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François Corteggiani : la mort d’un scénariste prolifique

Des scénarios nombreux, variés, dans tous les genres propres à la bande dessinée… Corteggiani était prolifique, oui, mais d’une vraie qualité, qualité de ses récits, des valeurs qu’il y parsemait tranquillement…

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Il venait d’avoir 69 ans…

Pour l’avoir croisé deux ou trois fois, pas plus, je me souviens d’un homme souriant, d’un auteur qui ne se prenait pas au sérieux, d’un artiste fier d’appartenir à la race des artisans de la bande dessinée populaire.

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N’avait-il pas grandi, artistiquement parlant, dans la grande famille du magazine PIF, y apprenant les bases de son métier, y vivant aussi, artistiquement parlant, ses engagements politiques aux côtés d’auteurs comme Olivier, Cheret, etc. ?

Etre populaire, n’en déplaise à ces auteurs qui, de nos jours, se regardent le nombril plutôt que leurs lecteurs, ce n’est pas une injure. C’est la base même de tout acte artistique réel, c’est-à-dire axé sur l’envie, non pas de plaire, mais de « partager » !

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François Corteggiani n’a jamais dérogé à cette règle de vie : être proche de ceux à qui il s’adressait et ne pas se prendre au sérieux… Au contraire de certains scénaristes à succès (non, je ne citerai pas de nom) qui pérorent tout au long de leurs routines narratives, Corteggiani travaillait, simplement, il racontait des histoires, des histoires de toutes sortes, s’adressant à tous les publics possibles.

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Parler de ses « œuvres » de manière exhaustive est totalement impossible, tant il a participé à des projets et des réalisations nombreuses et variées.

Bien sûr, on se souvient, immédiatement, des gosses qu’on était et qui s’amusaient aux aventures pas très malines mais marrantes de Pif le Chien…

Bien sûr, on se souvient de cette héroïne sympathique qui s’appelait Marine et qui vivait des aventures presque féministes en une époque épique réinventée.

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Bien sûr aussi, on n’oublie pas qu’il a pris la suite de Charlier pour raconter la jeunesse de Blueberry.

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Mais il y a tant d’autres séries, encore, tant d’autres aventures éditoriales dans lesquelles, sans aucun doute possible, Corteggiani s’est amusé… A varier son style, ses styles plutôt, à rechercher la simplicité sans pour autant sacrifier aux appels de la gloire facile. A être lui-même, assumant les multiples facettes de sa personnalité sans ostentation, avec le souci constant de parler à ses lecteurs de qualités humaines élémentaires : la tolérance, le partage, la recherche de la justice, l’absence de jugements péremptoires.

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Avec lui disparaît un scénariste rare : un homme, tout simplement, heureux dans un métier qui apportait aux autres des moments de joie, intelligemment et populairement en même temps.

Et avec ce départ ultime, ne peut que nous venir, vous venir, l’envie de (re)découvrir quelques-uns de ses livres…. Bonnes lectures, à toutes et tous, parce que, au-delà de la mort, François Corteggiani existe encore et encore au travers de ses scénarios.

Jacques et Josiane Schraûwen

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Cas de force majeure

Cas de force majeure

La bande dessinée, à l’instar de tous les arts, peut se faire le reflet de notre monde, de notre société, de ses règles, de ses dérives… C’est le cas avec cet album qu’on peut véritablement qualifier d’engagé…

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Et je pense que le moment est bien choisi d’en parler, juste entre deux tours d’une élection, en France, qui a laissé la place à bien des discours dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils manquaient de nuances. Remedium, l’auteur de ce livre, est dessinateur de bd, mais aussi enseignant. On lui doit un livre choc, paru il y a deux ans : histoires d’enseignants ordinaires. Il y parlait des vrais problèmes de l’enseignement dans un pays qui fonctionnarisait de plus en plus ce métier, cette vocation, en faisant le choix de parler d’êtres humains, de laisser la place à des témoignages, en dehors de toute fiction, avec un style à la fois direct et froid, un style qui ouvrait chez le lecteur la voie à la réflexion non formatée. Et Remedium récidive aujourd’hui avec un nouvel opus consacré cette fois à un autre problème de société, la violence policière…

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Le titre est direct : cas de force majeure…

Son sous-titre l’est encore plus : histoires de violences policières ordinaires. Un livre dont le contenu n’a pas plu au pouvoir en place, avant même son édition, puisque le ministre Darmanin n’a pas apprécié du tout ce projet ! Du coup, l’éditeur de Remedium a déclaré forfait… Ce que n’a pas fait, heureusement, un autre éditeur, Stock.

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De quoi s’agit-il, dans ce livre ?…

D’une analyse du problème des interventions policières et de leur liberté d’appréciation lors d’une interpellation ?

Non… Aucune analyse… Remedium nous livre, toujours dans un style dépouillé, simple, traité virtuellement, une vingtaine de comptes-rendus qui s’avèrent être, à leur manière, des vrais témoignages. Avec, comme point de départ la volonté assumée de ne laisser l’espace qu’à des victimes. Des victimes de toutes sortes, d’ailleurs, certaines ayant fait la une de l’actualité pendant un petit temps, d’autres totalement invisibilisées par les médias. Avec un sens presque photographique du dessin et de la mise en page, Remedium nous parle d’un producteur de musique tabassé dans son studio, d’une jeune femme enceinte empoignée sans ménagement par une policière pour absence de casque, et qui perdra son bébé. Il nous parle d’une vieille femme qui, pendant une manif, a vu arriver dans son appartement une grenade lacrymogène qui la blesse, des blessures dont elle mourra ensuite…

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Il s’agit d’un pamphlet, mais les faits, eux, sont indéniables également ! Pour le dernier exemple que j’ai donné, le rapport officiel ne parle que d’une mort accidentelle… Il est donc normal, pour la justice, pour la police, qu’une grenade lacrymogène explose dans un appartement situé à un quatrième étage ! cet album est engagé… Il est aussi militant, comme l’est son auteur, ayant grandi dans ce que pudiquement le pouvoir français, toutes idéologies confondues, appelle des « quartiers ». Des quartiers dans lesquels il est devenu enseignant, professeur des écoles. Le monde dont il parle, de livre en livre, c’est bien plus qu’un microcosme, c’est un univers que le silence et l’impunité obscurcissent de plus en plus.

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Mais la vraie orientation du travail de Remedium, ici aussi, c’est de dépasser la simple colère et de dire aux lecteurs, le plus simplement du monde, de réfléchir, de se renseigner, de chercher à comprendre. Les livres de Remedium, c’est l’ouverture en dehors des normes ronronnantes d’un dialogue et d’une réflexion… D’actualité, sans aucun doute, face à Macron et Le Pen qui, en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire de la police, sont d’un avis assez similaire !

Jacques et Josiane Schraûwen

Cas de force majeure (auteur : Remedium – éditeur : Stock – janvier 2022 – 94 pages)

COSEY

COSEY

L’ultime trajet graphique de Jonathan et un livre qui met en évidence tous les talents de cet auteur.

Cela fait 46 ans que Jonathan suit les pistes et les routes d’une Asie envoûtante, cela fait 46 printemps que Cosey, dessinateur hors-normes, inclassable, occupe une place importante dans la grande histoire du neuvième art.

Jonathan : 17. La Piste de Yéshé

(éditeur : Le lombard – 56 pages – octobre 2021)

© Le Lombard

1975… Je n’ai certainement pas été le seul à m’étonner de voir paraître, dans les pages du magazine Tintin, un personnage nouveau, déconcertant, étonnant, atypique.

C’était l’époque où le neuvième art sortait peu à peu des sentiers battus, avec des auteurs comme Godard et son Martin Milan, Pratt et son Corto Maltese, le Suisse Derib et sa lecture moderne du mythe du western. Dans des revues pour jeune public, on osait enfin aborder de front des thématiques sociétales importantes. Et Cosey, d’emblée, avec Jonathan, a participé pleinement à cet essor essentiel dans l’histoire de la bande dessinée.

© Le Lombard

Les aventures vécues par Jonathan, et toutes, ou à peu près, lisibles comme des albums uniques, mettent en scène un « héros » qui se balade dans l’Himalaya, qui quitte le confort européen pour découvrir de nouveaux horizons, un personnage dont les albums s’accompagnaient de choix de musiques à écouter tout en les lisant…

En une époque où les expressions « feel good » et « spiritualité » étaient loin d’être à la mode, le personnage de Jonathan s’est révélé, d’album en album, un rêveur aventurier, un homme, surtout, à la poursuite de lui-même, de souvenir en souvenir, d’amour en abandon, de rencontre en rencontre.

Et le voici, dans ce dix-septième opus, arrivé à la fin de son trajet. Un dix-septième et dernier livre dans lequel on le retrouve en fin de piste, retournant au Tibet et y trouvant, à sa manière, les réponses à la question qui a sous-tendu toutes ses aventures, plus poétiques que mouvementées : qui est-il ?

© Le Lombard

Parce que c’est cela, cette bd : une aventure graphique exceptionnelle qui nous parle de spiritualité, et dans laquelle le héros est véritablement le double de son créateur. Une saga dessinée qui met en scène plus qu’un héros, des sentiments, des sensations, sublimées par un dessin aux infinies transparences, par des couleurs qui chantent comme chante la voix de Léonard Cohen…

Une saga qui nous parle de questionnements propres à tout être humain, sans doute. Trouver un sens à sa vie, est-ce le faire pour son passé ou son futur ? Pourquoi le fait de vieillir semble-t-il accentuer l’envie, voire le besoin, de se trouver une spiritualité personnelle ? Avec, en trame, cette question sur la codification de la spiritualité, au travers de religions ou de philosophies, de courants de pensée ou de sectarisme à la mode : n’est-elle pas un lien de plus qui attache l’homme à lui-même ?

Jonathan

Cosey est, dans un monde de mouvement, un dessinateur qui aime reposer ses mots, ses regards, ses dessins, pour qu’ils puissent, sans ostentation, ouvrir des fenêtres vers nos propres interrogations…

A l’Heure Où Les Dieux Dorment Encore

(éditeur : Daniel Maghen – octobre 2021 – 302 pages)

© Cosey

Depuis quelques années, les monographies ou livres d’art consacrés à des auteurs de bande dessinée se multiplient.

Mais disons-le tout de go, à l’instar de son auteur, ce livre « A l’heure où les dieux dorment encore » se révèle, lui aussi, totalement atypique.

© Cosey

Les dessins de Cosey qui s’y trouvent sont des croquis, des dessins d’observation comme il le dit lui-même, et qui le racontent, lui, autant qu’ils racontent les gens et les paysages rencontrés… Cela ressemble, au premier regard, à un album de « voyages », certes, mais il n’en est rien non plus… Je dirais personnellement que cet album est un portrait de son auteur, tout simplement…

© Cosey

C’est, en fait, un album vivant, un album au jour le jour, un album habité, humaniste, dans lequel les mots et les dessins, les couleurs et les mouvements refusent tous les clichés… Dans lequel, en outre, règne une musique qui est celle de l’observation, du rythme de la vie et du temps qui passe, au travers des regards, nombreux, qui, sans cesse, s’entrecroisent et dialoguent, même dans le silence.

Cosey
© Cosey

Avec Cosey, la qualité est toujours au rendez-vous, et elle est toujours profondément ancrée dans l’humanisme… Dans le besoin et la nécessité d’aimer la différence… Cosey est, résolument, un auteur culturel, au sens noble de ce terme trop souvent dénaturé.

Jacques Schraûwen