Je ne comprendrai jamais cette politique éditoriale qui tend à ne donner un temps de vie que restreint aux livres… Je croirai toujours à l’importance de parler, encore et encore, des livres que l’on aime, qu’on a aimés. Et c’est, pour moi, le cas de ce « Déracinée » !
Prenons, voulez-vous, une famille qui vit à la campagne. Une famille nombreuse : un père, une mère, et six enfants. Parmi ces six enfants, deux filles placées en famille d’accueil.
Et la vie coule, lentement, au fil des âges et du temps qui passe.
Billie, la fille aînée de cette famille s’en est allée vivre à Bruxelles, pour y suivre des études qui ne l’enthousiasment plus.
Un coup de téléphone de sa mère va précipiter les choses, pour elle : une de ses sœurs, Soledad, est repartie, sur décision de justice, chez sa mère biologique. Et Billie, dès lors, abandonne la grise capitale qui se pense et se voudrait européenne pour aller rejoindre sa « tribu ». Pour être aux côtés, simplement, de ses parents, de sa fratrie, de toute sa fratrie.
D’emblée, on se plonge ainsi dans le quotidien le plus banal d’une jeune femme, dans les gestes au jour le jour d’une famille, dans les interrogations de la jeunesse quant aux possibles de l’avenir, dans les angoisses et les failles, les éclats de rire et les larmes muettes.
Une famille d’accueil, c’est une famille qui s’occupe d’un enfant retiré à sa famille biologique par la justice. Une justice qui, en Belgique du moins, se soucie peu, finalement, de tout ce qui peut ressembler à un sentiment, pour ne s’intéresser qu’au seul aspect matériel d’une protection de l’enfance.
Ce livre ne nous parle de combat pour récupérer un être aimé, il ne nous parle pas de révolte, il ne nous décrit pas des colères et des désespoirs insoutenables.
Il nous raconte quelques tranches de vie, tout simplement.
L’auteur, Tiffanie Vande Ghinste parle de ce qu’elle connaît.
Ce livre, dans lequel elle se dévoile sans inutile retenue, c’est sa vie… Ou à peu près, comme elle le dit elle-même : « Cette histoire est vraie et n’est pas vraie. J’ai inventé tous les éléments que vous allez suivre, mais je n’ai rien inventé de toutes les émotions que j’ai pu ressentir. »
Et ce livre est, d’abord et avant tout, un livre d’émotion, oui. Tout en étant un portrait de cette famille, cette « autofiction » n’a pas peur de parler et de montrer les vrais problèmes, les vraies difficultés inhérentes à une construction psychologique en famille d’accueil.
L’auteure, ainsi, n’évite pas les difficultés relationnelles qui naissent dans une telle famille, entre les parents, entre frères et sœurs, également… Elle évite encore moins les véritables difficultés plus tristement et bêtement administratives qu’humaines et humanistes d’une justice qui, de papelard en papelard, de subjectivité d’un jugement rapide en manque de temps pour des réflexions en profondeur, se révèle aveugle, encore, toujours.
Très marqué de réflexions psychologiques, de celles que les familles d’accueil bénévoles vivent au quotidien, ce « Déracinée » est cependant un livre extrêmement lumineux. Un livre qui décrit plusieurs existences qui ne peuvent sourire qu’en se mêlant les unes aux autres, même au feu des conflits qui ne peuvent que naître, comme dans tout groupe humain.
C’est un livre lumineux, oui, par son traitement tout en douceur, tout en observations frontales, ai-je envie de dire. Par son graphisme, aussi, ensoleillé même sous la pluie, aux couleurs d’une belle transparence, au dessin simple sans jamais être simpliste.
C’est un livre qui pose des vraies questions quant à la place, dans notre société, pour les enfants, tous les enfants, ceux en difficulté comme les autres. Quant au sens même du verbe « éduquer », aussi.
Quant à la nécessité, tellement oubliée, non pas d’une solidarité de salon, mais d’un partage de sentiments et de sensations.
C’est un livre attendrissant, émouvant, c’est un livre « vrai », profondément.
C’est un livre plein d’humour, également.
C’est un livre sur la passion sans laquelle vivre devient une simple routine.
C’est un livre qui ouvre des horizons à nos intelligences, à nos approches de l’existence, la nôtre et celles des autres.
Jacques Schraûwen
Déracinée – Soledad et sa famille d’accueil (auteure : Tiffanie Vande Ghinste – éditeur : La Boîte à Bulles – avril 2021 – 128 pages)