Niala

Erotisme sans tabou pour une bd souriante et iconoclaste

Des censeurs bien-pensants ont demandé l’interdiction de ce livre, l’accusant de racisme et de sexisme, créant une pétition signée par quelques milliers de demeurés qui n’en avaient bien évidemment pas lu une seule page. Glénat, l’éditeur, ne s’en est pas laissé compter, et voici que ce livre est en librairie !

Niala © Glénat

N’était-il pas temps que le mythe de Tarzan, l’homme-singe, le seigneur de la jungle, soit battu en brèche, après avoir été ridiculisé par Picha et Gotlib, entre autres ? C’est désormais chose faite avec Niala, l’esprit de la forêt, une femme élevée par les bonobos et appliquant à merveille leurs techniques pour éviter les différends !

Niala, donc, de manière évidente, n’a rien de raciste ni de sexiste, loin s’en faut ! Et elle s’inscrit, en outre, dans une certaine tradition de la bd.

Niala © Glénat

Les années 70 et 80 ont été, pour la bande dessinée, riches en audaces de toutes sortes. Quand je parle d’audaces, je veux dire de manières différentes de faire de la bande dessinée, de quitter le monde bien sage des « petits mickeys » et de la tout aussi sage « ligne claire » pour s’aventurer sur de nouvelles routes, tant au niveau des scénarios que du dessin.

Ce fut l’époque du magazine « À Suivre », de l’avènement d’Hugo Pratt, de quelques anti-héros tous-publics comme Martin Milan, des pastiches provocateurs de Pilote et de Gotlib, également.

Ce fut, en même temps, l’arrivée sur le marché du neuvième art de l’érotisme, voire même de la pornographie. Avec Manara, avec Levis, avec Pichard et son sulfureux et sublime « Marie-Gabrielle de Saint-Eutrope ».

L’érotisme hard s’est ainsi d’abord conjugué dans un mode sérieux… Mais, très vite, l’humour a pris sa place dans cette bd interdite aux moins de 18 ans, avec, entre autres, le mal dessiné mais jouissif « Titi fricoteur »… Avec les gags en une planche de Dany, avec les « Petites femmes » de Seron également.

Niala © Glénat

Eh bien, avec Niala, on en revient à ce genre de bande dessinée… Une bd sans complexe, sans tabou, sans pudeur, et terriblement souriante.

Dans la jungle, terrible jungle, la vie de la tribu des hommes-totems est rythmée par un rituel immuable, celui de la longue nuit.

Les jeunes hommes se doivent de passer la nuit loin de leur village et de découvrir, au long de cet éloignement périlleux, ce qu’est leur animal-totem. Un rite initiatique propre à toutes les civilisations, et qui marque le passage entre l’adolescence et le monde adulte.

Mais voilà, dans cette jungle, ce que les jeunes guerriers trouvent, c’est l’esprit de la forêt, la belle et dénudée Niala, qui leur fait découvrir, certes, leur animal totem, mais, en même temps, le respect de celui-ci pour tous les symboles amoureux qu’il peut revêtir ! Et, surtout, qui les fait passer à l’âge adulte de façon très charnelle !

Et ce sont les membres de cette tribu qui vont rythmer les quelque sept histoires contenues dans cet album.

Des histoires dans lesquelles la bonne morale perd bien des plumes, puisqu’une chorale de religieuses apprend, avec Niala, que la voix juste est celle qui vient de la chair… Puisqu’un prêtre pour le moins intégriste va découvrir, grâce toujours à cette femme esprit de la forêt, le plaisir, et, en même temps, son homosexualité… Puisqu’un couple de scientifiques fiancés mais très coincés vont se décoincer au contact des bonobos et des souvenirs de Niala, et comprendre qu’il y a des objets qui peuvent apporter bien du plaisir… Puisqu’un imitateur de Tarzan va comprendre qu’il y a mieux à faire que de devenir maître de la nature tout en s’initiant, toujours avec Niala, aux feux des plaisirs solitaires…

Niala © Glénat

Ce livre n’est pas, soyons honnête, un chef-d’œuvre du neuvième art. Mais dans le genre, il est réussi et parvient même, n’en déplaise aux censeurs amateurs (femmes, hommes, noir(e)s ou blanc(he)s), à avoir un certain discours libertaire et, ma foi, féministe… Les hommes, en effet, n’y ont pas vraiment le beau rôle, ni en pouvoir, ni en intelligence ! Et les « Blancs » y sont largement inférieurs aux « Noirs »…

Le scénario de JC Deveney est vif, entraînant, avec quelques jeux de mots bien venus, et laissant la place au plaisir des yeux. Au plaisir du dessin de Christian Rossi qui, loin de son côté réaliste « classique », s’est indubitablement amusé à raconter cette histoire à l’érotisme libéré et libertin !

Il faut souligner aussi le travail des coloristes, Elise Follin et Ariane Borra, qui évitent toute vulgarité propre, souvent, aux bd érotico-pornographiques sans âme…

Niala, ce n’est pas un chef d’œuvre, mais ce n’est pas non plus un album sans âme !

C’est un album qui nous parle de désir, et qui se lit avec plaisir !

Avec quelques phrases, ici et là, qui ne manquent pas de créer quelques réflexions…

Extraits choisis : « Ca se saurait si démocratie et plaisir allaient de pair… » – « Parfois, il faut traverser l’enfer vert pour trouver son jardin d’Eden. » – « Le désir n’est pas quantifiable. Ce n’est pas une eau qu’on épuise, mais une source qu’il faut laisser jaillir sans fin. ».

Niala © Glénat

Et comme à toute fable il faut une morale, fût-elle « hard », je vous propose cette citation qui termine l’album : « Le désir est une jungle affolante, le désir est une jungle qu’on ne veut plus quitter ».

Ne boudons pas le plaisir simple de passer un bon moment avec une bd quelque peu affriolante ! Et oublions tous les pisse-froid qui nous entourent en nous plongeant dans les aventures de Niala, héritière de la mythique Jungla du dessinateur Fenzo, en 1968, année de liberté et de libertines créations !

L’érotisme, en bd comme ailleurs, c’est aussi une liberté essentielle !…

Jacques Schraûwen

Niala (dessinateur : Christian Rossi – scénario : JC Deveney – coloristes : Elise Follin et Ariane Borra – éditeur : Glénat – mars 2021 – 72 pages)