Airborne 44 : 10. Wild Men

Airborne 44 : 10. Wild Men

La guerre 40-45 n’a pas fini de se rappeler à notre mémoire… Par l’actualité, d’abord, toutes les guerres, finalement, se ressemblant, par la nécessité, ensuite, de se rappeler que toutes les guerres sont méprisables, même si elles peuvent permettre à des individus de se découvrir !

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Cela dit, parler de la guerre 40-45 peut avoir l’air de participer à une sorte de mode. Mais ce n’est pas toujours le cas… Et, avec Airborne 44, on est loin, fort heureusement, de ces bd qui nous parlent d’héroïsme au premier degré…

Pour Philippe Jarbinet, l’auteur complet de cette série consacrée à la seconde guerre mondiale, parler de cette époque, cela doit être d’abord parler d’êtres humains, et les montrer vivre, survivre…

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Une des caractéristiques de cette série réside dans sa construction en petites histoires conjuguées en deux albums… Et ce « Wild Men » est la fin d’un diptyque…

Dans le premier volume, on a fait la connaissance de deux soldats américains, à Nice. Virgil, un Noir, et Jared, un Blanc… Un Blanc dont la sœur a été tuée par des Noirs, aux Etats-Unis, et qui, de ce fait, hait profondément, dès leur première rencontre, Virgil… Ces deux soldats sont envoyés en Belgique, du côté de Stavelot, avec les contingents devant stopper la contre-offensive allemande. Les hasards de la guerre étant ce qu’ils sont, ils se retrouvent ensemble, loin de leurs lignes, obligés de s’accepter l’un l’autre s’ils veulent survivre…

Et survivre aussi au froid, à la neige…

Philippe Jarbinet: le dessin

Jarbinet maîtrise parfaitement son sujet et son dessin, avec des moments de silence dans l’hiver de son récit pour créer la tension. Son graphisme, d’un réalisme à la fois personnel et dans la lignée de gens comme Hermann ou même, pour les visages, de Vance, est superbe… Tout comme sa couleur qui souligne les moments forts de son récit… La manière dont Jarbinet dessine ses paysages enfouis dans la neige et la froidure est époustouflante ! Tout comme sa façon, graphiquement, et par la grâce de son utilisation de la couleur, d’estomper les horreurs inhérentes à un tel récit, en construisant des séquences aux tons presque sépia…

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Philippe Jarbinet: traitement différent des couleurs

Survivre… A la haine, à la guerre, au passé. C’est cela que nous raconte Jarbinet, ici, dans Wild Men: l’errance de ces deux hommes, issus de milieux différents, de couleur différente aussi, en une époque où le racisme était plus que fréquent. Alors, certes, c’est un livre qui nous montre la guerre… Mais au-delà des horreurs et des tueries, cette guerre est plutôt le décor tragique d’une rencontre entre deux êtres humains… Deux frères d’armes… Mais Virgil et Jared sont des frères ennemis… Des éléments vivants perdus dans une tragédie presque classique.

Philippe Jarbinet: la guerre

Jarbinet, en conteur habité par son sujet, sait que les raccourcis propres à l’art même de la bande dessinée se doivent de passer par le dessin. Et son dessin, dès lors, d’un réalisme à la fois puissant et retenu, à la fois descriptif et pudique, aide à ce que chaque personnage, même n’étant qu’un passant dans le récit, prenne vie, prenne chair, et se révèle, dans l’ombre de ce qu’il laisse, comme essentiel à la construction de l’histoire racontée. C’est le cas d’Edith, une Belge qui aide Virigil, que Jared ne veut pas aider, mais qu’ils vont, à deux, sauver…

Philippe Jarbinet: le personnage d’Edith

Je le disais, avec Airborne 44, on se trouve loin, très loin, de la simple anecdote de guerre. Tout comme avec Speltens par exemple, ou Tardi dans un tout autre genre graphique et narratif, Jarbinet choisit la voie de l’humanisme. On parle souvent du devoir de mémoire. Jarbinet, avec Airborne 44, en est un artisan à taille humaine…

Et les qualités de ces ouvrages, de celui-ci en particulier, sont nombreuses. D’abord, même s’il s’agit d’une histoire imaginée, elle se déroule dans un monde parfaitement retranscrit, celui des alentours de Stavelot en 1944. J’ai eu ainsi le plaisir d’accompagner Philippe Jarbinet tout au long des lieux qu’il a dessinés. Et de le faire dans un convoi militaire de passionnés des engins motorisés de cette époque… Découvrir Rochelinval ou la ferme de Dairomont, et les comparer avec les dessins de l’auteur, le tout en camion Dodge d’époque, je peux vous dire que c’est impressionnant… Ce qui est impressionnant aussi, c’est la parfaite fidélité des dessins des jeeps et des camions…

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Etrangement, ce livre, axé pourtant essentiellement sur deux hommes, deux militaires, est aussi un livre d’amour… Au sens large du terme ! L’amour entre une homme et une femme que des continents peuvent séparer, l’amour entre deux hommes qui ont appris, non pas à se respecter, mais à savoir qu’ils ont fondamentalement besoin l’un de l’autre malgré, ou grâce à leurs différences. L’amour fugitif, mais aussi l’amour qui fait croire à l’éternité, n’est-ce pas ce sentiment tellement oublié qui, en définitive, se trouve être le vrai centre de gravité de « Airborne 44 »?

Avec un découpage extrêmement cinématographique, Philippe Jarbinet semble nous dire qu’on ne se quitte jamais lorsque l’on s’aime, tout simplement. Et que les mots écrits permettent, justement, de ne pas se perdre… Et de ne plus jamais, par la force de cet amour, « vivre en fléchissant les genoux »…

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Ne fait-il pas dire à un de ses personnages, justement : « Je garde une trace de ce qu’on vit. Rien de secret. Des choses qu’il ne faudra pas oublier. » !

Il y a dans cet album, indubitablement, un vrai travail d’écriture, également, qu’il faut souligner…

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Je disais qu’il s’agit d’un album au contenu d’abord et avant tout humain. Et cela s’impose jusque dans la conclusion qu’en écrit Jarbinet. Il nous dit qu’il faut oublier pour vivre…

J’avoue avoir été quelque peu désarçonné par cette sorte de morale proche de celles de La Fontaine… Mais il m’a dit aussi, à l’issue de cette balade à la fois dans cet album et dans une région précise de la Belgique, que pour exister, il faut, au contraire, ne pas oublier…

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Philippe Jarbinet: exister

Jacques et Josiane Schraûwen

Airborne 44 : 10. Wild Men (auteur : Philippe Jarbinet – éditeur : Casterman – 64 pages – octobre 2022)

Après La Rafle : un livre et une exposition à Bruxelles

Après La Rafle : un livre et une exposition à Bruxelles

Avec un dessin puissant, un livre qui nous parle de l’inacceptable… A découvrir jusqu’au 22 octobre dans La Galerie de la Bande Dessinée – Chaussée de Wavre 237 – 1050 Bruxelles !

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1942. A Paris a lieu une « rafle », l’arrestation de milliers de Juifs, par la police française. Des Juifs enfermés au « Vel d’hiv » avant d’être envoyés vers d’autres camps, antichambres d’une mort annoncée.

Dans la foule de ces humains, des hommes, des femmes, des enfants. Parmi ces enfants, Joseph Weismann.

C’est lui qu’on rencontre dans ce livre qui nous raconte la grande Histoire à hauteur d’enfance meurtrie à tout jamais.

Après la rafle… Un album inspiré donc par les souvenirs de ce gamin qui a vécu l’horreur de la rafle à Paris, l’horreur de l’enfermement, ensuite, dans un camp en France, à Beaune-la-Rolande, la folie de son évasion, enfin…

copyright les arènes bd

Ce livre, bien plus que le triste film « La Rafle », avec Jean Reno, est une réussite, à tous les niveaux.

Adaptation des souvenirs de Weismann, cet album est surtout un hommage à une mémoire brisée, à un être humain qui, au brasier de ses années, n’a jamais pu oublier et veut porter témoignage du besoin, essentiel, élémentaire même, de résister à l’inacceptable.

Avec un scénario qui n’a rien de linéaire, qui, même, se révèle éclaté, comme l’est toute mémoire humaine, finalement, cet album plonge les lecteurs dans la grande Histoire, celle d’une France oublieuse pendant des dizaines d’années de ce que fut réellement la collaboration : des camps de détention qui n’avaient rien à envier à ceux qui se multipliaient dans le Reich d’Hitler, dans le Loiret, en Alsace aussi, où un four crématoire a même « fonctionné » !

Laurent Bidot: le scénario

Deux enfants, perdus dans une guerre à laquelle ils ne peuvent rien comprendre, sont les axes centraux de ce livre de mémoire…

Laurent Bidot: l’Histoire

Mémoire historique, oui, mémoire émotionnelle surtout. Et pour en faire les héros tangibles de ce livre, pour être fidèles aux souvenances de l’enfant Joseph Weismann, Laurent Bidot et Arnaud Delalande ont décidé de tout raconter, par les mots et le graphisme, à hauteur de l’enfance… Une enfance dessinée, ainsi, portant sur le monde qui les entoure, le monde des adultes, le monde des grands, un regard extrêmement attachant.

Laurent Bidot: la mémoire

Et à Bruxelles, donc, c’est ce livre important qui se révèle et s’expose. Un livre que tout monde devrait avoir lu, et faire lire… Un livre qui se montre au travers des dessins de Laurent Bidot, un dessinateur qui a choisi un travail sur le noir et blanc proche de l’expressionnisme allemand pour rendre compte et souvenance d’un « inacceptable » répugnant.

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Laurent Bidot: le dessin

Pour nous donner à voir l’horreur d’un quotidien français que l’Histoire officielle ne remet en lumière que depuis très peu de temps, Bidot choisit la voie de la pudeur et de l’émotion. Totalement dessiné de manière très classique, pour rendre clair et lisible le scénario éclaté, ce livre n’a rien d’un travail de seul délassement, et on sent, face aux cimaises où sont accrochées les planches originales, tout l’engagement qui a été celui de l’artiste.

Laurent Bidot: la pudeur

Ce livre, en fait, c’est un regard… Et même si l’album est paru en couleurs, des couleurs d’ailleurs parfaitement réussies, on ne peut qu’être éblouis par la technique du noir et blanc de ce dessinateur habité véritablement par son sujet. Et éblouis aussi par la fusion tangible entre le témoin, Weismann, le scénariste Arnaud Delalande, et le dessinateur Laurent Bidot… Le tout orchestré, dans le livre, par la couleur de Clémence Jollois.

Laurent Bidot: la couleur

Un livre et une exposition à ne pas rater, donc…

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Jacques et Josiane Schraûwen

Après La Rafle (dessin : Laurent Bidot – scénario : Arnaud Delalande – couleur : Clémence Jollois – éditeur : Les Arènes BD – janvier 2022 – 124 pages)

 Exposition jusqu’au 22 octobre des dessins de Laurent Bidot – La Galerie de la Bande Dessinée – Chaussée de Wavre 237 – 1050 Bruxelles

Alamänder : 1. Mystère A La Tour De L’Horloge

Alamänder : 1. Mystère A La Tour De L’Horloge

Un romancier, un scénariste, un dessinateur et deux coloristes : de la fantasy qui décoiffe !

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Résumer ce premier album n’est pas compliqué.

D’une part, nous avons un mage, Jonas Alamänder, chassé de sa maison, voulant plaider sa cause, et confronté à un mystère digne de Rouletabille. Sa sagesse de mage liée à ses compétences de détective, avec l’aide étrange de Retzel, un horrifiant petit animal de compagnie, tout cela va-t-il suffire à résoudre les énigmes criminelles qu’il découvre ?

D’autre part, nous avons un gamin, Maek, que l’on voit vieillir au gré d’une quête horrifique dans laquelle la mort est omniprésente.

Entre Alamänder et Maek, aucun lien, sans doute. Et 800 années de différences, dans deux mondes qui ne se ressemblent que très peu…

Deux lieux, deux temps, et le TEMPS qui se fait, au fil du récit, un personnage presque palpable…

Tous les albums d’héroic-fantasy se ressemblent souvent. Très souvent. Trop souvent… Et voici qu’en peu de temps, deux séries de ce genre réussissent à leur manière à casser des codes que je trouve, personnellement, très étroits. SOW, inspiré, si je ne m’abuse, d’un jeu vidéo… Et ALAMÄNDER, inspiré d’un roman…

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Alamänder… Personnage qu’on a l’habitude de rencontrer dans le monde de la fantasy : beau, jeune, aventurier, charmant et, bien évidemment, charmeur. Mais voilà… Il est plein d’illusions, ce garçon, et, comme Spirou, il a un compagnon que bien des gens prennent pour un écureuil. Mais Retzel et Spip n’ont strictement rien à voir ! Sinon dans leur propension à manger, dans celle de râler… Pour le reste, vous découvrirez vite que cet hommage à une bd mythique se fait quelque peu gore au fil des pages !

Retzel est le contrepoint d’Alamänder. Un contrepoint total… Aucune sagesse chez lui, aucune utilité non plus, semble-t-il, et de la vulgarité, de la provocation!

Maek… Personnage qu’on a plus l’occasion de rencontrer dans les comics américains les plus sombres qui soient, ceux qui s’intéressent aux tueurs psychopathes. Il semble sorti tout droit des pages d’un « ça » de Stephen King, mais un « ça » dans lequel le clown serait la proie d’un enfant assassin, un enfant, d’ailleurs, qui ne rêve que de cela, une école des assassins !

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Atypique, incontestablement, cette série l’est, qui donne parfois l’impression de se perdre dans sa propre évolution. Il y a des zones d’ombre qui ressemblent à des oublis. Maek est le premier des Hempé, mais qu’est-ce qu’un Hempé ?… Alamänder, au cours de son enquête, parle de bruits que des gardes ont entendus, alors qu’à aucun moment, dans le déroulé de l’action, le scénario n’en parle…

Les auteurs m’ont dit, le sourire aux lèvres, qu’il allait falloir attendre le deuxième tome pour avoir quelques réponses à mes légitimes questions !…

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Cela dit, ce livre m’a bien plu.

Certes, il file un peu dans tous les sens, il pratique à la fois l’humour glauque et la plaisanterie vulgaire, le gore et une certaine forme de tendresse, l’aventure la plus convenue avec des soldats, leurs étranges montures et des monstres hideux, et le meurtre dans un lieu clos cher à Christie comme à Leroux.

Il multiplie aussi les références, avec Spip, comme je l’ai dit, mais avec les folies agricoles que notre univers connaît déjà (des céréales belliqueuses…), il mêle dieux, humains, magie et quotidiens… Il nous parle d’amitiés viriles et d’émois amoureux. Il mélange des mythologies que nous connaissons, grecque et catholique, entre autres, pour en créer une nouvelle…

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Et c’est tout cela qui fait la richesse et la réussite de ce livre. On ne s’ennuie à aucun moment, on a l’impression de se trouver dans une sorte de micmac brumeux qui finit plus par ressembler à un univers ésotérique qu’à de la fantasy, avec un rappel, discret, au Petit Albert…

C’est cette imagination, littéraire d’abord, scénaristique ensuite, graphique enfin, qui lie tout cela en y ajoutant le travail de la couleur…

J’attends donc la suite de cet album, en espérant y trouver les réponses aux « blancs » volontaires de ce premier tome !

les auteurs et leur éditeur

Alexis Flamand et Gihef

Jacques et Josiane Schraûwen

Alamänder : 1. Mystère A La Tour De L’Horloge (dessin : Marco Dominici – scénario : Gihef, d’après le roman d’Alexis Flamand – couleurs : Andrea Celestini et Alessandro Russotto – éditeur : Kamiti – septembre 2022 – 64 pages)