Prix de la Fédération Wallonie Bruxelles de la première œuvre en BD – Un avis mitigé !
C’est à un livre à l’accès très particulier que ce prix a été remis… Un livre très éloigné de tous les codes traditionnels de la bande dessinée. Un véritable « Objet Dessiné Non Identifiable »…
Quatre chapitres… Une cinquantaine de planches totalement muettes… Une narration qui, à aucun moment, ne se veut facile… Des couleurs essentiellement chaudes dans lesquelles les personnages non identifiables se perdent et semblent s’immerger… Des symboles inconnus dans lesquels, malgré tout, on retrouve des thèmes universels, celui de la mort, celui de l’ailleurs… Des dessins aux traits le plus souvent absents… Des passants qui, tous, semblent être les copies les uns des autres… Un graphisme qui paraît presque imposé au papier par des mains enfantines…
C’est vraiment à un album étrange que ce prix a été décerné, il faut l’avouer. Et pour comprendre un tant soit peu ce que ce livre nous raconte, ou essaie plutôt de nous montrer, il faut attendre l’ultime page, sur laquelle Aurélie Wilmet nous donne la signification des quatre intitulés des chapitres de cet album.
Et on comprend alors qu’on ne se trouve pas uniquement en présence d’un exercice de style quelque peu narcissique, et assez fort, également, hermétique.
Tout se déroule dans le Nord de l’Europe, en Norvège peut-être.
Tout se concentre sur un mysticisme quotidien au cœur du quotidien d’un village perdu loin de tout, loin de tous.
Mourir en mer, pendant la pêche, ce n’est, pour la foi et la tradition des habitants de ce lieu, qu’un passage de l’âme qui, le corps étant noyé, se mêle à des bancs de poissons pour pouvoir, un jour, un instant, traverser le monde des apparences, celui du deuil, et se plonger dans l’univers du brouillard.
Je parlais de symboles, ils sont nombreux… La mer, bien entendu, celle dont Baudelaire disait qu’elle était la compagne essentielle de l’Homme. La mer qui, par allitération, devient la mort, s’éloignant ainsi de l’habitude poétique de mêler mort et amour. Il y a un chat, que l’on pend, que l’on éviscère, comme pour contrer la possession, par les poissons que l’on sèche, de l’âme du défunt. Il y a des loups, et leurs libertés, ponctuées, dans ce livre, par leurs regards.
Je dois faire un aveu. Devant ce livre, je suis comme « Les Bidochon » devant un tableau abstrait : « est-il beau ou pas, est-il fini, le titre n’aide en rien la compréhension, y a-t-il quelque chose à comprendre ? » !
Il y a une chose dont je suis certain, pourtant, c’est que ce livre, ce premier livre est à la fois très ambitieux dans sa thématique et très minimaliste dans sa forme et que, de ce fait, il ne pourra séduire, malgré la récompense obtenue, qu’une frange très limitée des lecteurs de bande dessinée.
Cela dit, il n’est pas désagréable du tout de se balader dans les planches de ce livre sans chercher à les comprendre, de se laisser entraîner, en quelque sorte, par une promenade colorée dans un graphisme muet et refusant de se laisser appréhender par l’esprit. Il y a une part d’abstraction, il y a une part aussi de refus de tout lyrisme, de toute explication… Il y a de la part de l’auteur, surtout, une volonté presque adolescente de se couper de tous les passés de l’art que, pourtant, elle veut pratiquer, celui que l’on dit neuvième.
Ce genre de bande dessinée, ce n’est pas, selon l’expression consacrée, ma tasse de thé, loin s’en faut ! Je reconnais cependant que ces « recherches » expérimentales ont une utilité, celle de dépasser les limites des habitudes de la création. Mais je reste persuadé qu’une bande dessinée, quelle qu’en soit la technique, se doit d’aller vers le lecteur et de ne pas attendre qu’il fasse seul l’effort de comprendre, donc de pouvoir apprécier, aimer ! Et ici, force est de reconnaître qu’il y a, à mon avis, rupture dans cet échange-là, primordial dans toute création littéraire et/ou graphique…
Un livre intéressant, donc, pour les curieux, pour celles et ceux qui ont envie de découvrir ce que le mot « modernité » signifie, dans la bande dessinée, avec son lot de ruptures volontaires (et brutales…) avec la tradition… Un livre qui, indéniablement cette fois, montre que l’auteure a un vrai talent de dessinatrice, et que, peut-être, c’est ce talent, perdu dans les méandres d’un non-récit, que ce prix a couronné… C’est mon avis… Et je l’espère « juste », parce que, sinon, ce serait la preuve, une fois de plus, que les prix officiels, à Bruxelles comme à Angoulême, oublient que la réussite de toute création dépend aussi, et surtout peut-être, des lecteurs !
Jacques Schraûwen
Rorbuer (auteure : Aurelie Wimet – éditeur : Super Loto Éditions – une cinquantaine de pages – sortie : novembre 2020