Les Notes Rouges – Anna et Dorian, frère et sœur, deux destins happés par la guerre

Au-delà d’un conflit qui, depuis des années et des années, n’arrête pas de faire des « petits », des émules, ce livre éminemment graphique et poétique nous parle d’amour et d’espoir.

copyright delcourt

Les guerres semblent ne s’arrêter jamais… En parler, les raconter, c’est souvent faire étalage de faits historiques, héroïques, à nouveau nationalistes à leur manière. Je ne veux pas généraliser, bien entendu, et je pense à à Tardi ou à Jarbinet, à d’autres encore, qui s’intéressent plus à l’humain qu’au seul conflit dans leurs albums.

L’humain…

Et il est vrai que même face aux horreurs indicibles de la mort armée et idéologique, l’humanité trouve toujours à se réfugier dans, peut-être pas l’espérance, mais en tout cas l’attente éveillée…

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Et c’est d’une telle attente que nous parle ce livre d’une beauté évidente, d’une intelligence extrême, d’une pudeur totale… En nous racontant, côte à côte, deux destins intimement liés. Anna et Dorian, pendant la guerre, sont séparés… Anna échappe au nazisme et devient pianiste concertiste reconnue, connue. Quant à Dorian, il se retrouve plongé, lui, dans l’inacceptable, recueilli, grâce à sa blondeur aryenne, par un haut gradé nazi…

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Le livre axe son propos, son récit, sur Anna… Anna qui s’en revient, le temps d’un concert, dans cette ville qui l’a vue fuir loin de la guerre, dans cette ville où elle a perdu son petit frère… Un frère avec lequel elle vivait une véritable fusion d’âme… Une fusion artistique, aussi… Anna avait la musique chevillée à l’âme, et l’âme de Dorian était, elle, envahie de mots et de poèmes. Anna n’a jamais perdu l’espoir d’une retrouvaille. Dorian, lui, a vécu des réalités qui lui ont fait perdre de l’espoir tous les goûts.

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Nadia Nakhlé, l’autrice de cet album lumineux, nous plonge, lecteurs étonnés parfois, dans une narration d’une puissance tranquille, d’une lucidité sereine, malgré le propos de cette histoire qu’elle nous raconte… On passe, de page en page, de construction bd presque classique, presque cinématographique, en roman épistolaire, on passe de partitions musicales dessinées et pourtant vivantes à des mots d’enfance éblouie par ses joies comme par ses chagrins. Cette façon de nous parler d’Anna et Dorian ressemble, dès lors, à un poème musical, parfois terrible, parfois simplement émouvant, que Nadia Nakhlé met à la fois en images et en musique…

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Mais ne vous y trompez pas… Ce n’est pas un « roman graphique » ! C’est un album de bd, à part entière, qui n’a pas besoin d’alibi pseudo-culturel pour être une parfaite réussite ! C’est une bd qui nous montre une réalité trop souvent oubliée lorsqu’on parle de la guerre, des enfants, de leurs séparations, et de ces gamins qui, par milliers, parce qu’ils avaient des yeux bleus et des cheveux blonds, ont été adoptés par les bourreaux de leurs proches… Et c’est un livre qui le fait, je le disais, avec une infinie pudeur… Sans mélo, jamais, mais avec le rythme de l’art et de l’amour, tout au long des pages, en dessins comme en mots… Une réussite, incontestablement, un livre qui dépasse tous les clichés pour nous placer, lecteurs émus, en face de nos propres humanités…

Jacques et Josiane Schraûwen

Les Notes Rouges (autrice : Nadia Nakhlé – éditeur : Delcourt/Mirages – octobre 2024 – 206 pages)

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