Jean-Claude Servais est un des tout grands noms de la bande dessinée, et il nous offre ici un récit superbe à la construction originale et passionnante…
Jean-Claude Servais est Belge… Gaumais, surtout, et sa carrière tourne autour de la nature, des animaux, des humains qui, de toutes les classes sociales, ne peuvent se définir que par leurs rapports avec leur environnement. Donc avec le monde animal dont ils font pleinement partie, qu’ils le veuillent ou non. Ses œuvres, nombreuses, sont ce qu’on peut appeler des livres régionaux…
… mais universels, également, tant il est vrai que tous les thèmes que Jean-Claude Servais a traités sont ceux de l’existence et de ses émotions, de ses sensations, de ses dérives et de ses merveilles… On peut citer par exemple « Le chalet bleu », un chef d’œuvre absolu d’onirisme et d’hommage à la nature toujours victorieuse… Mais il a aussi abordé la thématique de la guerre, de l’Amour, bien sûr, de la justice, de la justice sociale également… Tendre Violette, Isabelle, la petite reine, Lova, autant de titres qui ont créé au fil des années un véritable lectorat passionné par ce dessinateur réaliste d’une puissance et d’une poésie uniques dans l’univers du neuvième art. Parmi ces lecteurs, Tanguy Dumortier, l’animateur de l’émission « Le jardin extraordinaire », et qui signe la préface de cet album-ci.
Avec « Renard Rusé », ne vous attendez pas à un album traditionnel dans sa construction. Bien sûr, il y a un axe central, une histoire qui nous est racontée. Juliette, une héroïne comme Servais les aime, jeune, jolie, passionnée, révoltée, veut découvrir son animal totem. Avec en exergue de cette recherche qui lui est un besoin, cette phrase presque chamanique qui ouvre l’album : « Lorsque nous devons affronter certaines situations dans notre vie, nous pouvons invoquer l’énergie d’ne espèce animale qui nous correspond ». Et l’animal totem de Juliette, c’est le renard…
Un animal que le lecteur, en même temps qu’elle, va apprendre à connaître au travers de toute une série de petits récits qui construisent réellement cet album. Bien sûr, Servais aurait pu nous parler « scientifiquement » du renard. Mais, comme c’est souvent, voire toujours, le cas chez lui, il choisit bien plus d’explorer l’imaginaire collectif, de se plonger dans des légendes, dans des poèmes, dans des anecdotes. Et c’est bien ainsi qu’il a construit son livre qui, dès lors, se révèle, narrativement, original, passionnant…
Ces légendes, ces anecdotes qu’il nous offre ne brisent nullement le rythme du récit. C’est que Jean-Claude Servais, tel un fabuliste, est un extraordinaire raconteur d’histoires !
Le lecteur peut être surpris, c’est vrai, de voir se raconter une histoire dont l’héroïne n’est que de passage, ici et là… Certes, elle vit sa propre destinée, elle est aussi en quête d’un amour à retrouver, mais ce que Jean-Claude Servais nous raconte, c’est la similitude des qualités du renard et de Juliette à la recherche de son Roméo, qui s’appelle Arnaud… Des qualités comme la ruse, comme la solidarité, comme l’obstination… Et il le fait en nous faisant en même temps découvrir, justement, ce qu’est la vie de ce petit canidé. Mais toujours par le biais de l’imaginaire, et même de l’humour ! Et c’est ainsi qu’il nous emmène avec lui dans une suite de petits chapitres, nous racontant comment, par exemple, dans l’ancien royaume des animaux, ont été distribuées les queues des différentes espèces… Nous faisant assister à un spectacle de marionnettes, le corbeau et le renard, fable d’Esope, ici, pas de La Fontaine… Nous faisant découvrir ou redécouvrir le fameux Roman de Renart… Nous montrant la folie meurtrière de l’homme apeuré, toujours, par ce qu’il ne comprend pas… Et puis il y a la légende extraordinaire de la fée Renarde, une légende philosophique, poétique, onirique…
Je suis « fan » de Servais depuis toujours… Je le connais un peu… J’ai, comme Tanguy Dumortier, eu la chance de passer presque une journée dans son chalet bleu, avec mon épouse… C’est un homme exceptionnel, et ce livre-ci est d’une beauté simple, pure, sans apprêts, sans d’autre message que la tolérance et le respect de la vie sauvage, animale… Donc humaine, aussi… Un dessin réaliste, précis, auquel la couleur de Guy Raives apporte une essentielle profondeur… Jean-Claude Servais est un des dessinateurs bd belges essentiels. Et son renard rusé fait partie de ses livres les plus aboutis… Un livre qui, en outre, en annonce d’autres, nous dit Servais en préambule à son album… Avec comme personnages centraux le cerf, le chat, le corbeau, entre autres…
Lien vers ma chronique radio de ce samedi 6 janvier 2024.
Jacques et Josiane Schraûwen
Renard Rusé (auteur : Jean-Claude Servais – couleurs : Guy Raives – éditeur : Dupuis – octobre 2023 – 80 pages)
J’aime é répéter que Jean-Claude Servais est mon auteur « chouchou » et ce c’est pas un vain mot. Il est un dessinateur réaliste, et quel dessinateur, il est aussi un fabuleux conteur. Il est plongé dans la nature, il est de la nature et il la magnifie au fil des pages. Il m’arrive parfois de dire à des connaissances….qui ne le connaissent pas (encore) : lorsque Jean-Claude Servais dessine un oiseau, vous comptez ses plumes, lorsqu’il dessine un arbre, vous en dénombrez les feuilles… J’ai apprécié ici le thème de » l’animal totem », Juliette recherche le sien, j’ai dit un jour à Jean-Claude que le mien…c’était l’ours…souvenez-vous, il n’y a pas si longtemps, un de ses albums lui était consacré. Dans l’édition reçue du Club de la BD de Florenville, en 1ère de Couv’ , le visage, j’écris bien le visage de Goupil m’a interpellé, je ne sais si c’est mon imagination ou mon interprétation, mais il semble sourire, oui il sourit ! J’ai apprécié le découpage de l’album avec ces légendes, ces contes, ces fables où ce prince des sous-bois est lui aussi honoré dans tout le respect qu’il mérite et ce, même si parfois la peur mais surtout la bêtise et la méchanceté de certains hommes lui sont fatales. Un superbe album en effet mais avons-nous jamais lu un opus de notre « Gaumais » préféré qui ne fut point excellent ? Poser la question c’est y répondre. Bravo à lui. Et merci à vous Jacques pour cette belle chronique.
merci à vous pour cette sympathique réaction…