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Le Pays De L’Eau Qui Monte – Une bonne bande dessinée qui s’adresse à un jeune public pour parler des conséquences du bouleversement climatique

Le dérèglement climatique, souvent appelé à tort « réchauffement », fait incontestablement partie du paysage médiatique… Avec il faut le dire, une influence stressante sur les enfants. Ce livre peut, peut-être, estomper ce stress…

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Un petit village, dans lequel rien, jamais, ne se passe… Un petit village avec, quand même, sa radio libre… Un petit village qui ne subit pas les ravages d’une société axée sur la seule rentabilité, puisque s’y trouvent encore une boulangerie, une épicerie, une école, et des enfants. Un petit village dans lequel, depuis des jours et des jours, il pleut !

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A partir de ce qui peut, bien évidemment, passer pour anecdotique, Rodolphe, le scénariste raconte comment les gens peuvent continuer à vivre, à vivre ensemble, à retrouver le sens de ce mot, lorsque la nature décide de remettre les choses en place, de rappeler, simplement, qu’elle existe et que, qu’on le veuille ou non, on dépend toutes et tous de lui. Mais n’allez pas croire, dans ce livre, à un grand message, non ! Rodolphe nous offre un récit simple, gentil, presque naïf parfois, utopique souvent, souriant toujours, et axé sur la possibilité, toujours aussi, d’une forme d’humanisme.

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C’est, je le disais, un album qui s’adresse à un jeune public… Et son propos, qui aurait pu être sérieux, est tempéré (jeu de mot) par l’anthropomorphisme du récit, du dessin. Patrice Le Sourd, le dessinateur, nous fait ainsi le portrait d’humains au travers de traits animaux. Plus moyen ainsi, de juger sur un visage : le lecteur se trouve en face d’une sorte de conte animalier, et il va pouvoir, grâce à l’osmose du texte et du graphisme, extrapoler le sujet qui lui est proposé et le transposer dans son propre quotidien.

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Le scénario de Rodolphe réussit ici à raconter un monde sans manichéisme. Certes, et je le disais, les bons sentiments sont à l’honneur… L’entraide est une réalité… Les enfants passent de maison en maison, les adultes oublient leurs différends, les inondations deviennent l’occasion de rencontres, de partages, de sourires au profond de la fatigue… Le journalisme lui-même perd ses routines et va, réellement, au-devant des gens réels ! Mais le racisme existe aussi… Et c’est « ensemble » qu’il peut être détruit…

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Oui, c’est un album gentil, positif, prônant des sentiments et des actions simples, immédiats. Mais qui le fait avec gentillesse, aussi, avec une sorte d’espérance tranquille en l’être humain, tout calmement. C’est un livre qui montre, à sa manière, que toutes les angoisses peuvent n’avoir aucun sens quand on se donne la main, véritablement ! Et, ma foi, cela fait du bien, de nos jours, ce genre de livres qui réussit à faire un peu réfléchir, et à le faire sans mièvrerie !

Jacques et Josiane Schraûwen

Le Pays De L’Eau Qui Monte (dessin : Patrice Le Sourd – scénario : Rodolphe – éditeur : Delcourt jeunesse – juin 2025 – 40 pages)

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Ces Lignes Qui Tracent Mon Corps – Ce livre me semble être la meilleure bd, jusqu’à ce jour, de l’année 2025 !

On parle, ici et là, au sujet de cet album, d’œuvre féministe, de roman graphique… Mais c’est un livre qui dépasse, et de loin, ces clichés éditoriaux, et se révèle extraordinairement réussi ! Un chef d’oeuvre, tout simplement…

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Et que nous raconte-t-il, ce livre, ce « roman graphique » ?

Graphique, oui, il l’est sans aucun doute, avec un dessin d’une pureté exceptionnelle, même lorsqu’il décrit l’horreur quotidienne d’une femme… Mais c’est une « bande dessinée » qui n’a nul besoin d’alibi culturel pour nous offrir une puissante autobiographie, tout simplement. L’autrice, Mansoureh Kamari, nous parle d’elle, en effet, de son enfance et de son adolescence en Iran, elle nous parle de cette société dans laquelle l’homme a tous les pouvoirs, même et surtout peut-être sur ses enfants de sexe féminin… Et ce sont des faits qu’elle nous montre, des instantanés au jour le jour, d’année en année : toutes les interdictions, toutes les obéissances, toutes les humiliations, toutes les soumissions. Toutes les oppressions…

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Mais ce dont elle nous parle, ce qu’elle nous montre, essentiellement sans doute, c’est son trajet personnel pour, en France, adulte, se restaurer à elle-même… Cela passe par exemple par la nécessité qu’elle ressent de se faire modèle nue devant des dessinateurs anonymes, pour oublier les regards que les hommes posaient sur elle en Iran. Cela passe par cette conscience qu’elle a, alors, de supporter très bien tous ces nouveaux regards qui sont ceux de l’art, tout en refusant une caméra qui, sans même s’en rendre compte, et avec les meilleures intentions du monde, se fait intimement indiscrète.

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A ce titre, il faut souligner, dans un dessin somptueux en nuances de noir, de blanc et de gris le plus souvent avec, parfois, des couleurs pastel tendrement lumineuses, l‘importance tout au long du livre du regard… Des yeux, et de tout ce qu’ils peuvent exprimer… Les regards du père, en Iran, de la mère, du frère qui, garçon, est évidemment privilégié…

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C’est un livre, vous l’aurez compris, qui, dans son propos, pourrait n’être que « dur »… Mais il est aussi d’une extrême douceur et pudeur dans son traitement. La peur y est sans cesse présente, comme un fantôme que l’art peut faire disparaître…

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L’indifférence laisse la place à des regards neufs et bienveillants que pose Mansoureh Kamari sur le monde occidental qui désormais est le sien… Les larmes y sont racontées avec une tendresse intérieure… C’est d’ailleurs une expression que Mansoureh Kamari utilisait le plus quand je l’ai rencontrée : l’intérieur du sentiment !

Mansoureh Kamari

Ce livre nous montre que l’art, intérieur, intime, sensuel donc également, est un moyen possible pour accepter ces blessures invisibles que l’auteure nous dessine en rouge, des blessures qui sont celles de l’âme et se gravent en souvenances à même la chair. A ce titre, ce livre qui aurait pu être un album féministe, je le disais, un album centré sur les violences faites aux femmes, cet album devient universel. En parlant d’elle, Mansoureh Kamari parle de toutes les soumissions… Universellement…

Mansoureh Kamari

Un « bon livre », c’est un livre qui parle à chaque lecteur, à chaque lectrice, une bonne bande dessinée, c’est un album qui unit, en osmose, un sujet, un texte, et un dessin. Une bonne lecture, c’est une lecture qui fait frissonner les lecteurs, et qui, ce faisant, les rend un peu plus intelligents, un peu moins panurgiques… Et ce livre de Mansoureh Kamari est tout cela, avec une sorte de poésie qui n’appartient qu’à elle ! Oui, « ces lignes qui tracent mon corps » est un vrai chef d’œuvre du neuvième art, un livre qui devrait se trouver dans toutes les bibliothèques, publiques ou privées… Donc, dans la vôtre !

Jacques et Josiane Schraûwen

Ces Lignes Qui Tracent Mon Corps (auteure : Mansoureh Kamari – éditeur : Casterman – septembre 2025 – 197 pages)

La Semaine Où Je Ne Suis Pas Morte – sept jours dans le trajet d’une adolescence à la poursuite d’elle-même

La Semaine Où Je Ne Suis Pas Morte – sept jours dans le trajet d’une adolescence à la poursuite d’elle-même

Vincent Zabus est de ces scénaristes, de ces auteurs, qui, loin de ronronner dans des habitudes, permettent à la bande dessinée d’aborder le monde tel qu’il est…

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Cela se voit très vite, en regardant tous les dessinateurs avec lesquels il a « travaillé », créé… Il aime varier les genres, dans ses récits comme dans les dessins qui les accompagnent… Il aime ce qui sort des sentiers battus, dans ses mots comme dans les graphismes auxquels ils se livrent… Vincent Zabus, comme un homme-orchestre, n’a jamais oublié qu’il fut professeur de français avant de prendre d’autres voies dans l’existence, celle du jeu théâtral, celle de la mise en scène, celle de la présence artistique à même la rue… Et c’est peut-être ce passé « enseignant » qui, dans ce livre-ci, se laisse aller à une écriture à la fois douce et puissante, à la fois observatrice et intimiste…

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Et c’est une espèce de journal intime qui, sous sa plume, construit cet album. Mais un journal intime qui ne dure qu’une semaine… Le journal intime d’une jeune fille de 17 ans, Juliette, un peu paumée, un peu égarée dans l’existence depuis la mort de son père, un peu égocentrique dans sa façon de refuser de participer à la vie de sa mère, un peu amère, un peu révoltée, un peu sombre… Une jeune fille qui, dans le monde qui l’entoure, ne se sent pas à sa place et remue, rumine des idées noires, noires comme l’univers tel qu’elle le voit… Tel qu’elle en imagine le futur…

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Les gens qui l’entourent, elle les voit comme des monstres entre vie et mort, des sortes de zombies sans âme. Juliette est une adolescente qui se sent « différente », comme tous les adolescents sans doute… Certainement… Cette différence qui est la sienne, et qui se situe dans la perception qu’elle a du monde, et donc d’elle-même, la place en marge de l’univers scolaire dans lequel, pourtant, grâce à une rédaction, elle se voit mise en avant… En naîtra une sorte de harcèlement qui la poussera encore plus à assouvir le besoin qu’elle a de se retirer de la vie, de s’aérer en forêt, y écoutant un hibou qu’elle n’aperçoit pas mais qui accompagne ses pas comme ses pensées… Et c’est dans cette forêt qu’elle va croiser la route d’un jeune garçon, Jim, de la même école qu’elle… Un jeune garçon qui s’aère l’âme, lui aussi, mais en dessinant…

En une semaine, et parce que Juliette est aussi, et même d’abord, une adolescente, une étrange et impalpable relation va naître entre elle et ce jeune homme… Avec, comme lien, ces dessins… Ces silences qui les unissent… Juliette n’a jamais rêvé au prince charmant, et elle se sent peu à peu vivre comme elle ne le faisait plus depuis longtemps, grâce à ce qui est un sentiment diffus d’abord, puis de plus en plus évident, un sentiment auquel ni elle ni Jim ne veulent ni ne peuvent donner de nom…

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Plus qu’un scénario de bd, on se trouve en présence ici d’un texte résolument littéraire, librement interprété par une jeune dessinatrice qui, probablement, au travers de ses dessins, se retrouve elle-même. C’est un livre dont le graphisme est extrêmement personnel, désarçonnant même, osons le dire. On est loin du belgo-français, on est loin aussi du comics américain ou du manga : Sara Del Giudice accompagne l’aventure littéraire originale de Zabus par son dessin et ses couleurs tout aussi originales… L’adolescente dont parle ce livre ne pouvait pas être dessinée frontalement, avec réalisme… Et à ce titre aussi, ce livre est une réussite, parce qu’on y sent une sorte d’osmose tranquille entre une dessinatrice et un écrivain…

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En une semaine, une éternité au rythme de l’adolescence, Juliette va sentir ses regards évoluer… Elle va aimer, oui… Elle ne va pas mourir, elle veut même vivre ce qui lui remue l’âme comme le présent… Elle se demande, le septième jour venu, comme dans sa rédaction scolaire, ce qu’elle sera en 2030… Et deux mots, tout simplement, lui viennent en réponse : « On verra » !

C’est un livre tout en nuances, sans apprêts, c’est un livre qui parle comme rarement d’une période de la vie dont les adultes que nous sommes se souviennent souvent bien trop peu… C’est un livre à la fois sombre et lumineux… C’est un album qu’il faut ouvrir, dans lequel il faut entrer, et se laisser entraîner comme on peut se laisser entraîner, sans nostalgie, par les souvenances de qui on a été, par la certitude, en lisant, que nous sommes vivants…

Jacques et Josiane Schraûwen

La Semaine Où Je Ne Suis Pas Morte (dessin : Sara Del Giudice – scénario : Vincent Zabus – éditeur : Dargaud – septembre 2025 – 142 pages)

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