Mea Culpa : Jean Van Hamme peut aussi se révéler un excellent scénariste !
Un livre à relire, à tout prix ! Un regard d’hier sur un avenir qui semble ressembler de plus en plus à notre présent !…
J’ai ici, en chroniquant le dernier livre scénarisé par Jean Van Hamme (La fortune des Winczlav), donné mon avis (sévère selon certains) quant aux thématiques de ses récits… Je ne change pas d’opinion, mais je me dois cependant de reconnaître que la plupart de ses histoires m’ont plu, le temps, en tout cas, de quelques épisodes… Les séries interminables dont il est coutumier me paraissent, ne vous en déplaise, répétitives et lassantes… Mais Van Hamme a un talent de raconteur, c’est vrai ! Mais il a aussi une obsession du pouvoir sous toutes ses formes, c’est également vrai !
Cependant, il m’est venu l’envie de me replonger dans ses anciennes bandes dessinées, pour justifier mon avis peut-être, pour pouvoir, surtout, le peaufiner… Et c’est en lisant le premier « S.O.S. Bonheur » que je me suis souvenu de l’effet que cet album avait eu à sa sortie…
Il y avait d’abord ce moyen narratif étonnant, à l’époque : ne pas choisir, comme fil conducteur, des personnages, mais un monde, une société. Et, en quelques nouvelles dessinées, montrer le poids de cette société sur le quotidien des gens, des gens comme vous, comme moi…
Certes, Jean Van Hamme s’intéressait là, déjà, au pouvoir, à l’ambition. Mais il le faisait alors en se plaçant, ouvertement, du côté des « opprimés », avec un sens extrêmement pessimiste de l’existence. Il évitait aussi ce qu’il a, par la suite, utilisé jusqu’à l’usure : la violence gratuite et « voyeuse », le sexe inutile, les héros dont les failles ne sont que broutilles en regard de leurs qualités !
« S.O.S. Bonheur », c’était, en 1988, un album qui se démarquait totalement de tout ce qui existait, à l’époque, dans la bd de SF populaire, ouverte à toutes et à tous… C’était un ensemble de petites histoires qui étaient toutes le constat d’un monde au totalitarisme accepté par tout un chacun.
C’était un album dans lequel les personnages se débattent plus qu’ils ne se battent, humains, d’abord, face à un monde déshumanisant, déshumanisé.
Et là, face à ce livre dont je n’avais pas une grande mémoire, je n’ai pu que comprendre combien le regard de Jean Van Hamme pouvait se révéler à la fois visionnaire et subversif, politiquement incorrect en tout cas.
Visionnaire, oui…
Ne nous y parlait-il pas d’une « carte universelle », comprenant toutes les données individuelles de son possesseur ?
Ne nous décrivait-il pas une société occidentale dans laquelle les libertés individuelles n’existent plus ?
Ne nous y montrait-il l pas un monde dans lequel le pouvoir, absolu, est aussi, surtout peut-être, sanitaire ? La santé des citoyens, dans le monde dont nous parle Van Hamme, est éminemment politique ! Comme le disait un politicien bruxellois il y a quelque temps, il s’agit, dans le monde politique que Van Hamme nous montre, de faire le bonheur des gens même contre eux !
« S.O.S. Bonheur », ce n’était pas de la science-fiction, c’était de l’anticipation, de la meilleure veine, comme chez Asimov, Andrevon ou Bradubury avec son « Fahrenheit 451 ».
« S.O.S. Bonheurs », c’est de la toute grande bande dessinée, essentielle, importante, aujourd’hui plus que jamais sans doute. Et c’est à la fois la preuve du talent de raconteur d’histoires de Van Hamme et de sa qualité humaniste quand il réussit à s’écarter des seules recettes qu’il a (trop) largement utilisées depuis…
Jacques Schraûwen
S.O.S. Bonheur (dessin : Griffo – scénario : Van Hamme – éditeur : Dupuis – six tomes réédités en intégrales)