Juin 1940 : la fin de ce que certains historiens ont appelé pompeusement » la bataille de France » se dessine au quotidien de quelques soldats perdus dans une débâcle sans rémission. C’est ce que nous raconte ce livre, à la fois pudique, souriant, et terrible !
Des livres consacrés à la guerre qu’on dit seconde comme si, depuis, il n’y en avait plus eu, cela ne manque pas ! Entre le lyrisme de l’héroïsme et la douleur de l’innommable, tous les thèmes ont été abordés. Et il n’est pas évident de trouver une voie originale pour parler de cette époque qui, de nos jours encore, laisse des traces profondes dans notre société, et dans notre manière de vivre et de penser.
Tardi y est parvenu, avec le récit qu’il a fait du stalag où s’était retrouvé son père.
Rabaté, ici, dans cette » déconfiture « , y parvient aussi, parfaitement.
On peut parler de proximité, d’ailleurs, entre ces deux auteurs. Par l’axiome qui est le leur, d’abord, de ne vouloir voir la grande Histoire qu’au travers du prisme de l’individu. Par le dessin, ensuite, qui prend le choix d’éviter les effets et de rendre compte, en noir et blanc, d’une réalité observable.
C’est donc loin des aventures héroïco-militaires que nous entraîne cet album. Nous accompagnons simplement, au fil des pages, les errances de Videgrain, instituteur dans le civil, et militaire désabusé au présent d’un quotidien sans aucune gloire.
La débâcle est partout : dans le matériel inadapté, dans les civils croisés qui rejettent l’armée et son incompétence, dans les morts qui jonchent les routes, dans les bombardements allemands, aveugles et désespérants pour les errants d’une guerre perdue.
Rabaté a fait de ce personnage le guide de ses lecteurs. C’est au travers de son regard, de ses réflexions, de ses rencontres qu’on découvre l’envers du décor, la réalité, simplement, de ce qu’est une défaite humaine vécue à l’échelle d’un pays. D’une culture…
Mais qu’on ne se trompe pas, Pascal Rabaté ne nous impose pas, dans ce qui doit être le premier tome d’un diptyque, un pensum philosophique. Il est observateur, simplement. Sans jamais être manichéen, il nous montre un monde qui n’est plus, un univers qui s’autodétruit, et il le fait par petites touches tantôt intimistes, tantôt plus généralistes, mais toutes d’abord et avant tout humaines. Et c’est pour cela que, dans ce livre, plus que les situations décrites et racontées, aussi horribles soient-elles par l’habitude de l’horreur qu’elles provoquent chez les militaires en déroute, plus que l’événementiel, ce qui frappe dans cette » Déconfiture « , ce sont le texte et les dialogues.
Pascal Rabaté est un dessinateur au dessin extrêmement clair, au graphisme se refusant à multiplier les décors et les détails qui ne pourraient que réduire la présence des personnages. Il est aussi un dialoguiste chevronné, qui réussit à ce que chaque protagoniste ait son propre langage. A ce titre, on peut dire que son talent d’auteur de BD se rapproche de l’art cinématographique, tant par le découpage que par le soin pris à ce que tous les rôles aient une importance et soient mis en valeur, même et surtout ceux que l’on dit seconds…