Tout le monde connaît le petit village de Saint-Saturnin, pour s’y être arrêté par hasard ou y être passé en coup de vent. Mais n’allez pas croire que les petits villages tranquilles et perdus loin de tout sont sans mystères !
A Saint-Saturnin, sur la place principale, il y a eu, il y a longtemps, une fontaine publique.
On l’a détruite, parce qu’elle gênait la circulation. En espérant sans doute que son absence permettrait à plus de touristes de passage de s’arrêter.
Sur un coin de rue donnant sur cette place, il y avait le « café de la fontaine », un bistrot de vieux tenu par des vieux, juste à côté d’une station-service.
Et puis un des propriétaires de ce café peu achalandé est mort… Le mari ou la femme, personne ne le savait vraiment. Toujours est-il que ce lieu sans relief resta fermé pendant un bon bout de temps. Jusqu’à ce qu’arrive, de Balarin-les-flots, un nouveau propriétaire.
Emile… Il a rebaptisé tout naturellement son acquisition de son nom. Il a repeint, il a un peu rénové, il a ajouté des fleurs. Et il a laissé la porte ouverte. Et, surtout, il a ri…
Cela changeait ces anciens propriétaires, ces rires et ces sifflotements continuels qui faisaient la caractéristique de ce bistrotier. D’une place publique qui n’était qu’un lieu sans relief, Emile fit, en peu de temps, un endroit de rencontres, de sourires, de vie tout simplement.
Tout le monde s’y retrouvait, jeunes ou vieux, riches ou pauvres, gendarmes et, probablement marlous.
Tout le monde venait chez Emile, et cela faisait marcher le commerce dans tout le quartier. La boucherie, l’épicerie et la boulangerie oublièrent leur léthargie et virent leurs affaires reprendre.
Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Certes, on se demandait où allait Emile, une fois par semaine, le jour de fermeture de son bistrot… Mais sans plus !
Jusqu’au jour où Emile a fermé son café, l’a vendu, s’en est allé, laissant s’installer, à la place de ce bistrot une agence bancaire ! Tenu par un bonhomme austère et par son assistante, jeune et au bagout terriblement efficace.
Je ne vous raconte pas la suite… Elle ressemble à une enquête policière, sans l’être vraiment.
Ce que je peux dire, ce que je veux dire, c’est que ce petit livre de quelque 95 pages est diablement sympathique.
De par son dessin, d’abord. Souple, simple, vif, allant à l’essentiel, c’est-à-dire aux visages et aux attitudes, dans la lignée aussi de dessinateurs comme Wolinski ou Autheman. Autheman à qui est dédié ce livre, d’ailleurs, au travers du lieu de « Balarin-les-flots »
Mais au-delà du récit en tant que tel, une histoire qui est celle de quelques personnages quotidiens, des femmes et des hommes qu’on croise dans tous les villages, dans tous les quartiers, dans toutes les cités, derrière cette aventure qui n’a rien d’aventurier ni d’exceptionnel, l’auteur, Bruno Heitz nous parle de la vie, tout simplement…De notre vie, de notre société, de notre monde qui, de changement en changement, de progrès en progrès, élimine lentement mais sûrement ce qu’est véritablement la vie en société, socialement, culturellement. Il nous rappelle, sans bruit, que la première des cultures à laquelle nous appartenons, ou devrions appartenir, c’est celle de notre existence mêlée aux existences de nos voisins. Le premier des réseaux sociaux, c’est celui de la rencontre, de regards en échange, de verres bus ensemble, d’éclats de rires inattendus.
La symbolique est évidente, d’ailleurs, de voir un bistrot populaire remplacé par une banque qui, petit à petit, coupe tous les liens humains qui existaient : le facteur comme élément important pour que subsiste, d’âge en âge, un lien social réel… La petite épicerie, la boulangerie artisanale, la coiffeuse désormais obligée de faire elle-même le café pour ses clientes…
Le bistrot d’Emile, c’était la convivialité sans froufrous. La banque, c’est le monde de l’argent et d’une certaine forme de progrès qui ne cherche qu’à détruire ce qui appartient à « hier »…
De ce fait, on peut dire de ce petit livre, qui annonce d’autres chroniques de Saint-Saturnin, qu’il est une fable. Une fable amorale de par sa fin, vous verrez, mais ne fable qui, en cet aujourd’hui fait de distanciations obligatoires, éveille des échos évidents !
Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé ce petit livre, vite lu, tendre sans manichéisme facile, sans caricature non plus. Un livre très humain, finalement, comme devraient l’être nos quotidiens à toutes et à tous !
Jacques Schraûwen
Les dessous de Saint-Saturnin – 1. Le Bistrot d’Emile (auteur : Bruno Heitz – éditeur : Gallimard – mai 2021 – 95 pages)