Dès le titre et la couverture, le ton est donné : c’est de peinture qu’il s’agit dans cet album aux décors somptueux et à l’intrigue historiquement fouillée… Une excellente série « classique », dans le bon sens du terme!
Le quatorzième siècle italien est un siècle pendant lequel l’art pictural a connu une première apogée, avec des artistes comme Giotto. Dans l’Italie fractionnée de l’époque, le quatorzième siècle fut aussi un long moment de luttes incessantes pour des pouvoirs politiques ou religieux, financiers ou militaires, toutes ces réalités se mêlant parfois en des manipulations particulièrement retorses.
Au creux de ces cent ans aux mille facettes, Vasco est une figure originale. Aventurier, certes, mais d’une véritable culture, il possède une éthique qui lui permet de nouer des relations à taille humaine tout en parvenant, par des chemins acceptables, aux buts qui sont les siens. Avec lui, on est en territoire connu et parfaitement codifié : celui des héros sans peur et sans reproche.
Dans cet album-ci, il est mandaté, par son oncle pour acheter un tableau de l’immense Giotto. Mais au-delà de cette simple démarche marchande vont se révéler bien d’autres nécessités aventureuses ! Il y a le frère de Vasco, une belle et franche crapule, il y a une jeune femme dont le mariage imposé servira à des contrats bien plus qu’à de l’amour, il y a de la violence, la présence de la mort, et des paysages urbains à couper le souffle.
Avec ce Vasco, on se trouve face à une scène de théâtre sur laquelle se jouent tous les sentiments humains, mais des sentiments exaltés de bout en bout par un décor (Venise, par exemple…) qui devient même, à certains moments, le personnage central, omniprésent en tout cas, de ce récit…
Luc Révillon: un scénario qui fait penser au théâtre
Luc Révillon: Dépaysement et références
Bien entendu, dans cette bande dessinée de facture totalement classique, et assumée pleinement comme telle d’ailleurs, il y a de l’aventure, il y a des rêves d’amour, il y a le souffle épique de quêtes à la fois parallèles et concurrentes.
Mais il y a surtout la présence de l’art, cet art qui, ici, se révèle un peu comme dans cette fameuse émission de télé, » D’art d’art « , c’est-à-dire par le petit bout de la lorgnette, par l’anecdote plutôt que par la renommée.
A ce titre, des ponts incontestables existent entre le propos des auteurs de » I Pittori » et notre monde contemporain, un monde qui ne s’intéresse au talent qu’à partir de l’instant où la signature d’un artiste peut se transformer en valeurs monnayables !
D’autres références aux réalités quotidiennes de nos » aujourd’hui » émaillent également ce livre, comme la place de la femme, et ses révoltes toujours nécessaires de nos jours.
Tout cela rend la lecture passionnante, intéressante, culturelle et historique aussi… Une lecture qui reste un vrai plaisir, de bout en bout, par la linéarité de la narration, par le charisme, également, de Vasco, et de son frère.
Même si, pour » entrer « , en tant que lecteur, dans l’histoire qui est racontée, il faut a-priori une certaine dose de culture générale, il suffit ensuite de se laisser guider, de se laisser surprendre, de se laisser dériver par un scénario dont le déroulé parvient toujours à laisser la place à la fois à l’aventure et à la fois à la culture.
Luc Révillon: l’art
Luc Révillon: les publics de Vasco
Les premiers Vasco étaient dessinés par Gilles Chaillet, avec tout le talent qui était le sien, un talent indubitable quant à la construction des décors urbains ou architecturaux. Dans la lignée de Jacques Martin, donc d’un classicisme évident qui a créé en son temps une bande dessinée devenue depuis un neuvième art à part entière, Gilles Chaillet a créé une belle épopée dessinée. Sa disparition aurait pu entraîner la fin de la série, mais il n’en a rien été. Et Dominique Rousseau, l’actuel dessinateur de Vasco, s’inscrit dans une double démarche : d’une part, il y a la nécessaire fidélité à ce qu’étaient l’art et le travail de Chaillet ; d’autre part, il y a une manière différente de raconter, graphiquement, une histoire. Rousseau, bien plus que son prédécesseur, aime ses personnages, profondément, et son trait, dès lors, ne se contente pas de magnifier des décors, mais il s’approche du plus près des visages et des gestes de ses protagonistes, leur offrant ainsi un véritable poids, une vraie présence.
Luc Révillon: le dessin
Au total, Vasco reste une série intelligente, culturelle, aux références historiques maîtrisées, tant au niveau du texte que du dessin.
Et ce » I Pittori » promet une suite dont on devine que les rebondissements, amoureux et aventuriers, seront nombreux !
Une réussite, donc, pour tous ceux qu’une histoire solide et fouillée ne rebutent pas !
Jacques Schraûwen
Vasco : 28. I Pittori (dessin : Dominique Rousseau – scénario : Luc Révillon et Chantal Chaillet – couleurs : Chantal Chaillet – éditeur : Le Lombard)