Airborne 44 – 9. Black Boys

Airborne 44 – 9. Black Boys

Neuvième volume, déjà, d’une série qui, en nous parlant de la guerre 40-45, nous fait aussi réfléchir à ce que sont nos quotidiens…

Airborne 44 : 9. Black Boys © Casterman

Outre la qualité graphique, la puissance d’un scénario sans aucun manichéisme, cette série a une construction intelligente, respectueuse des lecteurs qui n’ont pas envie de se perdre dans des suites qui n’en finissent pas. Chaque récit s’articule en deux tomes… Et donc, ce numéro neuf est la première partie d’une histoire, ancrée dans la Grande Histoire, et qui dépasse le factuel d’un conflit qui a vu le monde s’embraser, pour aborder des thèmes aussi actuels que le racisme et la tolérance.

Philippe Jarbinet : une implication personnelle

Résumons quelque peu le scénario. En août 1944, Nice est libérée et fait la fête. Virgil un jeune afro-américain, noue un flirt avec une infirmière blanche, ce qui n’a pas l’beur de plaire à Jared, un soldat, blanc lui. Il y a une bagarre, un tabassage… Et puis, quelques semaines plus tard, ils se retrouvent dans les Ardennes pour faire face à une nouvelle offensive allemande… Et pour survivre, ils vont devoir, tout simplement, s’accepter l’un l’autre… Difficilement, mais obligatoirement !

Airborne 44 : 9. Black Boys © Casterman

On sent, en lisant les livres de Philippe Jarbinet, combien le touche l’histoire de la deuxième guerre mondiale.

Philippe Jarbinet : l’Histoire

Tout ce livre foisonne de regards aiguisés sur une réalité qu’on occulte bien trop souvent : la place donnée aux soldats noirs dans l’armée américaine, une place qui n’était pas plus enviable que celle accordée, par les Français, aux tirailleurs sénégalais… Ce livre nous parle de racisme, mais aussi de musique, d’amour, de désir, de nature, de rencontres humaines.

Avec, d’une certaine manière, une remarque très pessimiste : d’un combat à l’autre, tous les ségrégationnismes restent vainqueurs. Aucune lutte n’est définitive. Et cette réalité est celle que vit Virgil, le héros, le « Noir » dans un monde de « Blancs », qui sait déjà que les lendemains ne seront pas tous ensoleillés, loin s’en faut !

Philippe Jarbinet : Pessimisme…

C’est que tout racisme naît et entraîne un sentiment contre lequel la foule et ses poitiques ne résistent que peu : la haine… Cette haine qui est une prison, cette haine qu’on veut fuir mais qui s’impose, de rumeur en dictature, et même de dictature en démocratie. Les droits de l’Homme n’ont sans doute jamais été aussi bafoués que depuis la victoire contre le nazisme…

Et c’est là aussi tout le talent de Jarbinet que de pouvoir, à partir d’une réalité historique, ériger une fiction qui s’avère, elle, intemporelle.

Airborne 44 : 9. Black Boys © Casterman
Philippe Jarbinet : fiction et réalité

Même si le travail de l’auteur, Philippe Jarbinet, est d’une belle justesse et fidélité quant à la guerre, aux uniformes, aux armements, l’important n’est pas là… Il est dans l’intérêt qu’il porte, de bout en bout, à ses protagonistes, sans jamais être manichéen, mais en observateur neutre d’une Histoire qui, de toute façon, dépasse les seules individualités qui la construisent. Mais qui, dans le même temps, s’inscrit résolument dans le réel. Jarbinet est un dessinateur réaliste, classique, rigoureux, et ses récits prennent tout leur sens, comme dans cet album-ci, de l’intégration de ses personnages dans des décors précis, des décors qui ne sont pas théâtraux mais qui participent pleinement à la narration, à l’humanisation de l’histoire racontée. Le trait de Jarbinet s’intéresse de près aux regards, aux trognes ai-je envie de dire. Mais, en même temps, il privilégie de bout en bout les décors… Les sous-bois dans lesquelles se perdent les personnages, les paysages enneigés dans lesquels ils se débattent contre l’ennemi et contre leurs préjugés, tout cela participe à un rythme, à une ambiance…

Philippe Jarbinet : les décors

Ainsi, c’est un livre au scénario extrêmement bien construit, un livre humaniste, un livre merveilleusement dessiné. Le graphisme classique de Jarbinet s’inscrit dans la filiation d’un Hermann, sans aucun doute, mais sans aucune imitation.

Philippe Jarbinet : Hermann

Et puis, comment ne pas parler de la couleur ! Cette couleur, directe, qui est, pour les scènes de neige en Ardenne, d’une vraie beauté… Cette couleur qui, véritablement, rythme le récit, l’éclaire au moment de la fête de la victoire à Nice et l’éteint ensuite, progressivement, au fur et à mesure que la guerre et la mort prennent le relais de la liesse populaire…

Airborne 44 : 9. Black Boys © Casterman
Philippe Jarbinet : la couleur

De toute la série Airborne, je pense que cet album-ci est le meilleur, qu’il a permis, de par son thème sans doute, à Jarbinet de dépasser ses propres limites artistiques. Une superbe réussite…

Jacques Schraûwen

Airborne 44 : 9. Black Boys (auteur : Philippe Jarbinet – éditeur : Casterman – 64 pages – avril 2021)

Philippe Jarbinet

Adam, l’attraction du pire

Adam, l’attraction du pire

Le portrait d’un jeune « radicalisé » : un livre interpellant !

Remedium est de ces auteurs de bande dessinée qui ne peuvent que parler de ce qu’ils connaissent, que de ce qu’ils ont découvert. Il est de ces artistes que l’on peut dire engagés, puisque résolument dégagés des manichéismes ambiants et tristement politiquement corrects.

Adam, l’attraction du pire © La Boîte à Pandore

Dans ce livre, c’est une histoire vraie qui sert de trame à un récit simple, celui d’une manipulation intellectuelle menant au pire.

Le scénario de Séraphin Alava est frontal, il suit les pas, tout simplement, d’Adam, emprisonné pour des faits de terrorisme. Des pas en prison, bien évidemment, mais aussi, et surtout, ceux qui l’ont conduit jusqu’à cet enfermement.

Adam, l’attraction du pire © La Boîte à Pandore

Le dessin de Remedium, encore plus ici que dans ses livres précédents, est simple, direct, sans fioritures, sans pratiquement de décors. Ce sont des êtres humains qu’il nous montre, dont il nous parle, qu’il fait vivre et parler. D’un être humain, surtout, l’anti-héros de ce livre, Adam, prénom symbolique pour un homme qui, pour différentes raisons, se cherche une raison d’être…

Et on suit donc l’embrigadement d’Adam, dans une de banlieue comme il y en a tant, en France, en Belgique, partout, même en plein cœur des villes…

Adam, l’attraction du pire © La Boîte à Pandore

L’attraction du pire, c’est pour cet adolescent de 19 ans une spirale qui, lentement, sans heurts, mène un individu à ne plus être capable de penser par lui-même.

Et ce qui est extrêmement intéressant dans ce livre, c’est que les auteurs refusent tout manichéisme. Ils nous donnent à voir, certes, une descente en enfer avec l’alibi d’un paradis à venir, mais ils le font en montrant, aussi, la multiplicité des possibles, des avis, au travers même des amis d’Adam qui tentent de lui faire comprendre ce que devrait être le message de l’Islam.

« Ta foi, elle est en toi et elle ne regarde que toi » lui dit un proche… qu’il n’écoute pas !

Adam, l’attraction du pire © La Boîte à Pandore

Ce livre est en quelque sorte l’autopsie dessinée d’une entrée en terrorisme, en religion. Avec l’appui d’une propagande bien huilée, avec des jeux vidéo qui aident cette propagande, des jeux dont Adam dit : « on se croirait dans une guerre, non dans un jeu vidéo » !

Les auteurs réussissent à ne rien occulter : la manipulation amicale pour démontrer que la famille n’a pas fait son travail, l’instauration d’un complotisme à partir de faits avérés, avec un sens aigu de l’analyse complotiste des événements de mort au Proche-Orient.

Ce livre, qui s’inscrit ouvertement dans une volonté de lutter contre les radicalisations, se continue par un dossier pédagogique à destination des jeunes, des parents et des enseignants. En outre, en France, il servira de base à une exposition itinérante dans les collèges.

C’est donc bien d’un livre engagé qu’il s’agit. D’un livre qui tente d’ouvrir des portes, ou des fenêtres plutôt, sur la vie et toutes ses valeurs essentielles.

Adam, l’attraction du pire © La Boîte à Pandore

Et ce n’est pas un hasard si la lecture devient pour Adam une aide… Un chemin nouveau… Un peu comme si la jeunesse, en apprenant à lire, appréhendait en même temps le plaisir et le pouvoir de l’écriture. Lire, c’est s’offrir la chance d’écrire, écrire, c’est réfléchir…

Adam, c’est un livre qui parle de la foi, sans la condamner. Et qui fait d’un livre de Romain Gary une porte de sortie, une attraction inversée, puisque chacun, pour lui, « se doit de porter le défi d’être un homme ».

Adam, l’attraction du pire © La Boîte à Pandore

« Il sait bien que les vérités absolues n’existent pas, qu’elles ne sont qu’un moyen de nos réduire à la servitude » (Romain Gary)

Jacques Schraûwen

Adam, l’attraction du pire (auteur : Remedium, d’après un témoignage fourni par Séraphin Alava – éditeur : La Boîte à Pandore – mars 2021)

https://www.lalibrairie.com/livres/editeurs/la-boite-a-pandore,0-781312.html

Adam, l’attraction du pire © La Boîte à Pandore

AKKAD

AKKAD

SF et fable aux accents contemporains

Clarke continue à éblouir avec ses histoires chorales à l’humanisme évident…

Akkad © Le Lombard

Akkad… Il s’agit d’un acronyme qui reprend l’initiale de cinq prénoms, les prénoms des cinq jeunes, presque encore des enfants, qui sont au centre de ce livre.

On peut résumer l’histoire assez simplement. Dans un avenir plus ou moins proche, le Terre connaît une invasion extraterrestre. Des espèces de grands doryphores qui occupent un espace terrestre et le font disparaître. Pour les vaincre, le gouvernement américain tente une expérience ultime : augmenter l’intelligence de cinq adolescents pour qu’ensuite, unis, ils puissent inventer l’arme qui sauvera l’humanité. Mais voilà… L’intelligence mathématique abstraite que deviennent, ensemble, ces cinq jeunes, reste empreinte aussi d’une réalité émotionnelle qui, elle, reste incontrôlable.

Clarke : les 5 personnages

Ce livre, c’est de la science-fiction traditionnelle, dans la mesure où on peut retrouver des thèmes chers à Asimov, Brown, ou même King. Mais dans la mesure où on sent également des réminiscences d’un livre de Daniel Keyes, « des fleurs pour Algernon », on dépasse les codes habituels de la science-fiction. Pour l’auteur de Akkad, Clarke, la SF n’est pas un but en tant que tel. Ce qui l’intéresse, ce sont ses personnages…

Clarke : la sf
Akkad © Le Lombard

Clarke, l’auteur de Mélusine, prouve depuis quelques albums qu’il a un talent puissant pour nous faire rencontrer des personnages. Et ce livre choral, au-delà du récit, aborde bien des sujets qui nous parlent de notre aujourd’hui. Avec des réflexions sur la guerre, quelle qu’elle soit, qui balaie tous les scrupules. Avec une analyse géopolitique de ce qu’est devenue notre humanité.

Clarke : un peu de géopolitique

Avec, de la part de la science, une déconnection de la réalité qui résume l’humain à être une interface, qui résume l’intelligence à la seule mathématique. C’est un livre étonnant, dans lequel personne n’est héros, un livre dont la construction ressemble à un entonnoir : plusieurs histoires s’y racontent en parallèle et, petit à petit, se mélangent et n’en font plus qu’une.

Clarke : la narration
Akkad © Le Lombard

Et puis, c’est un livre au thème envoûtant, celui du temps… Le temps qui, tel le serpent de la légende, se mord la queue pour sans cesse, qui sait, renaître à lui-même. C’est également une fable, et Clarke reste toujours à hauteur de ses personnages, ce qui rend son album vivant, de bout en bout, loin de tous les stéréotypes souvent accrochés aux livres de sf actuels. C’est une fable, oui, mais rien n’est jamais définitif, et donc toute morale à la Esope n’y a pas sa place !

Clarke : une fable

Son dessin ne cherche pas d’effets spectaculaires, et la couleur de Mathieu Barthélémy crée une belle unité d’ensemble au récit. C’est un livre déconcertant, mais c’est un livre qui vient à son heure et qui est d’une belle intelligence ! Les personnages sont l’essentiel du récit, et le dessin, sans aucun effet spécial, sans aucune démesure, est exactement ce qu’il fallait pour une telle histoire.

Clarke : les personnages
Akkad © Le Lombard

Clarke est un auteur « sérieux » qui aime mêler les thématiques dans tous ses albums, mais en gardant toujours à l’avant-plan des êtres humains ballottés par le hasard, la science, la guerre, la bêtise humaine.

Et dans ce livre-ci, comme dans les précédents de cet auteur à l’évidente qualité, tant au niveau du graphisme que du scénario, ce sont les femmes qui occupent les places prépondérantes du récit, de la narration. C’est par elles que l’intrigue évolue, c’est par elles que l’aboutissement peut se réaliser.

Clarke : les femmes
Akkad © Le Lombard

C’est un album parfois déconcertant, oui, c’est un livre toujours étonnant, c’est un livre rythmé, un album qui, de par les thèmes qui y sont abordés, entame un dialogue, une réflexion plutôt, avec le lecteur. Un livre, sans aucun doute, qui aura sa place dans votre bibliothèque…

Jacques Schraûwen

Akkad (auteur : Clarke – couleur : Mathieu Barthélémy – éditeur : Le Lombard – 120 pages – janvier 2021)