L’univers d’Hergé est un monde extrêmement codifié, tant au niveau du graphisme que de la narration. C’est d’ailleurs aussi ce qui en fait la qualité, ce qui a permis et permet encore aux exégètes de briller tout au long de leurs toujours nombreuses analyses.
Personnellement, je me suis toujours senti mal à l’aise dans un monde dont les frontières sont tracées d’éternité et pour les siècles des siècles !
Voilà pourquoi je continue aujourd’hui à vous inviter à mon abécédaire amoureux et subjectif de la bande dessinée, dans un ordre alphabétique né de l’anarchie de ma mémoire !
La littérature policière a été pendant très longtemps reléguée au rayon des œuvres sans grand intérêt, à classer dans le domaine de la littérature de gare…
Heureusement que cet ostracisme culturel n’existe plus vraiment ! Une aventure policière, c’est l’occasion pour un auteur de créer un microcosme qui peut dépasser les limites du seul récit. Un « polar », c’est un canevas dans lequel la tragédie, dans son acceptation antique, peut s’inscrire et prendre vie. La tragédie, oui, puisque les bons livres policiers nous renvoient toujours à une image de nos propres délires, de nos propres angoisses, et des réalités qui nous entourent.
Et mon alphabet me conduit à la lettre M.
M comme Léo Malet, écrivain extraordinaire qui a créé le personnage décalé et désespéré de Nestor Burma. Un personnage que le cinéma a voulu s’approprier en ne réussissant qu’à produire quelques tristes navets. Un personnage que le neuvième art a réussi à magnifier au travers d’une rencontre totalement réussie entre Malet, l’écrivain, son univers et Jacques Tardi, un des dessinateurs les plus importants dans ce qu’est l’Histoire de la bande dessinée. Un dessinateur qui a donné vie à l’image que les lecteurs de Malet (dont je faisais partie) avaient de Nestor Burma.
Mais Léo Malet, ce fut aussi un poète surréaliste, ce fut un anarchiste, également, avec une « Trilogie noire » sombre, désespérante, nous décrivant des existences vouées à l’échec et à la mort par un dieu hasard indestructible. Une adaptation en fut faite également en BD, avec un scénario de Bonifay fidèle aux romans, avec un dessin de Daoudi, réaliste sans tape-à-l’œil et particulièrement efficace. À redécouvrir… Chez Casterman, comme pour Nestor Burma.
La souvenance est ce qu’elle est, hasardeuse… Et elle me mène maintenant à la lettre C, avec un autre héros incontournable du spleen et de l’anti-héroïsme, le sublime Canardo, dû à Benoît Sokal, chez Casterman (après Pepperland) également… De la BD «anthropomorphe » qui permettait à son auteur de dénoncer toutes les absurdités d’une société aux bourgeoisies et aux politiques unies dans une lutte sans merci contre l’individu et ses libertés.
Dans les méandres de cette lettre C, je retrouve également un auteur dont l’hyperréalisme noir et blanc mélangeait le sens du récit explosé et de l’illustration somptueuse. Je veux parler de Jean-Claude Claeys. Il n’a, je pense, qu’une dizaine d’albums à son actif, mais quels albums ! Le graphisme y était maître absolu pour des histoires qui mêlaient avec plus que du talent tous les ingrédients du polar à l’américaine ! Magnum Song est à relire, à redécouvrir, croyez-moi !
Et toujours dans cette lettre ô combien prolixe, je me dois également de m’arrêter à un personnage certes plus traditionnel, celui d’un flic à la Maigret, mais traité avec une sorte de distanciation acerbe. Je veux parler du Commissaire Raffini, une série due à Rodolphe au scénario et Ferrandez d’abord, Maucler ensuite au dessin. Une série qui n’a pas réellement trouvé son public et s’est ainsi baladée d’éditeur en éditeur… Pourtant, quel beau personnage que ce commissaire, qu’on peut rattacher tout autant à Simenon qu’à Mankell ou Vargas !
Prendre le temps, en lisant, de s’écarter des sentiers battus, c’est un peu ce que font les écrivains et les dessinateurs lorsqu’ils abordent le « polar »… C’est ce que je vous souhaite de faire, en vous plongeant dans ces quelques livres qui, étrangement, datent tous des années 80…
Jacques et Josiane Schraûwen