Le Passeur

Hermann et Yves H. nous ont concocté un album totalement désespéré et désespérant. La mort, le destin et l’horreur y sont les personnages principaux !

Résumer ce livre est, somme toute, assez facile. Dans un monde qui est celui de nos lendemains, les hommes ont encore et toujours le rêve de vivre sans souci, de pouvoir, grâce à l’argent, laisser derrière eux la violence, les ruines et la peur. Pour arriver à cette espèce de paradis qui pourrait n’être qu’une légende urbaine de plus, hommes et femmes sont prêts à tout risquer. Tout risquer, oui, pour rencontrer le passeur, le payer, et se glisser dans ce qui ne peut qu’être le bonheur. Et, dans cet album, nous suivons Sam et Samantha dans une quête qui ne peut, on le devine vite, que mener au néant.

Je n’ai pas toujours été fan des scénarios de Yves H., trop exacerbés souvent au niveau du langage, et manquant de consistance au niveau de la narration.

Ici, il n’en est rien. Yves H. a choisi la simplicité, dans le propos comme dans son traitement, laissant ainsi à Hermann tout le loisir de se lancer, une fois de plus, dans des prouesses graphiques qui accompagnent le lyrisme discret, mais bien présent, de son scénariste.

 

Je n’ai pas souvenance d’avoir vu, dans un livre de Hermann, un travail symbolique sur la couleur tel qu’il existe dans ce  » passeur « . Même si la couleur occupe depuis très longtemps une place essentielle dans l’œuvre de Hermann, elle ne m’a jamais donné l’impression comme ici d’être un élément moteur, de se faire à la fois acteur du récit et révélateur de ce que ressentent les protagonistes de ce récit. Un peu comme si Hermann réussissait dans cet ouvrage une symbiose totale entre sensation et environnement, entre horreur et désir, entre démesure et intimisme. Vert et rouge se succèdent, se mélangent enfin, comme se mêlent dans l’existence l’espoir et son inutilité, la survivance et la mort. Et tout se doit, graphiquement comme narrativement, de se terminer dans l’obscurité la plus totale, celle d’une ultime et dérisoire preuve d’amour qu’d’un personnage détruit lance à celle qu’il a détruite…

Auréolé du prix qu’il a reçu à Angoulème l’année dernière, Hermann ne s’endort pas sur ses lauriers, loin de là, et nous prouve, dans ce livre, qu’il est et sera toujours capable de surprendre ses lecteurs, anciens et nouveaux.

En compagnie de Yves H., il nous offre un album plein de clins d’œil, à Jeremiah, à Bernard Prince même. Il nous livre surtout une histoire noire comme la mort… Une fable, finalement, dans laquelle le quotidien de l’horreur ne laisse la place qu’à l’horreur de l’inutile espérance…

 

Jacques Schraûwen

Le Passeur (dessin : Hermann – scénario : Yves H. – éditeur : Dupuis)