Un face à face entre deux légendes de la littérature mondiale… Qui en sortira vainqueur ?… Y aura-t-il, seulement, un gagnant ?…
Maurice Leblanc ne fut pas que l’auteur de l’immense Arsène Lupin… Mais c’est ce personnage populaire, né en 1905, qui lui a offert la notoriété, la postérité aussi.
Il faut dire que les gens, depuis toujours, aiment les héros qui luttent contre un ordre établi… Robin des Bois et Arsène Lupin, entre autres, font partie de ce panthéon restreint de personnages de papier semblant sortir de leurs livres pour prendre vie, réellement…
Arsène Lupin ne semble jamais avoir d’âge, tant il est vrai que, roi du maquillage, ce gentleman cambrioleur n’arrête pas de s’offrir des apparences sans cesse changeantes. Et, en cela, il devient mythique, et le cinéma comme la télévision ne s’y sont pas trompés, à bien des reprises d’ailleurs, et pas toujours dans le respect de l’œuvre originelle.
Parce qu’Arsène Lupin est un truand, sans aucun doute possible. Mais un délinquant souriant, amusant, imaginatif, une sorte de Fantômas à l’envers… Même en combattant et en risquant sa vie, ce gentleman de la cambriole ne tue jamais!
Dans l’œuvre de Maurice Leblanc, on retrouve une grande part d’imagination fertile, c’est vrai, mais toujours ancrée dans les réalités d’un monde que cet auteur connaissait bien. Celui d’une société dans laquelle la richesse créée la noblesse, et la pauvreté la désespérance… Celui d’un monde dans lequel les riches possèdent un pouvoir de plus en plus absolu et en profitent sans vergogne. Lupin appartient, à sa manière, à ces deux univers antinomiques, mais uniquement quand il le veut. C’est en cela qu’il a séduit autant de lecteurs en un début de vingtième siècle dans lequel la fracture sociale n’était, tout compte fait, pas tellement différente de celle d’aujourd’hui !
A cela s’ajoute, chez l’écrivain, un attrait incontestable pour le mystère, pour l’ésotérisme aussi, la franc-maçonnerie sans doute, ce qui a poussé bien des exégètes à des analyses oublieuses de la première des qualités de cette série de romans : le plaisir pris à la lecture, tout simplement ! Leblanc est un auteur qui use des artifices du roman feuilleton pour fidéliser ses lecteurs, mais qui en profite pour insuffler dans ses écrits de quoi, en quelque sorte, tracer le portrait de toute une époque, culturellement, socialement aussi…
Et cette bande dessinée, me direz-vous, est-elle une adaptation d’un des romans de Leblanc ? Non, même si le personnage de Conan Doyle se trouve dans deux romans de Leblanc, sous le nom de Herlock Sholmès…
Ce diptyque s’inspire plutôt des écrits de Leblanc… Et il le fait avec une superbe fidélité à l’esprit comme à la langue de cet écrivain important !
Jérôme Félix nous a ainsi concocté un scénario absolument proche des récits de Maurice Leblanc…
Jugez-en… Tout commence au large d’Etretat. Lupin décide de prendre sa retraite. Il quitte son antre, la fameuse et mythique Aiguille Creuse, en compagnie de Raymonde, sa compagne… Mais Sherlock Holmes l’attend… Un coup de feu est tiré, et Raymonde meurt dans les bras de son amant… Son amant qui résiste à sa haine et laisse partir son ennemi…
Quatre ans plus tard, Lupin a repris ses activités… Et ses pas le ramènent en Normandie, parce qu’un vieil alchimiste y aurait trouvé le moyen de changer le plomb en or… Et c’est là que va s’agencer l’ultime confrontation entre lui et l’assassin de sa bien-aimée…
Tous les ingrédients chers à Maurice Leblanc se retrouvent dans ce diptyque. De l’ésotérisme, de l’humour, du mystère, de l’action, du romantisme, du mélodrame dans le plus pur style « 19ème siècle »… Mais avec un soupçon de fantastique à la Poe : tout mystère cache une explication logique ! Et le scénariste s’est amusé à parsemer son récit de références littéraires variées (Proust, par exemple…), jusqu’à utiliser même une thématique, autour du personnage de deux sœurs, thématique que Leblanc a utilisée lui-même dans d’autres livres que ceux consacrés à Lupin…
Et puis, Arsène Lupin, pour Jérôme Félix est donc bien ce qu’il est pour Maurice Leblanc. Avec, malgré tout, une touche quelque peu différente. Lupin est ici plus anarchiste que truand…
Le dessin d’Alain Janolle, semi-réaliste, est de facture classique, tant dans le mouvement que dans la construction, le découpage. Certes, la lecture est parfois un peu confuse par rapport aux personnages pas toujours identifiables facilement, mais on s’y fait, assez vite, et c’est même là, tout compte fait, une manière de plus d’entrer dans le monde des apparences cher à Lupin et Leblanc !
Le dessinateur a choisi de mettre en scène des ambiances variées… Qui passent par les regards, par les sourires aussi, mais surtout par les décors… Ce sont eux, extrêmement réussis, qui offrent à ce diptyque un rythme très personnel…
Et je ne peux pas terminer cette chronique sans souligner l’excellent travail de Delf, à la couleur…Sa façon de jouer avec les teintes, avec les pénombres, rappelle un peu la manière dont, dans un film fantastique, les éclairages accompagnent la tension du récit.
Cette histoire dont le dénouement ne pourra que vous étonner, et vous séduire, est parue en deux tomes, d’abord, puis, tout récemment, en une intégrale…
J’ai lu mes premiers Arsène Lupin lorsque j’avais douze ou treize ans… Dans la foulée, et au fil des années, j’ai recherché tous les autres romans de Leblanc. Et quoi qu’on puisse en dire aujourd’hui, en les définissant comme désuets, je les trouve passionnants, souvent très « légers » aussi, teintés d’érotisme, et j’espère que cette aventure du grand Arsène donnera l’envie aux lecteurs de cette bd de relire les livres de Leblanc. Tous ses romans… A commencer, bien évidemment, par les exploits de son gentleman-cambrioleur!
Jacques et Josiane Schraûwen
Arsène Lupin Contre Sherlock Holmes (dessin : Alain Janolle – scénario : Jérôme Félix – couleur : Delf – éditeur : Grandangle – intégrale : septembre 2023)