Le Chat : 25. L’Origine Du Chat

Le Chat : 25. L’Origine Du Chat

C’est une vraie tradition, à quelques miaulements de la fin de l’année : Philippe Geluck nous propose ses petits coups de griffe dessinés, à mettre, pourquoi pas, sous le sapin, entre le bœuf et l’âne.

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Un vrai « personnage », ce chat, dont la simplicité du trait permet de tout relativiser parfois, de tout mettre en question d’autres fois, de tout placer en évidence, souvent… Et quand je dis tout, je veux parler de réflexions personnelles, de blagues potaches, de jugements à l’emporte-pièce, de colères mesurées, de coups de gueule à l’apparence spontanée. Le Chat, c’est un peu le Buster Keaton de la bande dessinée… En plus simple, simpliste disent certains, en ce qui concerne le graphisme…

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Sans cette simplicité du dessin du chat (dont on retrouve dans cet album quelques premiers balbutiements), aurait-il pu depuis aussi longtemps s’imposer dans le paysage de la bande dessinée ? Je ne pense pas… Son air bonasse le rend capable de dire les pires des conneries en n’ayant l’air de rien… De jeter des pavés bien solides dans la mare des bonnes pensées imposées… Je n’irais pas jusqu’à dire que Philippe Geluck est un auteur anarchiste !!! Mais, jailli, par ses détournements de dessins pompiers par exemple, de la cuisse d’Hara Kiri, il s’amuse, sans cesse, et depuis désormais 25 albums, à mêler à l’énormité de son tour de taille l’énormité de ses propos tranquilles…

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Si le chat avait été le héros d’un western, il ne tirerait pas plus vite que son ombre, il tirerait vers toutes les ombres de la sagesse, du bien ordonné, du bien propre sur soi… De l’intelligence formatée… Du bon goût… Certes, on peut reprocher à ce personnage de papier son manque de vigueur, sa mollesse charnelle, osons le dire, son existence n’est possible qu’en fonction d’une société qu’il n’arrête pas de fustiger ! Oui, c’est vrai, on peut lui reprocher, dans le mauvais goût comme dans l’affrontement presque socio-politique, des répétitions, des constances. Mais tout cela n’est-il pas, finalement, à l’image même de tout être humain, donc de tous ses très nombreux lecteurs !

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On peut ne pas aimer Le Chat, cet anti-héros pachydermique, bien sûr… Je dirai même qu’on peut parfois le détester, tant quelques-uns de ces gags ne sont là que par provocation pure… Mais je pense, et je penserai toujours, que ce félidé de papier répercute en toute impunité, depuis des dizaines d’années, ce que tout le monde, peu ou prou, pense tout bas du monde qui est le nôtre ! Et qui, malheureusement, n’évolue pas très bien ! Tout aussi malheureusement, Sempé, Topor, Bosc, Serre, grands dessinateurs d’un humour à la fois décalé et si proche de chacun, ces artistes n’ont jamais réussi à ce que la société change véritablement…

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Mais sans eux (et sans Le Chat non plus), le lissé de l’existence ne se verrait pas imposer quelques plis et replis qui, au moins, font du bien à l’âme comme à l’instant qui passe ! Les humoristes, à ce titre, méritent tout le non-respect auquel chaque individu devrait avoir droit ! Cela dit, il faut quand même prendre le temps de souligner que le travail de Geluck est aussi, et surtout peut-être, celui d’une collaboration avec différents « proches »… Parmi eux, je me dois de mettre en évidence Serge Dehaes qui se voit imposer, par Geluck, de mettre en couleurs les non-émotions de ce félin quelque peu boudeur !

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Je le disais en préambule, la sortie d’un « chat », cela fait partie du paysage de chaque fin d’année, ou presque… Et même si, comme je le disais aussi, on a parfois l’impressions de « redites », picorer dans un album de Philippe Geluck, cela se fait avec plaisir ! Et bonne humeur…

Jacques et Josiane Schraûwen

Le Chat : 25. L’Origine Du Chat (auteur : Philippe Geluck – couleurs : Serge Dehaes – éditeur : Casterman – octobre 2025 – 48 planches)

Le Corbeau La Corneille Et La Colombe – Jean-Claude Servais et les symboles de la faune de chez nous

Le Corbeau La Corneille Et La Colombe – Jean-Claude Servais et les symboles de la faune de chez nous

Jean-Claude Servais est Gaumais, profondément gaumais… De Chassepierre à Virton, en passant par Florenville, ses sources d’inspiration, il les trouve dans la nature qui l’entoure, cette nature dans laquelle il aime se perdre pour mieux se retrouver. Nous perdre, pour mieux nous redécouvrir !

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Et pour le moment, dans le musée Gaumais de Virton, il y a une exposition consacrée au Loup, dans laquelle on peut admirer plusieurs planches originales de ce dessinateur… Un dessinateur inspiré par la nature, certes, mais aussi par notre monde tel qu’il est, avec ses dérives de plus en plus présentes.

Jean-Claude Servais: la nature… (copyright Schraûwen)

Je le disais, l’actualité de Jean-Claude Servais est multiforme, pour le moment…

copyright Servais

Avec, aussi, la sortie d’un album, chez BDMUST, reprenant toutes ses premières bandes dessinées, inédites pour la plupart.

Jean-Claude Servais: les débuts (copyright Schraûwen)

Jean-Claude Servais est le chantre de cette région belge qui est sienne et qui lui colle aux talons de livre en livre. Il est, dans le paysage du neuvième art belge, un artiste essentiel… Comme l’est aussi Hermann… Deux auteurs complets, deux auteurs qui ont une carrière qui les a vus évoluer dans leurs graphismes, dans leurs centres d’intérêt, deux artistes qui sont restés fidèles à leurs passions de jeunesse…

Jean-Claude Servais: Hermann (copyright Schraûwen-

L’autre actualité de Servais, c’est un nouvel album, chez Dupuis… Dans « Le Corbeau La Corneille Et La Colombe », tout commence en Gaume, en 1935. Eléonore, une jeune écolière, a adopté une corneille. Cette gamine grandit à son rythme, chantant pour la famille des ritournelles comme « il était un petit homme… », vivant une vie tranquille et rurale…

copyright Dupuis

Elle y ressent les premiers émois du sentiment amoureux. Elle y voit partir les hommes pour la guerre, aussi… Elle fuit les horreurs dont on lui parle en forêt gaumaise, où une rencontre avec un déserteur allemand va décider de son destin. Je ne vais pas en dire plus, pour ne rien révéler d’une histoire humaine qui pourrait se construire comme un mélodrame, mais un mélodrame dans lequel Jean-Claude Servais construit un univers très varié. Si cette histoire à taille humaine est la trame de son album, Servais y mêle mythologies et contes, nature et évolution de la société, ce qui fait que ce livre peut être lu de plusieurs manières.

Jean-Claude Servais: Le Corbeau La Corneille Et La Colombe (copyright Schraûwen)

Le premier mythe dont Servais nous parle dans ce livre est lié à Apollon et à son corbeau blanc… Un corbeau qui le trahit et qu’il condamne, désormais, à être noir… Noir comme la peur, la mort, la haine… Et ensuite, de mythe viking en conte ardennais, de corbeau en corneille, de musique en larmes, de fables de La Fontaine en explications didactiques sur les différences entre tous les cornidés, de Rimbaud à Poe et Baudelaire, tout le récit mène à une ultime image, celle d’une colombe, symbole de la paix pour les chrétiens, symbole de la sublimation pour les alchimistes.

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Et tout cela, m’a dit Jean-Claude Servais, naît de son imaginaire, certes, mais aussi, et surtout peut-être, de ses recherches, littéraires et graphiques… Artiste observateur, en quelque sorte, il restitue au papier ce que lui-même a pu découvrir…

Jean-Claude Servais: passeur (copyright Schraûwen)

Une rencontre avec Jean-Claude Servais, c’est toujours, pour moi, un moment de plaisir, de partage, d’éblouissement même. Cet auteur fait véritablement partie de notre existence, à Josiane et moi, au travers de ses livres qui, depuis ses tout débuts, nous ont enchantés… Oui, Servais est un enchanteur, le Merlin du neuvième art, en quelque sorte ! Et ce livre-ci, nous parlant des corvidés, ne pourra que vous enchanter également !

Jacques et Josiane Schraûwen

Le Corbeau La Corneille Et La Colombe (auteur : Jean-Claude Servais – couleurs : Guy Raives – éditeur : Dupuis – octobre 2025 – 79 pages)

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Le Musée gaumais à Virton accueille l’exposition « Loup qui es-tu ? » du 11 octobre 2025 au 10 mai 2026.

https://bdmust.be/catalogue/albums/les-inedits-de-servais/les-inedits-de-servais

Constance et les ombres – tome 1

Constance et les ombres – tome 1

Une nouvelle série qui s’initie dans un album « tous publics » que les adolescents comme leurs parents aimeront…

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Une petite fille naît dans une demeure luxueuse du début du vingtième siècle. Et déjà l’accompagne, invisible pour tout le monde sauf pour elle, un monstre velu à la dentition terrible, aux mains ornées de griffes capables de lacérer n’importe qui, n’importe quoi… Mais ce monstre est gentil… Il est là pour aider cette enfant à grandir loin des dangers qui la menacent, comme ils menacent, finalement, toutes les enfances… Et la menace qui hante la petite Constance prend la forme, dans ses cauchemars, dans une forme rêvée de la réalité aussi, d’une meute de loups féroces, prêts à toutes les cruautés…

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Le scénario d’Ingrid Chabbert parvient, très vite, à faire monter une forme de tension… Et le récit qu’elle nous offre est tout à fait susceptible, c’est évident, de plaire à un large public, un public adolescent d’abord, de cet âge où l’existence, depuis toujours, se fait révolte contre un monde (trop) bien établi.

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Ce monde, dans cet album, est celui des parents de Constance. Toute adolescence ne se construit-elle pas, d’ailleurs, dans les affrontements qu’on peut avoir, qu’on doit avoir, avec ceux qui nous ont mis au monde ?… La famille proche de Constance est formée par une mère sans beaucoup de tendresse, par un père sérieux, sévère même, riche sans doute, travailleur efficace certainement, par une servante, Eugénie, qui est la seule à témoigner d’une véritable affection pour la petite fille, et par Louis, le grand frère de Constance.

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Constance est une petite fille qui grandit, une gamine qui glisse d’un monde à l’autre, de celui de l’enfance à celui d’un âge menant inexorablement à celui qu’on dit adulte. Son frère meurt… Et ce décès transforme la vie de Constance, qui ne peut plus sortir de chez elle, qui se sent prisonnière, qui est sans cesse rabrouée par sa mère, usant de laudanum, et par son père. Constance n’a de liberté qu’aux instants où elle peut lire, s’enfouir en d’autres vies que la sienne, terne malgré une maison somptueuse et des vêtements qui l’habillent de grâce et de printemps.

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Et reviennent dans sa vie de presque jeune femme ses cauchemars… Ses visions… Ces fameux loups… Et revient son adorable monstre prêt à tout pour l’aider, et sans doute pour la sauver… Le scénario est d’une belle efficacité. Il se fait linéaire, malgré les années qui passent au fil du récit… Il fait penser à toute cette littérature anglo-saxonne mettant en scène des enfants : Peter Pan, un peu, Alice beaucoup, et puis Dickens et Mark Twain… Ce sont, plus que des influences, des références à une façon universelle que les écrivains ont toujours eue d’approcher les univers perdus, et rarement paradisiaques, de l’enfance. Ingrid Chabbert use d’un langage simple sans jamais être simpliste, pour aborder, par petites touches, des réalités adolescentes et, ma foi, d’y mettre en évidences des « valeurs »… Grandir, vieillir, c’est le lot de chacune, de chacun. Et ce livre nous dit, calmement, et de façon tantôt symbolique tantôt bien réelle, que nul ne peut vieillir sans « quelqu’un » à ses côtés…

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Ce quelqu’un, c’est ce monstre… Ce quelqu’un, c’est aussi Tim, un garçon bien réel… Ce quelqu’un, c’est également les Loups, les parents, tous ces éléments négatifs qui construisent une vie sans idéalisation de son déroulement. Le talent de la scénariste, c’est de faire de tout cela une entité qui, bien plus que tenir la route, se fait passionnante, je dirais « tranquillement » passionnante… Et le talent de la dessinatrice Luisa Russo, dont le dessin, personnel pourtant, oscille entre les artifices mangas et ceux de Disney, son talent, oui, c’est de créer un monde réel, par un dessin non réaliste… Un univers qui n’est pas celui des Bisounours, mais qui, en faisant un peu peur, fait aussi sourire, réfléchir… Avancer dans la vie, sa propre vie, qu’on ait 7 ou 77 ans !….

Jacques et Josiane Schraûwen

Constance et les ombres – tome 1 (dessin : Luisa Russo – scénario : Ingrid Chabbert – éditeur : Dupuis – 2025 – 72 pages)