Gipi : Une exposition et un album !

Gipi : Une exposition et un album !

Un artiste éclectique et complet au Centre Belge de la Bande Dessinée et un roman graphique au désespoir parfois lumineux !

L’Exposition : Gipi ou la Force de l’Émotion

A 54 printemps, Gian Alfonso Pacinotti, plus connu dans le monde de l’art sous le pseudonyme de Gipi, est un artiste étonnant. Un artiste, oui, un vrai, qui n’aime pas se cantonner dans un seul aspect de la création. Auteur de bd, illustrateur, musicien, cinéaste, que sais-je encore, tout ce qui touche à l’âme humaine l’intéresse.

A l’âme humaine et, surtout, à l’émotion. Lorsqu’il s’intéresse à l’illustration, comme lorsqu’il se plonge dans la construction d’un album de bande dessinée, ce qui le passionne, ce qu’il rend passionnant en le partageant avec ses lecteurs, ses spectateurs, c’est cette réalité profondément humaine et humaniste : l’émotion, celle des possibles de l’errance, celle de la poésie, aussi. Ses albums, ainsi, me semblent vraiment être des bateaux à l’ivresse contrôlée qui voguent sur les vagues du quotidien, aussi improbable puisse-t-il être.

Et cette exposition qui lui est consacrée jusqu’en mars prochain au Centre Belge de la Bande Dessinée, à la rue des Sables, à Bruxelles, laisse la place, ainsi, en une scénographie simple mais parfaitement agencée, à tous les aspects de son graphisme. Non réaliste, mais sans cesse inspiré par la réalité, son dessin a vibré de couleurs dont il usait à la manière d’un peintre, avant de se simplifier et de réussir, en noir et blanc, à s’épurer sans pour autant épurer les sentiments qu’il raconte et décrit.

Gipi : un véritable artiste multiforme à redécouvrir, sans cesse !

 

(Centre Belge de la Bande Dessinée)

Gipi: un artiste éclectique

La Terre Des Fils (auteur : Gipi – éditeur : Futuropolis – 2017)

On est loin, ici, de  » Paroles sans papiers « , graphiquement du moins. Pas de couleur, mais du noir et blanc, travaillé à la plume, nourri de hachures, d’attitudes, de mouvements et de regards. De décors, aussi, tantôt à peine esquissés, tantôt vibrant d’une présence narrative essentielle.

C’est un livre post-apocalyptique. Un sujet maintes fois abordé en bd comme en littérature. Mais ici, l’œil de Gipi abandonne totalement le spectaculaire pour s’attacher exclusivement à l’humain, non pas celui qui reste, mais celui qui est né  » après la fin « …

En quatrième de couverture, d’ailleurs, Gipi nous livre les clés de son livre :  » Sur les causes et les motifs qui menèrent à la fin on aurait pu écrire des chapitres entiers dans les livres d’histoire. Mais après la fin aucun livre ne fut plus écrit.  »

Nous sommes donc après la  » fin « …. Survivre est un combat de chaque jour, combat que mènent différents survivants : un homme, ses deux fils, un autre homme, une femme qu’on appelle la sorcière, des jumeaux à la grosse tête…

La mort survient, et les deux fils se retrouvent seuls avec leurs questions. Avec une question, surtout, essentielle : leur père, désormais définitivement absent, écrivant chaque jour, qu’écrivait-il, que racontait-il au silence?… Mais ils ne savent pas lire ! Et c’est donc à leur errance et à leurs recherches d’identité et de passé qu’on assiste dans ce livre au rythme lent, parfois terriblement brutal, mais d’abord et avant tout vécu à taille de ces survivants à qui tous les sentiments humains sont encore à découvrir.

Une errance à laquelle les mots qu’ils ne comprennent pas refusent de donner un sens, une existence qui ne prend de force qu’à partir du moment de la découverte d’une espèce de sentiment inconnu, celui d’une forme d’amour…

J’ai rarement ressenti une telle ambiance, à la fois lourde et légère, au long de mes lectures. Gipi raconte une histoire, oui, mais il le fait avec des mots qui deviennent des souvenances, avec des regards qui se perdent dans l’impossible d’un futur, avec une beauté qui est à totalement réinventer.

Il y a chez cet auteur, à travers l’apparente « simplicité » de son dessin, une âme d’enfant, oui, une âme poétique, aussi, une âme attendrissante et envoûtante, une âme qui vibre de page en page et fait de ce livre un roman dessiné d’une qualité exceptionnelle !

Gipi: le dessin

Ne ratez ni l’exposition, ni l’album, croyez-moi, pour découvrir qu’en bande dessinée tout est possible, même le meilleur !… Pour aller, le plus simplement du monde, à la rencontre d’un artiste comme on en fait peu, et qui, à aucun moment, ne se prend au sérieux !….

Jacques Schraûwen

Un Million d’Eléphants : un album intelligent et une petite exposition bien sympathique à Bruxelles !

Un Million d’Eléphants : un album intelligent et une petite exposition bien sympathique à Bruxelles !

C’est un pays, le Laos, qui est le personnage central de ce livre. Un pays, ses habitants, et une dessinatrice à la poursuite de ses racines et de son histoire…

 Un million d'éléphants Un million d’éléphants – © Futuropolis

Ce sont 80 années d’Histoire que visite ce roman graphique, 80 années qui virent s’animer, de révolutions et de changements philosophiques et politiques, une région du monde qu’on appelait Indochine du temps de la colonisation française.

Résumer le vécu des deux familles que Vanyda et Cornette nous invitent à suivre, de génération en génération, tient de l’impossible, c’est évident. Et ce Million d’éléphants, symbole du Laos, est un livre qu’il faut prendre le temps de lire, de regarder, dans lequel il est doux, d’une certaine manière, de se plonger. Doux, mais aussi brutal, tant il est vrai que la réalité quotidienne et politique de ce pays d’Asie du Sud-Est s’est construite, en un siècle, à force d’injustice, de luttes de pouvoir, d’idéologies déshumanisées.

Mais la qualité de ce livre est de ne pas laisser ses lecteurs se perdre en route. De ne pas les lasser non plus, même si les personnages se multiplient, à chaque génération. Jean-Luc Cornette, en fait, a accompagné le désir profond de Vanyda en parvenant à écrire un scénario qui laisse la place, d’abord et avant tout, à des êtres humains qui, tous, appartiennent à l’histoire qui a construit la personnalité de Vanyda.

Pour l’un comme pour l’autre, il s’est agi de parler d’humanité, même dans une ambiance qui s’ouvrait sur des paysages aux guerres incessantes.

Vanyda et Jean-Luc Cornette: le scénario

Jean-Luc Cornette et Vanyda: du scénario au dessin…

Dans ce livre, outre le panorama historique de presque un siècle de grande Histoire, deux thèmes servent à rythmer le récit tout en lui donnant une véracité profonde.

Le premier de ces thèmes, c’est bien évidemment la politique, l’avènement du communisme, un communisme qui était source d’espoir avant que de se faire instrument de dictature.

Mais de par leur voyage au Laos, de par leur volonté de s’intéresser aux gens plus qu’à leurs dirigeants, Vanyda et Cornette réussissent, avec simplicité, à éviter l’écueil du jugement. Pour nous parler de communisme, Jean-Luc Cornette utilise la proximité, temporelle comme humaine.

Le second thème omniprésent, c’est la religion, une religion faite de prières à la limite de la superstition très souvent, pratiquement toujours même, mais une religion qui, depuis toujours, tempère pour les Laotiens toutes les vicissitudes de l’existence. Et cette espèce de fatalisme se retrouve dans le scénario, certes, mais aussi dans le dessin de Vanyda, un dessin aux couleurs tout en transparences sensuelles, dans les décors plus encore que dans la description des personnages.

On sent vraiment, dans ce livre, plus qu’une complicité entre ses deux auteurs : une participation à une même aventure, humaine et faite aussi d’intimité…

Jean-Luc Cornette: le communisme

Vanyda: la religion

Bien sûr, au-delà de la fiction assumée par les auteurs, une fiction qui cependant prend toutes ses sources dans la réalité des gens et de leur pays, et de leurs politiques qui n’ont jamais réussi à ce que toutes les ethnies soient reconnues comme égales au Laos, au-delà de ce qu’on pourrait appeler un ensemble d’anecdotes historiques, c’est aussi un livre qui parle d’identité.

Peut-être, et surtout même…

Vanyda, par son dessin, par l’humilité d’un scénario qui s’est mis à son service également, nous permet, lecteurs envoûtés par ses couleurs et la simplicité de son dessin, lecteurs tout aussi envoûtés par la multiplicité de personnages ayant une véritable présence, Vanyda, par la magie de cette narration autant graphique qu’écrite, a créé, en quelque sorte, un miroir dans lequel elle se retrouve enfin, avec ses passés, avec ses présents aussi. Un miroir qu’elle tend, en même temps, vers toutes celles et tous ceux que le temps et l’Histoire majuscule ont déracinés !

Vanyda et Jean-Luc Cornette: une quête identitaire

Disons les choses comme elles le sont :  » Un million d’éléphants  » n’est pas un livre  » facile « . De par ses thèmes identitaires et historiques sans cesse mêlés, de par l’aspect choral de sa construction narrative aussi, il demande indubitablement une disponibilité intellectuelle et sensitive de la part de ses lecteurs. Mais alors, croyez-moi, le plaisir est au rendez-vous. Un plaisir qui s’ouvre sur la grande Histoire, sur mille petites histoires, qui se livre à la poésie, aussi, à la nature, à la légende…

 

Et je vous invite à vous rendre à Bruxelles, à la Librairie Flagey, sur la place du même nom, pour y admirer quelques originaux de ce livre, qui vous permettront de découvrir toute la technique de lumière et de couleurs de Vanyda…

 

Jacques Schraûwen

Un Million d’Éléphants (dessin : Vanyda – scénario : Jean-Luc Cornette – éditeur : Futuropolis – janvier 2017)

Lao Wai : 1. La Guerre de l’Opium

Lao Wai : 1. La Guerre de l’Opium

Dans l’Empire du milieu, une guerre peut en cacher une autre… Le sordide et l’honneur, ainsi, s’affrontent dans cette fresque à la fois historique, romantique et exotique !

Nous sommes au milieu du dix-neuvième siècle, et débarquent en Chine, à la suite d’accords internationaux dénoncés par l’empire du milieu, des soldats français et anglais. Il s’agit, pour ces deux puissances coloniales, de faire la preuve, sur le terrain de la guerre, de leur supériorité.

Parmi ces militaires, deux jeunes Français : François Montagne et Jacques Jardin. Idéalistes, tous les deux ?… Sans doute pas, puisqu’on se rend vite compte qu’ils sont là pour des raisons très personnelles et qui n’ont pas grand-chose à voir avec le patriotisme. Il y a aussi un vieux diplomate et sa jeune épouse, une Chinoise mystérieuse.

Et dans ce décor, parfaitement rendu par les scénaristes et le dessinateur, l’aventure peut commencer, une aventure aux multiples facettes, tout de suite, une aventure à vivre et à écrire à la fois en majuscules et en minuscules : les majuscules d’une mission de « civilisation » et de religion à imposer pour des Occidentaux qui ne se posent pas de questions, et les minuscules pour les remous d’une autre guerre, cachée, uniquement mercantile, celle qui doit donner la mainmise à la vente de l’opium.

Alcante, un des deux scénaristes, oublie ici ses récits souvent teintés de fantastique, d’ésotérisme, pour laisser la place à une histoire essentiellement à taille humaine, inspirée certes par la grande Histoire, mais aussi par une certaine façon d’aborder l’aspect social d’une époque, d’une société. A ce titre, il est incontestable que LF Bollée, l’autre scénariste, occupe une place importante dans la construction de la narration de ce livre. Ils sont deux scénaristes, oui, pour le premier album d’une série pleine de promesses, une série dans laquelle, c’est évident, ils vont s’enrichir l’un l’autre.

Alcante: deux scénaristes

La narration est linéaire, et ne se perd à aucun moment en route, malgré, parfois, quelques raccourcis un peu trop rapides dans le suivi de l’histoire.

Mais les personnages existent, de bout en bout, ils ne sont pas que des êtres de papier, et la force des deux scénaristes est de réussir à leur insuffler une existence qui pousse les lecteurs à tourner les pages pour en savoir plus sur eux. Tous les personnages, oui, même secondaires, ont une vie propre, un passé que l’on devine, un avenir que l’on attend en même temps qu’eux. On se trouve, avec cette série naissante, dans l’échevelé des romans à la Feval, c’est certain, et il y a à cela un charme puissant, un charme qui opère grâce au scénario, bien sûr, mais aussi, et plus encore peut-être, grâce au dessin de Xavier Besse. Auteur de l’excellent  » Insane « , ce dessinateur, ici, prend un vrai plaisir à jouer avec les perspectives, avec la couleur, aussi, avec les brumes, les éléments déchaînés, les décors et les physionomies. Son réalisme sans tape-à-l’œil fait vraiment merveille dans ce premier volume d’une série où il emmène les lecteurs à sa suite dans un univers de passions humaines sans cesse changeantes !

Alcante: l’histoire et les personnages

Il y a de l’épique dans cet album, de l’intime aussi, et une mise en place de personnages que l’on attend, lecteurs charmés et séduits, de retrouver le plus vite possible !

Une série en naissance, d’ores et déjà attachante, à découvrir par tous les amoureux d’une bande dessinée classique et efficace !

 

Jacques Schraûwen

Lao Wai : 1. La Guerre de l’Opium (dessin : Xavier Besse – scénario : Alcante et Bollée – éditeur : Glénat – janvier 2017)