La femme aux cartes postales

L’Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée (ACBD) vient de décerner un de ses prix à cette excellente bd québécoise. Je vous invite à la découvrir, et à écouter son dessinateur parler, dans cette chronique, de son album particulièrement réussi…

La femme aux cartes postales – © La Pastèque

Fin des années 50… Rose, une jeune femme à la voix envoûtante quitte sa campagne natale, sa  famille, son univers, pour devenir chanteuse dans la grande ville de Montréal.

Début du vingt-et-unième siècle : Victor apprend qu’il a un frère jumeau, mort sans doute dans l’attentat du World Trade Center.

A 45 ans de distance, ces deux destins vont devenir parallèles avant de se confondre, sans doute, en une quête d’identité de la part de Victor, en une quête humaine pour Rose.

Deux quêtes, en face à face…

Deux humanités très différentes l’une de l’autre, tant il est vrai que le monde de 2002 n’a rien à voir avec celui de 1957.

Dans ce livre, les auteurs ont décidé de prendre leur temps, tant au niveau des mots que du dessin. Prendre leur temps, oui, pour nous raconter deux histoires différentes, deux époques différentes, et de le faire sans aucun manichéisme.

C’est dire que les thèmes abordés ici sont nombreux : il y a le destin d’une femme, il y a la musique, le jazz, le rock, il y a la lutte contre la corruption et la maffia, il y a la gémellité.

Il y a, pour Victor, une recherche systématique de ses origines, presque scientifique, et il y a pour Rose une nécessité d’émancipation vécue avec un côté naïf et enfantin : son destin de femme, de chanteuse, elle le vit à la fois en actrice et en observatrice. Elle est héroïne de son propre destin, mais elle s’écrit des cartes postales pour se raconter à elle-même qui elle est.

A ce titre, cet album est d’abord et avant tout, au-delà des méandres des deux récits qui nous y sont racontés, une belle et longue fable humaniste sur ce qu’est, au quotidien, la construction d’un destin et la nécessité du hasard…

Jean-Paul Eid: le scénario

Jean-Paul Eid: le personnage de Rose

La femme aux cartes postales – © La Pastèque

Ce livre dont l’essentiel, malgré tout, se déroule dans les années 50, aborde aussi, de par sa trame historique, le thème de l’appartenance culturelle d’un être, Rose, à un pays, certes, à une langue aussi ! Sans que ce thème de revendication francophone soit vraiment explicite dans ce livre, on le sent présent, par la mise en scène rapide, ici et là, de personnages (comme Charlebois) dont on sait aujourd’hui qu’ils ont occupé une place importante dans l’avènement d’un Québec francophone.

Incontestablement, la construction narrative de cet album est étonnante. On pourrait croire que ce mélange de lieux, de situations, d’événements, de trames historiques pourrait déstabiliser le lecteur, et il n’en est rien, que du contraire. Le dessin, en noir, en blanc, en nuances de gris, en sépia, choisit la voie d’un presque-réalisme pour fluidifier le propos. Le travail du dessinateur sur les décors et sur le découpage est d’une belle légèreté. Et il y a un vrai plaisir à passer, en tant que lecteur, des années 50 aux années 2000, de Montréal à Paris, de Cuba à la Gaspésie, sans jamais se perdre en cours de route!

Jean-Paul Eid: le Québec

La femme aux cartes postales – © La Pastèque

En fait, ce livre est comme un miroir, celui de plusieurs époques qui s’entrechoquent, celui de plusieurs destins qui se confondent, un miroir dans lequel tout un chacun peut également deviner ses propres reflets.

Ce livre est aussi une horloge… Une horloge dont les aiguilles, ici, semblent accélérer leur course, là s’arrêter et se bloquer.

Ce livre est, d’abord et avant tout, essentiellement, un livre merveilleusement humain, dans son graphisme comme dans son propos…

Jean-Paul Eid: le miroir…

Les  » prix  » littéraires peuvent avoir un grand avantage, celui de faire découvrir un livre méconnu, peu distribué. C’est le cas, ici, avec cette femme aux cartes postales, cette femme dont l’émancipation ne peut que passer par l’art et l’amour, cette femme pour qui l’écriture est un voyage vers elle-même.

Un prix largement mérité pour un livre excellent, donc, que je ne peux que vous conseiller !…

 

Jacques Schraûwen

La femme aux cartes postales (dessin : Jean-Paul Eid – scénario : Claude Paiement et Jean-Paul Eid – éditeur : La Pastèque)