époques lointaines, à faire dans la dentelle, comme on dit… Les personnages étaient faits d’une pièce, avaient un rôle à jouer, celui d’amuser les lecteurs… La mise en scène d’une famille aventurière dans la série Jo et Zette d’Hergé nous montre une épouse mère de famille participant à l’action, mais restant femme de tradition, une épouse, oui, avant que d’être femme…

les pieds nickelés

Et il en va de même dans toutes les productions humoristiques de l’époque, que ce soit aux Etats-Unis avec les garnements de Dirks (Pim Pam Poum), ou en Europe, avec, par exemple, Les Pieds nickelés. Il en est de même avec celle qui fut, sans doute, la première héroïne à part entière dans une série bd, Bécassine…

bécassine

Une héroïne, excusez du peu, parue des l’année 1905 dans un magazine pour petites filles bien sages et bien gentilles, La semaine de Suzette.

la semaine de suzette

Dans les années qui ont suivi, jusqu’aux années 60 en fait, on peut dire que la femme dans la bande dessinée était quelque peu asexuée, même lorsque, graphiquement, elle avait, avec Milton Canif, entre autres, les apparences des vamps en mode sur grand écran. Elle était là, en quelque sorte, pour montrer que la vie n’était pas faite que d’aventures, mais aussi de sentiments, de sentiment maternel et de sentiment amoureux bien entendu ! Ou de sentiments très ambigus, aussi, avec quelques « méchantes », comme Lady X, dans la série très militariste de Buck Danny, dessinée par Victor Hubinon.

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Mais ce qui prévalait, sans aucun doute, c’était l’image bien proprette d’une famille unie… A ce titre, une des séries les plus représentatives peut-être, c’est Boule et Bill…

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Tout cela donne l’image d’un art, le neuvième qui, en un siècle, a bien évolué, techniquement parlant, mais est resté coincé dans une image de la vie qui n’existait plus vraiment, qui s’étiolait au fil des années sans que les auteurs ni les éditeurs ne s’en rendent compte. Les revues, pourtant, commençaient à s’essouffler… Et, parmi ces magazines, ce sont peut-être bien les revues dites pour « filles » qui, les premières, ont vu qu’une époque était en train de se terminer. Leur parution a encore survécu quelque temps, les éditeurs se sont efforcés de présenter plus de personnages féminins, comme « les jumelles » dessinées par Janine Lay.

les jumelles

Mais, irrémédiablement, comme allait le chanter Dylan, le monde et les temps changeaient… Plus de mièvreries souriantes et morales…

belle du ballet

Plus de revues et magazines qui, malgré des efforts louables, ne collaient plus à la réalité de jeunes filles ancrées, de plus en plus, dans une réalité active et intellectuelle. Les filles comme les garçons allaient à l’école, pour des cours identiques ! La mixité scolaire n’allait, en Belgique du moins, pas arriver avant la fin des années 70… Mais la jeunesse, elle, lentement mais sûrement, commençait à ressentir les premiers frissons d’une révolte essentielle…

lisette magazine

Des revues comme Tintin et Spirou, dès lors, commencèrent à changer de ton… Des héros nouveaux apparurent qui corrigeaient à leur manière les codes bien établis d’une bande dessinée qu’on n’appelait pas encore art. Ce fut « Line », héroïne encore classique dessinée par Cuvelier, mais dans laquelle toute une génération de jeunes filles s’est reconnue.

copyright cuvelier

Ce fut aussi Natacha qui fit, elle, rêver des générations de garçons… Et de filles rêvant autant d’aventures que d’amour… Une héroïne sexy, mais se conduisant dans la vie sans complexe et affirmant sa force et son intelligence, avec humour, face à des hommes qui n’en menaient jamais très large…

copyright dupuis

Il y a eu aussi, ne l’oublions pas, Yoko Tsuno, de Roger Leloup, une héroïne scientifique, qui, à sa manière, prenait la suite de Sophie, dessinée par Jidéhem.

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Pour bien comprendre la rupture avec le passé qu’ont représentée ces différentes bandes dessinées, il faut savoir qu’il existait, en France, depuis 1949, une loi visant à réguler la diffusion de la presse jeunesse… Et que, dans la manière d’appliquer cette loi, toute référence à l’érotisme était malvenue. Comme, évidemment, toute référence à des ruades dans les brancards de la bonne pensée, de la bonne morale ! Et pourtant, quelques auteurs, donc, ont réussi à passer à travers les mailles de ce qu’on n’appelait pas la censure, mais qui y ressemblait quand même pas mal ! C’est, par exemple, en 1968 qu’un héros poète est apparu dans le journal de Tintin… Olivier Rameau, beau, intelligent, rêveur… Et amoureux de la sublime Colombe Tiredaile…

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Greg au scénario et Dany au dessin ont offert là à la bande dessinée une série exceptionnelle, fraîche, pleine d’une poésie quotidienne charmante et charmeuse… Je vous parle d’un temps où un éditeur ne choisissait pas de retirer de la vente un album qui se permettait à la fois un soupçon de sensualité et un humour débridé et caricatural… Les caricatures des personnages secondaires d’Olivier Rameau pourraient, qui sait, aujourd’hui, faire l’objet de la censure que l’éditeur Dupuis a imposée au dernier album de Dany… Mais en 1968, tel n’était pas le cas, et personne n’aurait pu penser, ni homme ni femme, que Dany était un horrible macho raciste ! A l’époque, en 1968, le talent était une référence, ce qui est aujourd’hui infiniment moins le cas… Fermons là une petite parenthèse personnelle…

copyright yslaire

Et soulignons avec plaisir l’évolution de la bande dessinée d’alors, en une dizaine d’années. Avec, en 1978, une bd du jeune Bernard Hislaire qui nous racontait, poétiquement aussi, une vraie histoire d’amour adolescente… Bidouille et Violette… Un récit sans fioritures de deux ados découvrant la puissance de l’amour, dans une cité et un environnement qui les jugent sur leur physique bien plus que sur leurs qualités… Dans cette série, Violette s’affirmait comme l’élément moteur du récit, comme le vrai personnage central. Dans l’histoire de la bd comme dans celle de notre société, les années 60 ont été, incontestablement, un moment important. Certes, mai 68 n’a pas tenu toutes ses promesses, loin s’en faut, et les vieux soixante-huitards ont tous, ou presque, renié leurs combats de l’époque ! Mais le slogan qui, pendant ce joli mois de mai, fleurissait sur les murs, « il est interdit d’interdire » a permis que soit attaquée de front la censure qui, dans l’ombre ou ouvertement, sévissait alors.

Barbarella de Forest

Rappelons-nous que Forest a créé, en 1962 je pense, le personnage de Barbarella, en un album qui, très vite, dut être réimprimé en y effaçant les féminités trop apparentes ! L’éditeur Eric Losfeld, en éditant cette héroïne revendiquant ouvertement, sensuellement, sa liberté sexuelle, a cependant ouvert une brèche dans la citadelle de la censure ! Une brèche dans laquelle se sont engouffrés bien des auteurs pour y dessiner des récits plus pornographiques qu’érotiques ! Même si, dans ces parutions très, comment dire, chaudes, des véritables artistes se sont révélés, comme Pichard, Levis, Manara, Magnus, force est de reconnaître que ce genre de bd, sortant de sa marginalité, ne montrait dans son ensemble qu’une image très dépendante de la femme, avec l’alibi d‘en montrer l’émancipation, mais sexuelle uniquement ! Cela dit, cette libération des mœurs dans une société qui revendiquait, en effet, la libération sexuelle, en une époque où le chanteur Antoine préconisait la vente en grand magasin de la pilule contraceptive, cette liberté a eu ses effets, également, dans la bande dessinée « grand public »… Et de façon infiniment moins machiste ! C’est à partir de cette décennie que l’image de la femme, dans le neuvième art, a évolué avec une réelle rapidité… Oh, pas chez les grands classiques, ne rêvons pas ! Hergé n’a introduit dans ses albums que des rôles féminins très secondaires, des silhouettes, pas grand-chose de plus… Giraud et Charlier, son scénariste, n’ont en rien changé fondamentalement de leur héros Blueberry… Tibet n’a pas donné beaucoup plus de consistance à la petite amie de Ric Hochet, Nadine…

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Mais Christin et Mézières ont créé Valérian et Laureline, un homme et une femme étant, à deux, égaux devant l’aventure, devant la vie… Et l’immense Tardi a peuplé ses albums de femmes aux importances scénaristiques essentielles, jusqu’à créer le personnage mythique d’Adèle Blanc-sec.

copyright tardi

Et Greg et Hermann ont créé la première véritable héroïne western, en la personne de Comanche.

copyright le lombard

A partir de là, les histoires racontées en dessins vont, évidemment, s’éloigner des sentiers battus, des habitudes éditoriales. C’est que, tout simplement, les mômes, garçons ou filles, ont grandi avec la bd… Et lui donnent un sens, devenus adultes, mélancolique peut-être, mais existentiel aussi, que leurs parents ignoraient… C’est l’époque pendant laquelle le terme « petits mickeys » va laisser la place à celui de « neuvième art ». C’est l’époque également, ces années 60-70, des fanzines, petits opuscules imprimés souvent n’importe comment, et dans lesquels sont apparues les premières analyses « sérieuses » des bd existantes… C’est l’époque, aussi, pendant laquelle des tas de revues ont vu le jour, pour quelques numéros ou plus, expérimentales ou aux ambitions évidentes… Des revues qui, en Europe, en francophonie, ont fait découvrir des auteurs qu’on ne connaissait pas vraiment de ce côté-ci de l’Atlantique.

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Les Peanuts, de Schulz, par exemple… Un dessin simplifié pour des réflexions en quelques cases qui égratignent l’image lisse de la grande Amérique… Des revues qui ont fait découvrir, également, un auteur sud-américain, Quino, et son humour noir et parfois désespérant, illustré par son personnage de Mafalda, une gamine à la conscience politique et humaine très pointue, très engagée…

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Je parlais de revues… Pilote, né bien avant, a été le précurseur de cette foison de nouveaux auteurs, de nouvelles thématiques, de nouvel humour. Goscinny et Gotlib y ont fait fleurir, véritablement, d’Asterix à la Rubrique à brac, une bande dessinée nouvelle, sans complexe, déjantée, mêlant en ses pages des styles très différents les uns des autres. Et puis, il y a eu Métal Hurlant, Curiosity House, Vécu, Circus, Mormoil, A Suivre, Charlie mensuel, L’Echo des Savanes, etc., etc. Autant de titres dans lesquels se côtoyaient des auteurs aguerris et des nouveaux venus, des hommages à la bd ancienne et des trouvailles graphiques et scénaristiques qui rompaient avec le passé… Il y a eu également une revue dans laquelle seules les femmes dessinaient, à l’exception d’un homme invité dans chaque numéro…

ah nana

Cela s’appelait « Ah Nana », et son contenu libre, libertaire même, a provoqué un retour de la censure, avec une interdiction de vente aux mineurs… De ce fait, cette expérience éditoriale féminine et féministe n’a duré que le temps de neuf numéros… Des numéros qui se construisaient autour de thèmes dont l’actualité reste de mise plus de quarante ans plus tard ! Le néonazisme… L’inceste… La transidentité… Dans ce magazine exceptionnel dans sa démarche comme dans la qualité de ses auteurs, des talents incontestables ont explosé : Chantal Montellier, éternelle révoltée au dessin noir et blanc frontal et brutal… Florence Cestac mêlant toujours actualité, érotisme et humour dans des histoires n’existant que par leurs personnages féminins… L’extraordinaire Nicole Claveloux, aussi, apportant à la bande dessinée un style et une couleur presque psychédéliques parfois, extrêmement poétiques aussi, pour des récits flirtant avec toutes les angoisses de cette époque… Tout cela me conduit, tranquillement, à la seconde partie que je voulais aborder… Les autrices de bd… Les femmes qui, au fil des années, se sont imposées comme parties prenantes d’un art en continuelle transformation, comme tous les arts d’ailleurs !

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Parmi elles, Claire Bretécher, bien entendu ! Une dessinatrice au trait souple et rapide, presque un trait de dessin de presse… Une dessinatrice qui a commencé dans les années 70 dans le magazine Spirou, avec la complicité de Cauvin… Une dessinatrice qui, très vite, a affirmé son état de femme au travers d’albums nombreux, d’héroïnes quotidiennes comme Cellulite dans Pilote, comme les Frustrés, Agrippine… Autant d’albums dans lesquels Bretécher égratigne, avec un humour qui reste très tendre, le quotidien des femmes dans une société qui cherche sans cesse à ne pas les regarder… J’ai eu le plaisir, il n’y a pas d’autre mot, d’un jour tendre mon micro à deux vraies pionnières, et du neuvième art, et de la présence essentielle de la femme dans cette forme de culture populaire ! Annie Goetzinger, d’abord…

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Elève de Pichard, elle a imposé un style très hiératique parfois pour des histoires, avec l’aide de quelques scénaristes importants, dans lesquelles elle abordait, à sa manière, la place de la femme… Elle fit ainsi le portrait de George Sand, mais aussi celui d’une aventurière sans foi ni loi, Félina… Celui de Casque d’Or, également…

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J’ai aussi rencontré Florence Cestac, à l’occasion d’un livre qui racontait son passé de jeune fille… « Filles des oiseaux » est, au-delà du côté anecdotique du récit, l’histoire d’une émancipation. J’ai rencontré avec elle une femme tout en sourires, une femme libre, une femme aimant, sans besoin de quelque alibi que ce soit, que l’érotisme fasse aussi, mais avec humour et délire, partie de la réalité de la bd féminine…

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Ce sont ces autrices-là qui ont ouvert la porte à la fois à des femmes de plus en plus nombreuses dans la création bd, et à la fois à des sujets de plus en plus centrés sur la réalité de nos quotidiens… Ces pionnières furent féministes, sans aucun doute, mais sans haine jamais, à l’image d’Anne Sylvestre, de Barbara, de Colette Magny, chanteuses engagées autant poétiquement que fémininement… Les années passent, les modes changent, mais les notions d’égalité entre les sexes, elles, ont continué à évoluer. Nous voici au vingt-et-unième siècle… Nous voici, dans les environnements du neuvième art, dans des évolutions qui ne peuvent plus enclencher la marche en arrière. Parce que la société elle-même a changé, de regard, de lois… Parce que la parole a été libérée, comme le serinent à tout va celles et ceux qui s’écoutent parler… Parce que cette libération de parole est malgré tout essentielle, même s’il faudra bien qu’un jour elle se décide à ne pas déboucher sur la haine… La libération de la parole, donc l’expression d’une liberté individuelle importante, c’est un pas en avant vers la reconnaissance de la différence… Un pas qui, parfois, se fait de nos jour terriblement extrémiste… Sans nuance, ai-je envie de dire… Mais c’est peut-être cette absence de tolérance qui peut, bientôt, amener à une société plus solidaire, plus ouverte, moins suiveuse de quelques hystériques soucieux, ou soucieuses, uniquement de leur bien-être, de leur pouvoir… Là, je ne parlais pas, loin s’en faut, de la bande dessinée… Mais force est de reconnaître que ce wokisme qui se veut omniprésent amène le retour de censures imbéciles… J’ai parlé du Spirou de Dany et Yann, qui, pourtant, en forme de caricature, mettait en évidence aussi le combat des femmes…

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Je pourrais aussi parler de la série « Boule à zéro », dont l’héroïne est une adolescente qui a l’air d’une petite fille, et qui est atteinte de cancer… Une adolescente qu’on voit, d’album en album, vivre dans un milieu hospitalier où sa présence permet un vrai mélange des gens, des âges, des origines, dans une forme de solidarité que l’injustice de la souffrance et de la maladie crée… Et une imbécile, il n’y a pas d’autre mot, une extrémiste influenceuse a voulu faire interdire cette série exceptionnelle, la traitant de raciste… La parole peut se libérer, mais il faudrait, en même temps, qu’on apprenne à ces gens qui ne sont qu’extrémistes, à lire, à comprendre les mots et les images ! Ce qui peut aider les gens à lire « vraiment », ce sont aussi toutes ces autrices qui, de nos jours, publient des bandes dessinées dépassant la simple mode que les éditeurs croient poursuivre… Des autrices qui usent du média qu’est le neuvième art en utilisant ses codes, sans dénaturer la qualité qu’une œuvre doit avoir pour être importante : qualité du graphisme, du texte, de la construction narrative…

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Je pense par exemple à Catel… Avec son complice Bocquet, cela fait des années qu’elle nous plonge, à sa suite, dans des biographies de femmes qui ont influé, toutes, sur le cours de notre histoire humaine.

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Je pense aussi à un livre que j’ai lu récemment, « On ne parle pas de ces choses-là », de Marine Courtade et Alexandra Petit, une bande dessinée forte, profonde, qui aborde, avec pudeur mais intelligence, la réalité de l’inceste et, surtout, la douleur du silence qui entoure cet acte répugnant. Je pense à des dessinatrices exceptionnelles, comme la néerlandaise Aimée De Jongh dont chaque nouvel album est un éblouissement.

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Je pense aussi à Léonie Bischoff, au talent époustouflant de douceur dans le trait, de profondeur dans la description qu’elle fait des sentiments féminins. Je pense aussi à toutes ces autrices de livres pour jeune public qui ont coupé les ponts avec le passé pour aborder, avec finesse et tendresse bien souvent, les réalités de la vie des femmes, des jeunes filles. La série Violette, par exemple, d’Emilie Clarke, destinée à des adolescents, aborde avec humour et légèreté des sujets pourtant graves.

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L’avenir de la bande dessinée passe désormais également par la femme… Dans sa présence dessinée, bien entendu, loin des clichés sexistes qui, c’est vrai, existaient auparavant… Et qui, ne le nions pas non plus, ont été présents dans d’excellentes bandes dessinées anciennes, correspondant simplement, donc naturellement, à l’époque où elles ont été produites. Mais je le disais plus haut : les éditeurs ont souvent tendance à suivre les modes… C’est un peu le cas aujourd’hui où les étalages des librairies spécialisées se couvrent de livres « féminins » pas toujours bien dessinés, pas toujours bien écrits… Mais que ces livres-là existent aussi, c’est nécessaire ! Parce que cette littérature féminine dessinée ose parler de pas mal d’injustices que, solidairement, hommes et femmes devraient combattre, encore et encore… La beauté d’une culture ne réside ni dans ses diktats de mode, ni dans ses censures, ni dans ses habitudes, mais dans la volonté qu’elle peut avoir de cultiver de la différence toutes les beautés, tout l’humanisme…

Et voici que se termine cette espèce de panorama, subjectif, qui, je l’espère, vous a montré que l’image de la femme dans l’univers de la bande dessinée a formidablement évolué ces dernières années… Et que cela évoluera encore, et dans le bon sens, celui du respect de toute différence ! Le paysage que je viens de vous tracer n’a rien d’exhaustif ! Et me vient le regret d’avoir oublié de vous parler de Jeannette Pointu, née en 1982 sous la plume de Marc Wasterlain. Une journaliste baroudeuse, à la fois féminine et féministe… J’aurais pu aussi vous parler des femmes scénaristes de bande dessinée, et épingler parmi elles Maryse Charles, complice d’une belle efficacité depuis très longtemps des albums de son mari, Jean-François… Mais je me rends bien compte que, pour parler de la femme dans la bande dessinée, pour en faire une approche plus complète que la mienne, il m’aurait fallu écrire, pendant des mois et des mois, tout un essai… Et, finalement, je pense que des coups de cœur comme ceux que je viens de partager avec vous peuvent vous donner l’envie de mieux découvrir ce monde foisonnant qu’est celui du neuvième art ! Et de lire, encore et encore !…

Jacques Schraûwen

Nuits Romaines – Un polar très noir superbement dessiné !

Nuits Romaines – Un polar très noir superbement dessiné !

J’ai toujours aimé la littérature policière… J’ai, de ce fait, toujours adoré me plonger dans des polars du neuvième art… Avec « Nuits Romaines », je suis comblé ! Un scénario simple mais extrêmement bien construit, et un graphisme exceptionnel !

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Le personnage central est un flic plus très jeune, mais loin d’être vieux, fumeur invétéré, désespéré et désespérant. Un flic paumé qui, après plus de vingt ans d’enquêtes glauques dans la glauque ambiance des nuits romaines, sait que « le cauchemar jamais ne s’apaise ». Et sa nouvelle enquête le désespère encore plus : il s’agit d’enfants assassinés… Il s’agit d’un tueur de mômes… Il s’agit de « l’homme en noir » qui va, jusque dans les rêves de Flavio, ce flic, réveiller ses angoisses les plus sombres.

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Un tueur d’enfants… Un policier désabusé et hanté par le mal… Une ville sublime qui se révèle, la nuit venue, un décor presque fantomatique, pratiquement fantastique… Un dessinateur qui se laisse aller à de la folie visuelle exceptionnellement efficace… Tous les ingrédients sont en place pour que ce livre soit une sorte de « comics » américain. Mais il n’en est rien ! Là où les comics multiplieraient les démesures graphiques, les plans impossibles, le découpage bling-bling, ce livre choisit les chemins de l’ambiance, les routes sinueuses de la nuit, les paysages citadins qui ne sont qu’esquissés… Même en usant des codes du roman noir américain, cet album se révèle résolument européen… Et si tape-à-l’œil il y a, c’est au service, et uniquement au service, de l’histoire qui y est racontée…

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« On s’est habitués au mal », dit Flavio, se perdant dans une enquête aux certitudes soudain trop criardes. Il se souvient de toutes ces mères auxquelles il a promis de rendre vivants leurs enfants… Et il sait que « les promesses ne sont pas là pour qu’on les tienne »… Luigi Boccia, le scénariste, esquisse le profil d’un flic à la Chandler, à la Carter Brown… Il nous plonge dans une ambiance qu’on pourrait croire à la Stephen King, et il le fait pour mieux nous jeter en pâture à un quotidien sournois et inacceptable… Réel… Il attache son récit exclusivement aux gestes et aux mots de son personnage central, construisant sa narration au fil de petites touches éparses qui peu à peu racontent l’histoire sans jamais perdre le lecteur…

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Le dessin d’Alessandro Manzella est étonnant… Superbement étonnant… C’est un dessin qui se blottit derrière la couleur, qui, parfois, rappelle les bandes dessinées sud-américaines des années 60/70… Mais c’est un graphisme qui empoigne le lecteur dès la première page, et ne le lâche plus au fil des planches ! Je dirais qu’il y vraiment un jeu, dans la couleur de Manzella, d’ombres et de lumières, avec une façon moderne, en quelque sorte, de perpétuer les clairs-obscurs chers aux peintres vénitiens, entre autres.

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Les profils des personnages sont parfois à peine esquissés, s’enfouissant aux méandres d’une peinture qui est, peut-être, l’élément essentiel du dessin, donc du récit… Et il y a véritablement un travail « sombre » de cette couleur, avec des visages qui s’en échappent en gros plans, avec l’omniprésence des cigarettes et des néons qu’on voit briller dans l’ombre opaque de la nuit… Au fil des pages, donc de l’enquête, les personnages deviennent de plus en plus visibles, présents, « dessinés »… Obligeant ainsi le lecteur à mieux entrer encore dans leurs quotidiens, dans leurs folies, dans le « mal »…

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« Il y une grande différence entre vivre et survivre, mais à la fin, il n’y a pas d’autre choix que de s’y faire. » Cette phrase ponctue à sa manière une histoire horrible mais réaliste… Et je ne sais pas si c’est volontaire ou s’il s’agit d’une erreur d’impression, mais il y a, dans le texte, vers le milieu du livre, une seule petite phrase écrite en rouge… « on peut rien faire » ! Quatre mots qui, à leur manière, racontent l’inutilité de toute action face à l’innommable…

Ce livre est un polar sublime dans sa forme, simple mais juste dans son récit… C’est aussi un album qui, totalement, appartient à l’Art… Le neuvième en l’occurrence, mais aussi celui d’une forme de peinture qui emporte le lecteur sans jamais lui lâcher la main ni le regard !

Jacques et Josiane Schraûwen

Nuits Romaines (dessin : Alessandro Manzella – scénario : Luigi Boccia – éditeur : Mosquito – mars 2025)