De la bande dessinée classique, un dessinateur belge, une intrigue souriante et animée, des personnages hauts en couleur : un bon moment de lecture à passer !
Nous sommes en 1959. Brian Bones, détective privé travaillant pour une compagnie d’assurances, va devoir enquêter sur une bien étrange disparition. Celle d’une voiture mythique, la Corvette 57, enlevée par des petits hommes venus de l’espace dans leurs ovnis lumineux !…
En fait, ce scénario correspond parfaitement à l’ambiance qui régnait dans ces années-là. Le monde se partageait entre deux blocs, les USA et leur libéralisme à outrance, et l’URSS et son communisme exacerbé. Il en résultait une peur de l’autre, au sens large du terme. Et la conquête spatiale qui commençait à faire plus que pointer le bout de son nez faisait rêver, certes, mais faisait aussi très peur. Le monde dit civilisé des Etats-Unis, et de tous les pays qui se blottissaient dans son giron, craignait une invasion venant de l’Est ou des étoiles !
Par son côté « sf », ce scénario, donc, colle à la réalité des années 50. Mais ce scénario est aussi, et surtout, une histoire policière qui mélange deux sortes de codes du polar, les codes français, avec des personnages qu’on pourrait trouver en toile de fond dans les romans de Léo Malet, et les codes américains, plus proches de Carter Brown que de Chandler.
A partir de ce mélange, Rodolphe construit une histoire efficace, vive, sans temps morts, un agréable divertissement. Un divertissement qui se poursuit, bien entendu, dans le dessin de Georges Van Linthout.
Un dessin qui se savoure dans ses détails : des animaux perdus dans les décors, des décors qui, urbains ou campagnards, donnent du rythme et de la profondeur de champ au récit, un récit dessiné qui adore représenter le quotidien des personnages, un réveil difficile, un verre que l’on prend à plusieurs, des mains qui se serrent… Le tout avec des couleurs qui, finalement, prennent peu de place…
Avec une série comme celle-ci, on se trouve, de manière flagrante, dans une bande dessinée qu’on ne peut que qualifier de « classique ». Van Linthout, à ce titre, est un dessinateur étonnant, capable de nous plonger dans des univers très graphiques, comme avec « Mojo », et de s’amuser, ensuite, à créer des personnages venus tout droit de ce qu’on peut appeler l’école de Charleroi, avec des femmes aux courbes évidentes, avec des amourettes souriantes, avec des rebondissements narratifs et graphiques simples sans être simplistes.
La BD est multiforme… Et passer un bon moment ou s’enfouir dans un récit qui fait réfléchir, ces deux pôles de la lecture font que cette multiplication des formes du neuvième art prouve toute sa qualité ! Et tout son intérêt !
Ce qui, personnellement, m’a plu dans ce livre, c’est le côté presque nostalgique de l’époque qui y est racontée et dessinée. Bien sûr, il y a les personnages, bien typés, avec leurs caractères reconnaissables à chaque expression dessinée. Les personnages féminins, entre autres, méritent assurément le détour, tout comme l’Indien !
Mais ce que j’aime vraiment, dans un album bd, c’est que le regard du lecteur ne soit pas focalisé sur la seule action en cours. J’ai toujours pensé que lire une bande dessinée, c’était aussi laisser ses yeux, et donc son imagination, voleter dans tous les coins et recoins d’une page, d’une image. C’est ce que faisait par exemple Franquin, avec un génie total. C’est aussi ce que font Walthéry ou Lambil. Et c’est bien ce qui se remarque également dans ce Brian Bones qui promène son héros dans une Amérique rêvée, une Amérique aux pulpeuses passantes, une Amérique aux paysages variés, une Amérique des années 50 peuplée de voitures toutes plus belles les unes que les autres, toutes bien plus originales que celles d’aujourd’hui qui se ressemblent toutes !
Brian Bones est un « privé » qui appartient à une vraie famille de bd, celle qui aime faire se rencontrer des récits « noirs » et un dessin souriant.
Et, dans ce style d’aventures policières, dans ce style d’histoires linéaires et sympathiques, Van Linthout et Rodolphe s’en donnent à cœur joie !
Jacques Schraûwen
Brian Bones, Détective Privé : 3. Corvette 57 (dessin : Georges Van Linthout – scénario : Rodolphe – couleurs : Stibane – éditeur : éditions Paquet)