Réalisme et mystère d’après Gaston Leroux
Les romans de Gaston Leroux, écrivain du début du vingtième siècle, appartiennent souvent à un genre bien précis de la littérature policière : les crimes dans des lieux clos. Avec, à la clé, des enquêtes qui aiment à se perdre dans les dédales d’un certain sens du fantastique.
Et cet album, dû aux talents conjugués de Rodolphe au scénario et de Leo au dessin, est une adaptation en noir et blanc d’un des livres les plus connus, les plus fameux de Gaston Leroux : « Le Mystère de la Chambre Jaune ». Une jeune femme se fait agresser dans une chambre fermée de l’intérieur, avec des barreaux solides aux fenêtres, sans aucun passage secret, et nul n’y retrouve l’agresseur ! Pour mener l’enquête, en parallèle de la police, un jeune journaliste, Joseph Rouletabille.
Les romans policiers de cette époque, en France, se caractérisent par le plaisir qu’avaient leurs auteurs, à l’instar un peu de la littérature policière britannique, à multiplier les pistes, à démultiplier même les événements secondaires amenant, chacun, à des révélations, des découvertes qui peuvent aider à la résolution du mystère. Dans un roman, cet exercice de style est comme un jeu entre l’auteur et son lecteur. En BD, comme au cinéma, la chose est infiniment plus ardue, et l’important est de ne jamais baisser d’intensité, de peur de perdre le lecteur en cours de route.
Rodolphe, en scénariste chevronné, a choisi, pour ce faire, la voie du classicisme, et son traitement d’un sujet qui pourrait filer dans tous les sens et qui reste cependant totalement linéaire est parfaitement réussi, je tiens à le dire !
Le dessin de Leo, classique lui aussi, d’un noir et blanc tranquille, nous plonge avec un vrai plaisir dans une époque révolue, grâce à des décors soignés, des vêtements et des objets qui, pour discrets qu’ils soient de page en page, contribuent à créer l’ambiance désuète mais d’une belle mélancolie de cette histoire qui parle d’amour, de violence, de science, de chasse, de bellâtre, et de journalisme.
Les seuls reproches que j’ai, en fait, sont assez minimes… L’une ou l’autre faute d’orthographe (voir ou lieu de voire, par exemple), et de petites erreurs de perspective dans la mise côte à côte des personnages. Mais ces minuscules manquements n’enlèvent rien, croyez-moi, à l’intérêt de ce livre, tout simplement beau !
C’était la force de Leroux de parler de choses qu’il connaissait : il fut journaliste avant d’être écrivain, et tous les personnages de ses romans, de « Rouletabille » à « Chéri-Bibi », du « Fantôme de l’Opéra » à « La Poupée sanglante » s’inspirent, incontestablement, de réalités que le journaliste Leroux a rencontrés peu ou prou dans sa vie. Et cette véracité se retrouve parfaitement dans cet album.
Je me dois d’avouer que je n’ai jamais été fan de Leroux, auquel je préférais la folie douce et libertaire de Leblanc et de son Arsène Lupin. Mais je me dois de reconnaître que cet album (à suivre !…), outre sa qualité intrinsèque et évidente, donne l’envie de se plonger dans les romans de Gaston Leroux !
Cette bande dessinée n’est pas neuve, mais inédite, pour différentes raisons explicitées en fin de volume.
Et grâce soit rendue à l’éditeur « Une Idée Bizarre » d’avoir enfin édité cette histoire, et de l’avoir fait d’une manière superbe : un grand format, des planches en noir et blanc, une reliure qui fait penser aux vieux albums du Lombard des années 50… Un vrai plaisir des yeux… et des doigts…
Il ne s’agit certes pas d’une maison d’édition traditionnelle dont vous pouvez trouver les livres chez votre libraire. C’est un éditeur qui se veut associatif, et qui ne s’intéresse qu’à des livres inédits ou à des suites de séries interrompues pour différentes raisons. Un éditeur qui les édite avec un vrai respect de l’œuvre au niveau de la présentation (26 cm x 36 cm – dos toilé – noir et blanc du dessin), et, ma foi, à des prix qui ne sont pas prohibitifs. Des livres en vente exclusivement sur le site internet de cet éditeur. Un site que je vous engage à aller visiter, et qui met en évidence quelques albums qui méritent vraiment le détour, avec des noms comme Jean Dufaux, Luc Cornillon, Armand, Caza… (https://uneideebizarre.wixsite.com/accueil/albums)
Jacques Schraûwen
Le Charme du Presbytère (dessin : Leo – scénario : Rodolphe, d’après Gaston Leroux – éditeur : Une idée bizarre – 56 pages)