Astérix et le Griffon

Astérix et le Griffon

J’ai sacrifié à ma collectionnite et j’ai acheté le dernier album (en date…) des aventures du petit Gaulois résistant à l’envahisseur romain. Un livre dont tout le monde parle. Je vais donc faire de même, sans plus… Rapidement… Et sans me faire d’illusion : le mercantilisme éditorial ne souffrira guère d’un avis peu positif !

Astérix et le Griffon © éditions Albert René

Pour satisfaire les fans de jeux du cirque, Jules (oui, lui, César…) envoie sa soldatesque chercher un animal mythique dans les lointains et froids pays du Nord : un griffon. Et, bien évidemment, ces soldats vont trouver sur leur route notre duo de choc, Astérix et Obélix, mais aussi quelques femmes belliqueuses à souhait.

Le canevas du scénario est simple.

Astérix et le Griffon © éditions Albert René

Pour l’agrémenter, Jean-Yves Ferri l’a ponctué de bien des jeux de mots, de la présence caricaturée de Michel Houellebecq, entre autres, de quelques personnages hauts en couleur, de quelques historiettes parallèles au récit principal : une amourette pour Obelix, une fugue pour Idefix, l’invention du bortsch pour Panoramix.

Cela dit… Sous cet emballage traditionnel, donc sans véritable inventivité, est-ce que la sauce prend ?… Est-ce que le plaisir de la lecture est au rendez-vous ?

A mon humble avis, pas vraiment…

Astérix et le Griffon © éditions Albert René

On y trouve un peu de féminisme, des adeptes du complotisme, des gags écrits très actuels, prenant à partie le monde virtuel, quelques anachronismes aussi. Plus que de l’originalité, j’ai trouvé dans cette « accumulation » un sacrifice à l’air du temps bien plus qu’une réflexion assurée et souriante de la réalité contemporaine, ce qui était la marque de fabrique pourtant des grands albums de cette série.

Voilà le premier hic : cet album est convenu, politiquement correct ! J’ai envie de dire que les auteurs ont presque retrouvé le souffle d’Uderzo mais absolument pas celui de Goscinny ! Il ne suffit pas de multiplier les jeux de mots pour construire un scénario digne de ce nom.

Et là, il y a le deuxième hic : ce scénario manque de construction, de corps ai-je envie de dire. Certes, les ingrédients attendus sont là, mais leur agencement laisse à désirer. Là où Goscinny donnait vie à des personnages secondaires, leur offrait une vraie personnalité, Ferri se contente de les esquisser, à gros traits, et ils ont pratiquement tous l’air d’être absents du récit. En outre, en guise de récit, on est devant un travail minimum, incontestablement, avec une fin accélérée, avec des vides dans la narration, avec un côté « aventure » qui n’enthousiasme vraiment pas !

Astérix et le Griffon © éditions Albert René

Il y a quand même des points positifs, bien entendu.

Le dessin de Didier Conrad est toujours de qualité, surtout quand il peut, au creux de certaines pages, se laisser aller à la caricature quelque peu outrancière. L’esprit d’Uderzo, c’est lui… Mais on le sent cependant un peu trop « appliqué », cahier de charges oblige probablement.

Autre point positif, c’est la qualité de la mise en couleur, le travail sur les paysages de neige, sur les ombres, aussi… Thierry Mébarki a du talent, et réussit à donner du relief à une histoire, qui en a bien besoin parfois.

Ce nouvel Astérix va donc rejoindre dans ma bibliothèque ses prédécesseurs, sans plus, pour que la collection soit complète. Et je me demande déjà si, pour le prochain album de ces Gaulois récalcitrants, j’aurai enfin le courage de ne pas participer à une opération infiniment plus mercantile qu’artistique !

Jacques Schraûwen

Astérix et le Griffon (dessin : Didier Conrad – scénario : Jean-Yves Ferri – couleur : Thierry Mébarki – éditeur : les éditions Albert René – octobre 2021 – 48 pages)

Alice Guy

Alice Guy

Le portrait d’une pionnière du cinéma, le portrait d’une époque, d’une Histoire…

Que connaissons-nous de l’Histoire, la grande, celle qui ne se construit qu’à partir de petites histoires quotidiennes ? Grâce aux livres de Catel et Bocquet, toujours un peu plus que le simple reflet des déclarations de quelques experts pontifiants…

Alice Guy © Casterman

Ce dont nous parlent Catel Muller et José-Louis Bocquet, dans ce roman graphique comme dans leurs ouvrages précédents, ce sont des « clandestines de l’Histoire ».

L’Histoire, oui, dont les majuscules oublient bien trop que le monde ne peut évoluer que grâce à la minuscule présence d’êtres humains… Sans le chant des troubadours, disait Anne Sylvestre, n’aurions point de cathédrales »… Sans ces « clandestines », ce qui nous manquerait, c’est une part essentielle de l’intelligence humaine et de ses combats, et de ses révoltes, et de ses avancées tolérantes…

Catel : les clandestines de l’Histoire

Alice Guy est de ces femmes dont on ne parle pas, dont on ne parle plus, même si quelques ouvrages lui ont été consacrés. Et pourtant, elle fut une des pionnières du cinéma autant que de l’émancipation des femmes. Dès la fin du dix-neuvième siècle, profitant de son métier de sténodactylo, Alice Guy s’est fait, peu à peu, par son talent, son acharnement, son travail, une place dans une épopée technologique et culturelle qui allait imprimer son empreinte sur le monde entier : le cinéma !

Alice Guy © Casterman

Alice Guy est une clandestine de l’Histoire, elle fut aussi, surtout, une femme d‘un modernisme incroyable, d’un modernisme qui peut, encore, aujourd’hui, éveiller bien des échos…

José-Louis Bocquet : le modernisme d’Alice Guy

Pour parler de ce modernisme, pour nous parler de cette femme et de son époque, les auteurs ont choisi une trame narrative toute simple, et véritablement efficace : la construction du récit se fait en chapitres datés. C’est bien d’une biographie qu’il s’agit, chaque chapitre étant une tranche de vie, sans flash-backs, dans une continuité temporelle sans faille.

Et, ce faisant, les auteurs nous racontent toute une époque, toutes des époques, et deux histoires, celle d’une femme et celle du cinéma.

José-Louis Bocquet : la narration

Cette construction narrative du scénario, d’une fluidité exemplaire, se continue et se complète par la construction du dessin. Le graphisme de Catel ne brille pas par son réalisme, par son tape-à-l’œil, mais par sa fidélité au sujet traité et, de ce fait, à son sens aigu de l’expressivité. Les visages des personnages révèlent leurs sentiments, leurs émotions, leurs doutes, leurs plaisirs.

Catel : le dessin

Catel dépasse ainsi, par la grâce de son dessin, la simple anecdote pour, à petites touches, aborder des thèmes plus généraux parfois, plus intimistes d’autres fois : l’évolution du sens à donner au mot couple, par exemple, l’évolution de ce qu’est une famille, aussi, mais, en même temps, le dessin de Catel nous donne à voir le passage historique de la photo au cinéma, nous raconte l’évolution du jeu d’acteurs qui, avec Alice Guy, se doit de ne pas être surchargé.

Alice Guy © Casterman

Catel applique, dans toute son œuvre, ce qu’un des personnages dit dans ce livre-ci : « il ne suffit pas de montrer, il faut faire rêver ».

Cela dit, l’histoire majuscule, c’est aussi celle des mots, et Bocquet la fait vivre, elle aussi. Saynètes, phonoscènes, théâtre de prises de vue, tout le vocabulaire d’un art naissant ponctue son récit sans jamais l’alourdir.

Il est vrai aussi que Bocquet a des références, nombreuses, qu’il utilise dans ce livre : de Voltaire aux frères Lumière, de Louis Feuillade à Chaplin, de Lacassin à Eiffel. Mais ces références participent pleinement à ce qu’il nous raconte, à ce qu’il partage avec nous : le portrait d’une femme dont la réussite est un agglomérat de faits, de rêves, de sensations, de rencontres ! Son scénario n’a rien de pédant : il est partie prenante de l’art de la bande dessinée.

José-Louis Bocquet : de la BD

Et là aussi, entre le scénariste et la dessinatrice, la complicité, voire l’osmose, sont de mise, sans aucun doute possible.

Alice Guy © Casterman

Catel a un dessin qui n’a rien de tarabiscoté. Un dessin qui s’intéresse, d’abord et avant tout, aux personnages. Mais un dessin qui rythme le récit, également, en réussissant à rendre compte d’une part de la réalité de ses personnages et, d’autre part, de la réalité presque tangible de l’époque racontée, grâce aux décors, aux objets, aux lieux dans lesquels évolue Alice Guy. L’alternance de scènes intimiste et de scènes aux décors peaufinés fait penser, graphiquement, à ce qu’est le cinéma !

Catel : les décors

Ce livre est beau, simplement.

Par ce qu’il nous raconte, par ce qu’il nous montre, par la fusion totale entre le dessin et le texte, par l’absence de toute lourdeur, par la création d‘un rythme que je qualifierais de « vivant ».

Alice Guy © Casterman

Au détour d’une page de ce « Alice Guy », il y a cette phrase, que j’épingle ici : « La beauté n’est pas une histoire de technique ».

Une phrase qui s’applique bien entendu à Alice Guy. Mais qui s’applique aussi au travail de Catel.

Catel : la technique

L’existence d’Alice Guy s’est faite, comme celle de tout être humain, de hauts et de bas, de réussites et d’échecs. Elle aurait pu en être aigrie, mais elle n’a été, tout au long de cette vie, jusqu’à sa mort en 1968, qu’une femme toujours combattante, mais sans ostentation.

Ce livre parle d’elle. Une femme d’art, d’intelligence et d’intégrité.

Mais il parle, en même temps, d’art, de société, d’évolution humaine au long du vingtième siècle. D’image animée comme lieu de souvenance. De création qui ne peut exister qu’avec émotion. De féminisme, de racisme, de contrôle des naissances, et de but essentiel du cinéma, qui est de montrer AUSSI le réel.

Alice Guy © Casterman

« Alice Guy » est de ces livres qui nous enrichissent.

Il est donc de ces albums qui ne peuvent que trouver une place de choix dans votre bibliothèque.

Jacques Schraûwen

Alice Guy (dessin : Catel Muller – scénario : José-Louis Bocquet – éditeur : Casterman – 400 pages – septembre 2021

Alerte 5

Alerte 5

De la SF simple, souriante, intelligente, belge !

Alerte 5 © Casterman

L’histoire que nous raconte et dessine Max De Radiguès se situe probablement dans un futur très proche. Une fusée habitée décolle de la Nasa, direction la station internationale. Et cette fusée explose. Un attentat, revendiqué par un groupe islamiste. Et donc, immédiatement, c’est l’alerte de niveau 5, le plus élevé, qui est mise en place dans tous les sites et pour toutes les missions en cours. Et parmi ces missions, il y a une base d’exploration martienne, dans laquelle vivent cinq astronautes… Et c’est là que commence le récit de ce petit album. Un thème qui, de but en blanc, s’inscrit dans l’univers de la science-fiction.

Alerte 5 © Casterman
Max De Radiguès : la science-fiction

Et oui ce récit va donc s’axer autour de ces cinq astronautes, trois femmes et deux hommes, qui voient soudain interdites toutes les communications personnelles avec la Terre. Cinq pionniers de la conquête spatiale qui doivent, à cause de cette alerte majeure, utiliser des procédures qui leur ôtent toute liberté individuelle. Et, parmi eux, Amir, d’origine marocaine, que la chef de cette expédition doit interroger, chaque jour, pour avoir la certitude qu’il n’est pas lié à l’attentat…

Alerte 5 © Casterman

On pourrait croire qu’il s’agit d’une science-fiction assez classique, tout compte fait, mais avec des échos actuels. Mais ce n’est pas tout à fait exact !… Parce que, avec Max De Radiguès, les apparences sont parfois trompeuses. Et que sa manière de construire un scénario laisse la porte ouverte pour bien des inattendus.

Max De Radiguès : le scénario

Plus que la narration, ce qui l’intéresse, vraiment, ce sont ses cinq héros quotidiens, obligés de vivre ensemble, obligés de se supporter et de tout faire pour que les rumeurs ne deviennent pas des soupçons. Cinq personnages qui, à leur manière, vivent leur vie de papier avec une certaine forme d’indépendance…

Alerte 5 © Casterman
Max De Radiguès : les personnages

Le style narratif de Max De Radiguès, vous l’aurez compris, est très particulier, original aussi. Et il se caractérise par l’importance que revêt pour lui, le temps. Le temps qui passe, qui fait évoluer ses héros, le temps qui s’étire et qui n’a nul besoin de s’exprimer par des mots… Le temps, oui, qui se fait silence parce que le lecteur se doit, lui aussi, de participer à l’histoire qui se raconte…

Max De Radiguès – les textes…

Le dessin de cet auteur s’inscrit, indéniablement, dans la lignée de la ligne claire. Mais avec un sens très spontané, aussi, que Max De Radiguès qualifie lui-même de naïf. Une spontanéité, dans le dessin comme dans le texte, qui fait que ce livre-ci est aussi un jeu narratif, un jeu de surprises. Mais ne comptez pas sur moi pour vous révéler les jeux narratifs de l’auteur ! Sous des dehors graphiques simples, il s’amuse à construire une histoire prenante, surprenante, parfois souriante, lue et regardée avec plaisir, tout simplement.

Alerte 5 © Casterman
Max De Radiguès : le dessin

Certes, il nous parle de confinement, de besoin de solitude pour exister, de fantasmes, d’envie de fuite… Mais, en même temps, on se trouve dans un récit qui ressemble presque parfois aux romans du Club des Cinq…

Et en finale, ce livre, tout simple, n’a rien de simpliste et se révèle extrêmement agréable à lire !

Jacques Schraûwen

Alerte 5 (auteur : Max De Radiguès – éditeur : Casterman – juin 2021 – 191 pages)

Alerte 5 © Casterman