À Coucher Dehors

À Coucher Dehors

à coucher dehors

 

à coucher dehors – © Bamboo/Grandangle

 

Une histoire réjouissante, complète, en deux volumes… Des personnages attachants… Et, dans cette chronique, une interview des auteurs !

 

 

Trois clochards sur les quais de la Seine… La tante de l’un d’eux, Amédée, meurt et lui lègue un pavillon de banlieue. Mais, pour y habiter, Amédée doit s’occuper du fils trisomique de cette femme. Et voilà nos trois compères embarqués dans des quotidiens qui n’ont plus rien à voir avec ce qu’ils connaissaient jusque-là, un peu comme si l’existence, soudain, décidait de leur sourire.

Mais la vie n’est jamais parfaite, surtout pour des individus comme eux, anarchistes, marginaux, non-conventionnels et complètement amoraux.

Prie-Dieu, un des trois amis sdf, devient mystique et affiche des symboles religieux issus de toutes les religions, attirant ainsi sur la maison des attentions dont Amédée se passerait bien. Et puis, Nicolas, le trisomique qui rêve de devenir cosmonaute, disparaît…

N’allez pas croire, cependant, qu’on se retrouve ici dans une histoire édifiante, larmoyante… C’est d’humour qu’il s’agit, d’abord et avant tout, même si cet humour naît de situations et d’observations qui pourraient être réelles.

Un humour sérieux, donc, aussi, puisque le fil conducteur du scénario d’Aurelien Ducoudray se construit autour des faux-semblants, des mensonges omniprésents et sans lesquels la vie ne serait peut-être pas vivable…

Aurélien Ducoudray: les faux-semblants…

 

Aurelien Ducoudray est un scénariste prolixe et éclectique. On peut retenir de lui  » Amère Russie « , par exemple, mais aussi  » Chiens de Pripyat « , entre autres. Des thèmes très différents les uns des autres, et qui ne conjuguent pas toujours l’humour social, comme dans ce  » à coucher dehors  » !

Mais ses scénarios ont cependant quelques points communs : ceux de prendre comme cible l’universelle bêtise humaine, de démarrer ses récits à partir de ce qui est toujours une observation du vécu, et écrire en faisant se confronter des personnages très différents les uns des autres, tant physiquement que moralement ou intellectuellement. Ses trames narratives, ainsi, qu’elles soient sérieuses ou humoristiques comme ici, y gagnent, incontestablement, en intensité et en véracité…

Aurélien Ducoudray: le travail du scénariste

 

 

Cette histoire, racontée en deux tomes, est de manière évidente une fable très contemporaine. C’est aussi et surtout une aventure humaine pleine de rebondissements, d’un optimisme qui n’a rien de béat, et qui fait penser à des films comme  » Boudu sauvé des eaux « , ou même à certains dialogues d’Audiard.

La bonté n’est peut-être qu’une façade, mais c’est elle, finalement, au travers d’un humour très politique (au sens originel du terme !), qui anime les situations et les personnages.

Des personnages qui, grâce au dessin et aux couleurs d’Anlor, ont une belle existence… Cette dessinatrice, qui a déjà collaboré avec Ducoudray pour  » Amère Russie « , a un dessin tout en démesure d’expressions, avec des trognes dignes de Michel Simon ou des superbes seconds rôles des films des années 50… Démesure de visages, démesure de mouvements, aussi, éclatement des perspectives et superbe utilisation des couleurs : ce sont les marques de fabrique d’Anlor, dans ces deux livres, et c’est ce graphisme, aussi, qui donne tout son sens visuel au scénario d’Aurélien Ducoudray.

Une très belle complicité, pour une histoire qui pourrait n’être qu’édifiante mais qui se révèle passionnante, passionnée, amusante, folle, attirante, intelligente !

Aurélien Ducoudray: le travail de la dessinatrice

 

J’aime beaucoup la maison d’édition  » GRANDANGLE  » qui réussit à publier des livres intéressants, à bien des niveaux, tout en restant dans un certain classicisme de forme, graphiquement. Et quand la réussite est au rendez-vous, ce qui est souvent le cas, ce qui est indubitablement le cas ici, elle est complète et crée un vrai plaisir de lecture !

 » A coucher dehors  » est, sous ses guenilles souriantes, un récit qui peut nous faire ouvrir les yeux, à toutes, à tous, sur les réalités qui sont les nôtres, et que nous acceptons trop souvent sans oser réagir…

 

Jacques Schraûwen

À Coucher Dehors (dessin : Anlor – scénario : Aurélien Ducoudray – éditeur : Bamboo/Grandangle)

Au Bout Du Fleuve

Au Bout Du Fleuve

Un très bel album qui nous conduit du Bénin au Nigeria, et nous fait découvrir des réalités trop souvent occultées…

Au bout du fleuve, c’est le lieu où Keni doit se rendre pour retrouver son frère jumeau, disparu depuis de longs mois.

Au bout du fleuve, c’est au bout de la vie, de l’espoir, aussi, pour ce jeune homme handicapé d’un bras et qui ne survit que grâce à des expédients.

Au bout du fleuve, c’est l’histoire de Keni, oui, c’est l‘histoire de sa quête identitaire dans un continent où les peuplades se mêlent, s’affrontent, vivent en parallèle les unes des autres, avec leurs croyances, leurs légendes, leurs mémoires.

Keni est orphelin, et il ne lui reste que ce frère jumeau disparu… Et comme le dit la sagesse populaire,  » perdre son jumeau, c’est perdre la moitié de son âme « .

C’est pour cette raison qu’il entame un long périple qui doit le conduire jusqu’au delta du fleuve Niger, où il sait que son frère est allé.

C’est une grande aventure humaine, donc… Mais c’est aussi et surtout bien plus que ça !… C’est un voyage à travers la multiplicité des réalités africaines, d’abord. Parce que cette quête vécue par un adolescent ne se construit qu’au travers des rencontres qu’il fait, belles ou moins belles, enrichissantes ou violentes. C’est le quotidien d’un continent démesuré que Jean-Denis Pendanx, l’auteur à part entière de ce livre, nous invite à découvrir. De l’intérieur…

Et ce quotidien, c’et celui du handicap et des regards qu’il provoque.

C’est celui d’un monde où, pour survivre, comme on l’entend régulièrement dans les infos d’ailleurs, les gens les plus pauvres pompent l’essence à même les pipe-lines, provoquant souvent de terribles accidents.

C’est un quotidien dans lequel les rêves n’ont rien de grandiose : l’argent, le foot… Rêves simples pour sortir de la misère et des routines de la survie…

C’est le quotidien des premiers émois amoureux, également.

Et puis, c’est le quotidien d’une pollution inouïe que l’occident ignore par seul appât du gain.

 

 

C’est un livre touffu, Mais jamais confus ! L’histoire, finalement, est très linéaire… Et même si tout n’est que rencontres et départs, croyances en des esprits, en des revenants et des sorcières, même si, comme le dit une des protagonistes,  » on n’est pas orphelin d’avoir perdu père et mère, mais d’avoir perdu l’espoir « , le personnage central, Keni, reste réellement le pivot du récit.

Et au-delà de la construction de cette histoire, il y a le dessin de Pendanx. C’est une suite de tableaux, extrêmement colorés, qui parviennent à estomper les horreurs quotidiennes qui sont racontées et montrées. C’est une série de portraits humains, aussi, très proches, pour les êtres  » positifs « , de leurs visages et de leurs sourires des lèvres et des yeux… Des portraits vus de plus loin quand il s’agit pour l’auteur de nous dévoiler des personnages essentiellement négatifs.

Certes cynique dans son propos, c’est vrai, ce livre se révèle pourtant extrêmement lumineux grâce à un graphisme à la fois très réaliste et très onirique. Une belle gageure totalement assumée et réussie…

C’est un peu comme un message qui nous est délivré, de loin… La vraie réalité, finalement, n’est-elle pas celle du rêve, en Afrique comme ici, du rêve et de toutes ses espérances ?…

C’est un livre sombre, bien entendu, puisqu’il nous parle de la vie sans chercher à l’embellir…

Mais c’est un livre avec des fulgurances d’espoir, aussi, puisqu’il nous montre que certains, au Nigeria, se battent pour retrouver leur dignité.

On ne guérit pas de son passé, surtout quand c’est celui d’une enfance perdue dans les brumes de la souffrance et de la douleur, c’est vrai, et il est tout aussi vrai, comme le dit un des personnages, que la mort est un vêtement que tout le monde portera un jour.

Mais ce bout du fleuve, malgré tout, malgré cette désespérance, malgré ces lendemains de grisaille qui nous sont décrits, ce livre reste un livre positif, à taille humaine, et, ma foi, humaniste, au-delà des différences que notre univers occidental aime à cultiver de plus en plus !

 

Jacques Schraûwen

Au Bout Du Fleuve (auteur : Jean-Denis Pendanx – éditeur : Futuropolis)

Les aventures de Betsy : Le Fantôme d’Argent

Les aventures de Betsy : Le Fantôme d’Argent

Les années 60… Un riche collectionneur de vieilles voitures… Une jeune femme aussi sexy que douée pour les enquêtes et pour la mécanique… Du champagne, un trésor, et une Rolls sublime… Voilà la cocktail endiablé de cette deuxième aventure de la belle Betsy !

 

 

Fritz Schlumpf, riche industriel quelque peu caractériel, collectionne les réussites professionnelles et les voitures anciennes. Il découvre un jour qu’un champagne, qui n’est plus commercialisé depuis des années, porte le même patronyme que le sien. Il décide donc d’acheter ce vin noble. Surtout que, dans le dossier historique concernant cet achat, il a découvert une vieille photo d’une mythique Rolls Royce. Une voiture qu’il veut absolument dans sa collection… Et il engage Betsy, rencontrée dans l’épisode précédent, pour enquêter et retrouver cette automobile somptueuse !

Mais voilà, une quête peut en cacher une autre, et en cherchant cette splendeur britannique, Betsy va se retrouver embarquée dans une sombre histoire de templiers, de trésor disparu à la fin de la seconde guerre mondiale, de messages codés… et, bien évidemment, de quelques méchants poursuivant des buts peu avouables !

Le canevas de cette histoire, vous l’aurez compris, n’a rien de révolutionnaire ni de particulièrement original. L’intérêt d’une telle histoire réside donc ailleurs : dans le rythme du récit, sans sa construction, dans l’intérêt que tous les personnages révèlent, des rôles principaux jusqu’aux seconds couteaux.

Et Olivier Marin, nourri aux œuvres de l’âge d’or de la bd belgo-française, est orfèvre en la matière. Aucun temps mort dans son scénario, des rebondissements simples mais efficaces, une action dans effets spéciaux mais omniprésente. Tout cela fait de ce livre une histoire certes classique mais particulièrement agréable à lire.

Avec une petite restriction, malheureusement : il y au fil des pages quelques fautes de français… A la page 12, par exemple, où on parle de la  » GENTE  » féminine… C’est une erreur que l’on entend régulièrement dans la bouche de quidams en manque de connaissances étymologiques qui me hérisse toujours au plus haut point ! Mais bon, n’insistons pas… Le récit, lui, est excellent, et cette faute grossière n’enlève rien au plaisir que j’ai pris à la lecture de cet album !

 

Le dessin ressemble au scénario : sans faire preuve vraiment d’originalité, dans la lignée d’une forme de ligne claire revue et corrigée par les modes graphiques semi-réalistes du début des années 2000, il est d’une belle efficacité. Le trait est souple, les angles de vue sont variés, les différents protagonistes ont une existence propre, physique comme  » littéraire « . Phalippou a un sens du mouvement, du rythme, il possède aussi une précision machiavélique quant aux détails, dans les voitures comme dans les paysages urbains. Et tout cela fait de ce  » Fantôme d’argent  » un bel objet à regarder comme à lire !…

Bien sûr, tout compte fait, l’axe central et essentiel de cet album, c’est la voiture, d‘abord, avant tout ! Mais là où, dans d’autres séries, il faut être fan total du monde automobile pour se laisser embarquer dans des histoires souvent sans grand intérêt narratif, ici, il n’en est rien, que du contraire.

Cela par la force simple du scénario comme du dessin mais aussi par le talent du coloriste qui réussit à replonger le lecteur dans une ambiance très années 60 !…

Une belle réussite, donc, que ce deuxième volume qui nous montre une héroïne qui, sans afficher des convictions féministes évidentes, n’en demeure pas moins une femme qui, dans un univers très masculin, cherche, avec succès, à s’imposer, et ce sans aucune caricature ridicule ou réductrice !

 

Jacques Schraûwen

Les aventures de Betsy : Le Fantôme d’Argent (dessin : Jérome Phalippou – scénario : Olivier Marin – couleur : Fabien Alquier – éditeur : Paquet)