Patrimoine bd, Histoire, Nature et Solidarité ! LISEZ !…
Trois livres très différents les uns des autres, trois univers qui n’ont que deux points communs : c’est de la bande dessinée, et ce sont trois occasions de passer le temps du confinement agréablement et intelligemment !
Tanguy et Laverdure : Spécial 60 ans
(12 auteurs – éditeur : Dargaud – 104 pages – parution : octobre 2019)
C’est en 1959 qu’Albert Uderzo et Jean-Michel Charlier, dans les pages du magazine Pilote, ont donné la vie à un duo d’aviateurs militaires qui allait, plus tard, faire aussi les beaux jours de la télévision. Nous sommes encore, à cette époque, dans l’après-guerre, tout en vivant déjà les réalités de la guerre froide. Et c’est dans cette thématique-là qu’il faut inscrire la création de ces héros indiscutablement militaristes. Comme l’était déjà Buck Danny, dans le journal Spirou, scénarisé également par Charlier. Les ressemblances entre ces deux séries sont évidentes : même univers, même effet narratif de deux personnages antinomiques, même glorification du combat contre les forces du mal, quelles qu’elles soient.
Je l’avoue franchement, le manichéisme de Charlier dans cette série et la mise à l’honneur très « cocorico » de l’armée française par le dessin d’Uderzo, tout cela ne m’a jamais plu, loin s’en faut ! Le militarisme sous toutes ses formes m’a toujours semble, en BD comme au cinéma, en littérature comme en discours politiques, plus qu’inutile : totalement inacceptable !
Cela dit, il s’agit ici d’une bd dessinée par Uderzo, pendant quelques albums. Et à l’heure où les hommages se multiplient, pourquoi ne pas se replonger aussi dans cette partie-là de sa carrière. Et puis, cet album met en évidence également le principe de solidarité, certes dans un milieu « uniformisé », mais de manière très accentuée.
A souligner dans cet album « hommage » comprenant plusieurs récits inédits, un joli scénario de Jean-Charles Kraehn, et, plus loin, un dessin extrêmement intéressant de Gilles Laplagne.
Une lecture réservée aux fans d’aviation, d’Uderzo et de discours patriotiques à la Deroulède !
Louisiana : 1. La couleur du sang
(dessin : Gontran Toussaint – scénario et couleur : Léa Chrétien – éditeur : Dargaud – 56 pages – parution : août 2019)
Le Western, ces derniers temps, revient à la mode, avec quelques superbes réussites, quelques belles surprises, quelques ratages conséquents aussi (non, je ne parlerai pas de l’inutile Blueberry !). Et on pourrait croire, en feuilletant ce « Louisiana », n’être qu’en présence d’un western de plus, traditionnel. Or, il n’en est rien, loin de là ! Tout d’abord, ce premier tome d’une série qui devrait en avoir trois m‘a fait penser, de par sa narration, au « Little Big Man » d’Arthur Penn. Avec une différence majeure : Louisiana ne parle pas des Indiens mais des esclaves noirs.
La narratrice vit en 1961. Une époque qui, on s’en souvient, a vu les mouvements de revendication des Noirs prendre une importance de plus en plus grande aux Etats-Unis. Et cette narratrice, cette vieille femme, décide de raconter l’histoire de sa famille, par écrit, pour que ses petits-enfants puissent savoir les horreurs qui ont construit cette Amérique à la démocratie balbutiante.
Le récit commence en 1805 et se termine, dans ce premier tome, en 1811. Il s’intéresse à une plantation en Louisiane, à son propriétaire, son épouse, sa fille et son fils. Et leurs esclaves qui, par ce qu’ils ont été achetés, appartiennent corps à âme à leur maître. UN maître qui abuse, ainsi, d’une esclave, la belle Samba, tandis qu’il offre à son fils une gamine que ce dernier met enceinte.
Très vite, avec de l’action, avec un dessin qui assume pleinement l’influence de Rossi ou de Giraud, avec des personnages qui, tous, ont « de la chair », avec une histoire qui est le portrait d’une époque, les auteurs nous parlent d’abord et surtout de la place des « nègres » et des « femmes » dans cette société patriarcale et raciste. Avec une phrase qu’on pourrait, qu’on devrait mettre en exergue, une phrase d’historien pratiquement : « Ne nous juge pas trop vite. N’oublie pas que la vie était différente à l’époque ». Avec aussi un regard sur la solidarité des femmes entre elles, premiers pas vers d’autres solidarités plus essentielles encore !
Le dessin est d’un réalisme parfois brutal, parfois cru, tempéré par la maîtrise des décors, des ambiances, et des visages féminins. Le scénario ne souffre d’aucune faille ni d’aucune facilité. La couleur, somptueuse, fait penser aux meilleurs des albums de Blueberry dessinés par Giraud.
« Louisiana » fait, sans aucun doute, partie des très très belles réussites dues à ce retour en grâce du Western ! Un livre à ne pas rater !
Waluk : 1. La Grande Traversée
(dessin : Ana Miralles – scénario : Emilio Ruiz – éditeur : Dargaud – 46 pages – parution : février 2020)
Et pour terminer mon choix du jour, voici un livre « tous publics », inscrit résolument dans l’air du temps, puisque, à sa manière, il nous parle de réchauffement climatique.
A sa manière, oui, en choisissant comme personnage principaux des animaux. Mais pas du tout de façon anthropomorphique comme avec Chlorophylle. On se trouverait plutôt dans un univers à la Kipling dans Le Livre de la Jungle, mitonné de l’ambiance des fables de Jean De La Fontaine.
Waluk est un ourson abandonné par sa mère sur la banquise. Il fait la rencontre d’un vieil ours presque édenté, Esquimo, avec qui il va apprendre la vie…
Les animaux parlent, entre eux, ils ont tous la même langue. Comme les animaux dans la jungle de Mowgli pour qui le maître-mot était « Nous sommes toi et moi du même sang ».
C’est vrai que ce livre s’apparente à certains moments à une fable, avec des moments de « morales » très simples, très immédiates. C’est vrai aussi que ce livre se révèle didactique lorsqu’il nous montre les humains, lorsqu’il nous parle de leur politique de gestion du monde animal. Mais c’est surtout un conte souriant, magique ai-je envie de dire, qui, au-delà de l’aventure de cet ourson, nous raconte la traversée d’une enfance, la traversée d’une existence, nous raconte, avec un texte simple sans jamais être simpliste, et sans angélisme non plus, la nécessité pour survivre avant que de vivre de créer entre les êtres une solidarité de combat.
C’est un album chaleureux, avec un dessin animalier particulièrement réussi, avec des couleurs qui nous montrent à voir superbement bien cette banquise et les ours blancs qui y vivent. C’est un livre très pictural, à certains moments, un peu comme si la dessinatrice hésitait soudain entre le réalisme et l’abstraction.
C’est un livre pour toutes et tous… Un livre à faire lire à vos enfants, ou à leur lire… Un souffle de fraîcheur, tout simplement !
Jacques Schraûwen