Martin Jamar et Jean Dufaux unissent leurs talents, une fois encore, pour nous faire découvrir un personnage historique oublié, un homme habité par une foi profonde.
Dans tous ses scénarios, ou presque, Jean Dufaux met en évidence des quêtes qui, pour aventurières qu’elles soient, pour épiques, fantastiques ou même ésotériques qu’elles s’assemblent, sont toujours le symbole d’un humanisme évident. Celui de la tolérance, celui du doute, celui de la conviction, donc de la Foi, au sens le plus large du terme.
Léautaud, tout au long de son indispensable «Journal», a vilipendé bien souvent les « littérateurs » qui n’étaient que des faiseurs, ces écrivains n’écrivant qu’avec leur imagination et leur besoin de renommée, ces tâcherons parlant de ce qu’ils ne connaissent pas. Il s’est même amusé à mettre en évidence certains de ces écrivains qu’il avait, au début de leur carrière, admirés, comme Gide ou Duhamel.
Avec Jean Dufaux, tel n’est pas le cas. Ce scénariste prolixe se révèle dans l’univers du neuvième art comme un auteur complet, éclectique et n’abordant comme sujets que ceux qui le passionnent. Et la première de ses passions, c’est sans doute l’Histoire.
Avec Matteo Ricci, comme il l’avait fait avec « Vincent » et « Foucauld », c’est au domaine de la Foi qu’il s’intéresse, une foi qui s’inscrit profondément dans une réalité historique dont il réussit à décrire à la fois les émerveillements et les dérives.
Matteo Ricci fait partie de l’histoire de la religion catholique comme de celle de la Chine. Au seizième siècle, ce religieux s’est fait passeur d’idées et de science entre l’Orient et l’Occident.
Dans ce livre, Dufaux et Jamar nous racontent son arrivée dans la patrie de Confucius et tous les efforts qu’il a dû faire pour parvenir à rencontrer l’Empereur. Au-delà des intrigues de palais, de la présence d’un prêtre européen intransigeant, ce qui intéresse Dufaux dans ce livre, c’est de nous raconter un Homme pour qui la foi ne peut être que tolérante. Ne dit-il pas d’ailleurs, ce personnage :
« Allons au-devant de ce monde, en essayant de le comprendre, d’en reconnaitre les beautés et les richesses. Même si celles-ci échappent à notre entendement et à notre foi ».
Je crois que c’est Malraux qui disait que le vingt et unième siècle serait mystique. Dufaux nous prouve lui, de livres en livres, que les mysticismes ont existé de tout temps, et que ce sont eux qui finalement, sous-tendent depuis toujours les actions de l’Homme. En « bien » comme en « mal »…
Et dans ce livre-ci, en nous donnant à voir de près un religieux qui se heurte à une logique qui n’est pas la sienne, en faisant un parallèle audacieux entre Confucius et le Christ, Jean Dufaux fait œuvre humaniste.
Et en nous livrant un autre regard, celui d’un historien, sur les missionnaires, en nous parlant, dans une Chine que l’on disait barbare, de la place de la femme, Jean Dufaux dépasse la simple anecdote narrative.
Pour l’accompagner dans cette quête très personnelle, Martin Jamar, le dessinateur, use d’un graphisme de l’on peut dire classique et qui, de ce fait, se révèle d’une superbe efficacité. Comment ne pas souligner par exemple la qualité du traitement des décors, la lumière des couleurs, le sens du détail dans chaque planche. Dufaux et Jamar, ce sont deux auteurs qui avancent ensemble sur une route qu’ils ont choisie…
En une époque où il est de bon ton d’oublier ce qu’est notre passé, ou même de le recréer à l’aune de nos modes actuelles, il est réjouissant de se plonger dans un livre comme celui-ci. Un livre qui nous parle de la foi, certes, mais qui nous parle aussi du doute, qui nous parle de l’amitié, et qui redéfinit ce que devrait être l’espoir de tout être humain : accepter l’autre comme l’autre nous accepte !
Bien sûr, Dufaux nous parle aussi de SA foi… En nous disant, par exemple, parlant du Christ, « que tous les dieux sont en lui, comme lui est en tous les hommes »…
Mais le vrai message de ce livre, trait fusionnel entre un scénariste et un dessinateur, c’est dans la bouche de l’impératrice de Chine que Jean Dufaux l’écrit : « Une pensée qui ne se nourrit pas de curiosité s’éteint d’elle-même. Ne vous contentez jamais de ce que vous savez. Il y a dans certaines de nos ignorances une part de vérité qui nous échappe. » !
Matteo Ricci, c’est un livre passionné, passionnant aussi, et d’une beauté formelle sans apprêts inutiles.
Un livre « religieux », « catholique » ?… Oui… Incontestablement… Mais cette religion que d’aucuns cherchent à enfouir dans les ténèbres de la bonne-pensée, elle fait partie, que nous le voulions ou non, que nous soyons croyants ou pas, de l’Histoire, celle qui nous a formés, celle qui nous a offert des œuvres d’art extraordinaires, celle qui est faite d’horreurs autant que de merveilles…
Jacques et Josiane Schraûwen
Matteo Ricci (dessin : Martin Jamar – scénario : Jean Dufaux – éditeur : Dargaud – septembre 2022 – 54 pages)
Bravo ! Peut-on communiquer cet article avec vos références ? C’est Dodo Nita, de Roumanie, qui me l’a envoyé. Mais pourriez-vous me dire qui vous êtes ? Merci.
Bien entendu, vous pouvez communiquer cet article librement, sans aucun souci… Qui je suis?… Jacques Schraûwen, de Belgique… Un chroniqueur, indépendant, à tous les niveaux…
Superbe chronique . J’adore
Merci, Claire…