Agatha Christie, cette année, aurait eu 130 printemps. Et son œuvre est toujours à la mode : il suffit de voir les séries télés et les films qui, régulièrement, s’attaquent avec plus ou moins de succès à ses romans.
La Mystérieuse Affaire De Styles
(dessin : Romuald Gleyse – scénario : Jean-François Vivier – couleur : Patrick Larme – éditeur : Paquet – 64 pages – juillet 2020)
Il y a cent ans très exactement, Agatha publiait son tout premier roman. Un livre dans lequel la grande guerre, celle de 14/18 au cours de laquelle Agatha Christie fut infirmière bénévole, est présente, mais bien plus en filigrane qu’au cœur de l’intrigue.
Nous sommes en 1917. Dans une grande demeure, la propriétaire, remariée à un homme bien plus jeune qu’elle, meurt empoisonnée. Et c’est un certain Hercule Poirot, Belge expatrié pour cause de guerre, qui va résoudre l’affaire.
Les romans d’Agatha Christie sont, incontestablement, devenus pour la plupart d’entre eux des classiques de la littérature policière, de la littérature populaire qu’on appelait avec mépris, il y a quelques années encore, des « romans de gare ». Pour adapter un tel roman, il n’y a, je pense, qu’un seul secret : celui de respecter l’ambiance du texte de départ, d’une part, celui de respecter la qualité littéraire, d’autre part. Et donc, ce faisant, de faire une adaptation classique elle aussi à tous les niveaux.
C’est ainsi que le dessin de Romuald Gleyse s’inscrit dans la tradition de la bd classique, semi réaliste, efficace. Le scénario de Jean-François Vivier ne trahit rien du roman originel, avec quelques raccourcis bienvenus.
Et le grand intérêt de ce livre, c’est de découvrir un Hercule Poirot qui n’est pas encore trop imbu de lui-même, qui plaisante, qui s’intéresse, aux femmes. C’est aussi ce qui rend ce livre très agréable à lire, à découvrir.
Ils Etaient Dix
(dessin : Callixte et Georges Van Linthout – scénario : Pascal Davoz – couleur : Callixte – éditeur : Paquet – 80 pages – septembre 2020)
Ce livre est l’adaptation du roman « Dix petits nègres », qu’on a renommé pour satisfaire à une certaine vox populi… Personnellement, je n’ai jamais trouvé que le titre de départ avait quoi que ce soit comme connotation raciste, ni dans son intitulé ni dans le déroulement de son intrigue… Mais bon, acceptons ce côté politiquement correct, que Christie avait d’ailleurs accepté elle-même lors de la parution de ce roman aux Etats-Unis… L’île du Nègre devient l’île du soldat, mais, pour l’essentiel, le canevas du roman d’Agatha Christie est respecté.
Sur une île, un grand lieu clos, dix personnes se font assassiner, sans aucune explication logique ni rationnelle possible. On se trouve donc en présence d’une intrigue qui, avant Agatha Christie, avait été utilisée bien des fois. Le thème du lieu clos n’était pas neuf, certes, mais Christie a réussi à rompre avec tout ce qui avait déjà été écrit sur ce sujet, faisant de ce livre un vrai chef-d’œuvre de la littérature mondiale.
Il n’était pas évident de se lancer dans une adaptation de ce roman pratiquement choral, que des générations d’élèves ont lu le stylo à la main pour ne pas se perdre en route… Pascal Davoz a choisi une narration par séquences, pour, justement, permettre au lecteur de ne pas s’égarer dans une intrigue touffue.
Le scénario de Pascal Davoz réussit à mettre en avant tous les thèmes abordés par Agatha Christie : cette histoire parle des failles que tout être humain possède, elle tire dans tous les sens, attaquant la religion comme la justice, la médecine comme l’armée…
Tous les personnages, dont on sait qu’il ne restera personne en fin de roman, donc de bd, sont à leur manière représentatifs d’une des couches de la société. Et tous, grâce à un scénario bien charpenté et à un dessin tout en vivacité, tous prennent vie et prennent chair tout au long des pages de cet album.
Tous ces personnages incarnent, à leur manière, le poids de la destinée humaine. A ce titre, il est impossible de ne pas trouver dans l’histoire ici racontée des rapports presque immédiats avec les peurs, les soumissions, les lâchetés, les silences qu’on vit aujourd’hui. C’était une force d’Agatha Christie, aussi, que de faire de ses histoires des récits universels…
Le principe du lieu clos permet à cette adaptation d’être très théâtrale. Cette suite d’actes et de scènes sied particulièrement bien au dessin de Callixte pour l’essentiel du livre, à celui de Georges Van Linthout pour les dernières pages. On est un peu dans la veine classique de la bd policière des années 70 et 80, Avec une couleur sans tape-à-l’œil mais simplement au service du trait, des décors, des ambiances.
C’est un album classique, oui, et c’est loin d’être un défaut, puisque le plaisir de la lecture est au rendez-vous.
Jacques Schraûwen