Ana Ana, je ne veux pas être une princesse!

Ana Ana, je ne veux pas être une princesse!

Ana Ana, c’est la sœur de Pico Bogue, une des séries bd les plus attachantes qui soient.

Ana Ana © Dargaud

 

Une petite sœur qui, à l’instar de son frangin, n’a jamais la langue en poche. Espiègle et réfléchie, fofolle et capable des éclats de rire les plus tonitruants, elle pose sur le monde qui l’entoure (notre monde, notre société…) un regard souvent critique, mais toujours avec une espèce d’évidence gentille.
Elle méritait sa propre série, et c’est le cas depuis plusieurs albums… Des albums destinés à un jeune lectorat, certes, mais des albums qui plairont autant aux parents qu’à leurs enfants… Des albums qui, en fait, ne demandent qu’à être « lus et racontés » par papa, maman, ou grand-père, ou grand-mère, à un enfant bien installé à ses côtés…
Ana Ana, c’est une enfant, oui, une vraie, qui joue avec ses peluches et s’invente un univers parallèle où tous ces jouets ont une vie réelle.

Alexis Dormal

 

Et ces « doudous » décident, influencés sans doute par les habitudes sociétales des adultes, de faire vivre à Ana Ana une vie de princesse…

Ana Ana © Dargaud

Mais voilà, Ana Ana a beau être une petite fille, elle ne veut pas subir les envies de jeux et d’amusements qui ne viennent pas d’elle… Elle ne veut pas correspondre à des silhouettes préfabriquées… Elle ne veut pas être une princesse, vivre, même en jeu, dans du taffetas rose et croire en un quelconque prince charmant. Charmeuse jusqu’au bout du sourire, elle réussira, dans ce petit livre, à faire comprendre la chose à tous ses virtuels amis…
Féministe, ce scénario?…. Ancré dans l’air du temps?… Peut-être un peu, oui…. Mais c’est surtout un scénario qui nous montre un enfant, une petite fille en l’occurrence, qui a du caractère, et qui, donc, est capable de réagir, de se révolter, à son niveau…
Et la révolte n’est-elle pas, finalement, la seule voie qui reste à l’intelligence, de nos jours, pour se faire entendre?….

 

Jacques Schraûwen

Ana Ana, je ne veux pas être une princesse! (Scénario: Dominique Roques et Alexis Dormal – dessins: Alexis Dormal – Editeur: Dargaud)

Bricoles Gribouillis Artbook Fonds De Tiroirs

Bricoles Gribouillis Artbook Fonds De Tiroirs

Tous les talents de l’immense Chabouté !

Il y a de ces livres qu’on garde, précieusement, qu’on ouvre souvent, qu’on feuillette, qu’on referme, dans lesquels on se replonge, par plaisir… Pour le plaisir… Et c’est le cas avec cet indispensable album consacré à un des dessinateurs essentiels du neuvième art !

 

Artbook © Chabouté

Depuis quelque vingt ans, Chabouté construit une œuvre profondément humaine, une œuvre qui ne cache pas ses influences, ses admirations plutôt, une œuvre dans laquelle le noir et blanc se révèlent somptueux, essentiels, une œuvre qui aime s’aventurer dans tous les domaines de la fiction et de la réalité, une œuvre qui, en finalité, se révèle inclassable, donc primordiale !

Dans sa bibliographie, riche d’une vingtaine de livres, j’avoue que j’aurais toutes les peines du monde à épingler un album plutôt qu’un autre… Dès son « Sorcières », son style s’affirmait, tant dans le graphisme que dans la construction littéraire. Et puis, il y a eu « Purgatoire », « Zoé », « Landru », « Construire un feu », l’époustouflant « Tout seul », l’émouvant et poétique « Un peu de bois et d’acier », et tant d’autres livres, encore, qui tous me furent des bonheurs de lecture.

 

Artbook © Chabouté

 

Lorsque je l’ai rencontré, à l’occasion de la sortie de son « Moby Dick », je me suis retrouvé en face d’un créateur presque timide, pratiquant une solitude artistique lui permettant de prendre tout son temps pour dessiner, rompre la monotonie des heures qui passent, en racontant des histoires, en bd ou en illustrations, toutes axées, totalement, sur l’homme, ses défis, ses attentes, ses erreurs, ses beautés, ses laideurs, ses folies, ses sagesses.

Comès et Pratt sont incontestablement des auteurs dont il est l’héritier direct. Un héritier respectueux, mais qui n’a rien d’un simple suiveur, loin s’en faut !

Et si son talent se démesure dans ses albums de bande dessinée, il se fait plus discret mais tout aussi resplendissant dans ses illustrations qui, toutes, ressemblent à des envies qu’il a mises sur papier…

 

Artbook © Chabouté

 

Dans cet artbook, on retrouve ainsi quelques bricoles, des crobards comme on disait il y a des années, des dessins vite jetés sur feuille blanche, comme pour les oublier, les jeter aux poubelles de la mémoire. Et il est vrai que, bien souvent, avec des gens comme Blutch, par exemple, ces gribouillis  manquent cruellement d’intérêt. Mais chez Chabouté, comme chez Tardi, en son temps avec ses chiures de mouche, ce n’est nullement le cas. En quelques traits, Chabouté parvient à saisir un instant, un mouvement, une mimique…

Artbook © Chabouté

 

Et puis, dans ce livre, il y a ce que Chabouté appelle, depuis des mois sur sa page facebook, des « fonds de tiroir ». Des dessins qui font penser à ce qu’on pouvait dénicher, enfant, au fond des armoires, et donc des tiroirs, de nos grands-parents. Des feuilles froissées, parfois, mais qui, dépliées, révèlent des vrais trésors de sensibilité et de souvenir.

Et là, Chabouté se laisse totalement aller… Comment ne pas avoir, en même temps que lui sans doute, une impression de vertige devant ses réinventions d’un univers urbain dans lequel l’être humain semble sans cesse être à la recherche de son propre équilibre ?

Artbook © Chabouté

 

Comment ne pas sourire devant ces chats qui, noirs, se perdent dans le décor pour mieux le mettre, peut-être, en évidence ? Ou devant ces personnages reconnus tout en étant réinventés, comme le grand Corto ou l’immense Tati ?

Comment ne pas rêver d’amour en lisant les textes qui, par ci par là, accompagnent les dessins… Des mots écrits par celle à qui ce livre est offert…

Il y a dans cet ouvrage bien des hommages. Des hommages extraordinaires, par exemple, au monde du Jazz. Aucun dessinateur ne parvient, comme Chabouté, à rendre compte ici du silence, là de la musique. On le savait en lisant ses albums traditionnels (même si ce mot ne correspond en rien à la réalité du talent de Chabouté), on découvre ici qu’en un seul dessin, cet artiste total est capable d’envolées lyriques ou tendres, de mouvances infinies ou de tendresses discrètes.

 

Artbook © Chabouté

 

Oui, je ne peux pas le cacher, je sais… J’ai aimé Pratt, découvert quand j’étais gosse dans les pages de Pif Gadget… J’ai aimé Comès, dans les pages de « A Suivre »…

Et je pense, et je dis haut et fort que Chabouté est de leur race, de leur famille : cette famille de créateurs qui aiment le dessin, en font le feu de leur existence, et partagent ces flammes éphémères avec tout un chacun, pour le plaisir, tout simplement…

Cet Artbook n’est certes pas bon marché… Mais il se doit, absolument, de se retrouver dans toutes les bibliothèques de celles et ceux pour qui la bande dessinée n’est pas qu’une simple occupation pour gosses fatigués !…

 

Jacques Schraûwen

Bricoles Gribouillis Artbook Fonds De Tiroirs (auteur : Chabouté – éditeur : Glénat/Vents d’Ouest en collaboration avec la galerie Huberty & Breyne)

 

Artbook © Chabouté

Arale

Une uchronie parfaitement réalisée.

L’uchronie est à la mode, en bande dessinée, depuis quelques années, avec plus de ratages que de réussites, il faut bien le dire. Parce que construire une totale fiction à partir de faits historiques réels mais détournés, cela demande à la fois de la culture historique et de l‘imagination débridée. Et c’est bien le cas ici !

 

 

Arale © Dargaud

 

Nous sommes au début des années trente. La première guerre mondiale ne s’est jamais terminée. Le tsar de toutes les Russies et le sombre Raspoutine affrontent les ennemis de l’extérieur autant que ceux de l’intérieur. Mais c’est la magie qui dirige le monde ! Et dans cette ambiance délétère, un homme, un guerrier, un soldat fidèle au souverain, va devenir un pion entre les mains de quelques mages soucieux de conserver tous leurs pouvoirs.
Parce que le Tsar, en fait, est mort depuis bien longtemps ! Mais par la puissance des forces des ténèbres, Raspoutine est parvenu, depuis le décès du tsar, à garder en vie son corps, mais un corps habité, plusieurs fois déjà, par une autre existence.
Et Kyril, le personnage central de cette histoire, de ce premier tome en tout cas, va être choisi pour prendre la place de ce tsar auquel il voue une fidélité inébranlable.

Arale © Dargaud

 

Kyril, c’est un soldat, un héros, que tout le monde en Russie connaît, dont tout le monde vante et chante les exploits, et ceux de ses deux amis qui ont sauvé le pays : la lumineuse Saskia et le révolté Youri.
Youri qui a disparu, mort sans doute… Alors que Saskia, elle, en compagnie de Kyril, apprend à des jeunes recrues à utiliser une arme redoutable.
Les personnages sont en place, l’histoire peut commencer. Et pour sauver, une fois de plus, la pseudo-réalité du tsar, Kyril va devoir plonger dans l’inconscient, dans un univers de limbes où les morts côtoient quelques vivants égarés, où la guerre et l’horreur déforment et détruisent les âmes autant que les corps.
Dans ces limbes, territoire entre envie et mort, lieu de haine et d’indicibles combats, Kyril a comme mission de se rendre jusqu’à Arale, cité dans laquelle il pourra rencontrer les magiciens qui le feront « entrer » dans le corps du tsar.

 

Arale © Dargaud

 

Entre Histoire réinventée et science-fiction, entre fantastique et réflexion sociale, entre philosophie et galerie de personnages étonnants, ce premier tome de ce qui devra être une saga à la fois intimiste et pleine d’aventures à rebondissements, ce « Arale » m’a incontestablement séduit. Par le propos, qui réussit à parler d’un climat social qui, de par bien des aspects, nous rappelle ce qu’est aussi notre société. Le tsar est une icône, comme notre monde contemporain aime en créer à tire larigot, de téléréalité en téléréalité. Dans ce livre, on parle d’une technologie qui prend le pas sur le réel. On y montre aussi un personnage, Youri, qui incarne la révolte, une révolte intellectuelle, d’abord, dont on devine, à la fin de ce premier volume, qu’elle va devenir tout autre…
Soulignons, outre le scénario de Tristan Roulot qui, vous l’aurez compris, fourmille d’inventions passionnantes, la qualité du dessin et de la couleur. La vivacité du trait et les cadrages choisis par Denis Rodier ne sont pas sans rappeler l’art des comics américains. Mais Rodier s’éloigne de l’influence des super-héros, poussé par une histoire qui demande de sa part une approche plus observatrice de l’action qu’il dessine. Et la couleur de Bruno Tatti crée quand il le faut des ambiances tantôt délétères, tantôt brutales, tantôt fantasmagoriques, tantôt extrêmement réalistes.
Un bon début de série, donc, que ce « Arale », en espérant que les épisodes suivants rempliront les r-promesses de ce premier opus.

 

Jacques Schraûwen
Arale (dessin : Denis Rodier – scénario : Tristan Roulot – couleur : Bruno Tatti – éditeur : Dargaud)

Arale © Dargaud