Cuisiner à bord avec Corto

Cuisiner à bord avec Corto

Corto Maltese, épicurien et aventurier, pour quelques recettes réelles.

Ce livre est une réédition. Il est le résultat d’une conversation entre son auteur et Hugo Pratt, le créateur de Corto Maltese. Et cet album, avouons-le, met l’eau à la bouche !

Cuisiner à bord avec Corto © Casterman

Les grands auteurs littéraires laissent souvent, dans leurs livres, des traces discrètes de ce que sont leurs goûts, leurs existences plurielles, leurs réalités quotidiennes. Ce n’est pas vraiment le cas avec Hugo Pratt. Mais l’auteur de ce livre, Michel Pierre, a contourné cet obstacle avec intelligence et… plaisir !

Il a simplement imaginé, au travers des âges de Corto et des lieux qu’il a hantés, une sorte de bible gastronomique extrêmement variée.

Cuisiner à bord avec Corto © Casterman

Une bible tantôt terriblement exotique, tantôt ouverte à des plats vite reconnus.

Un recueil, tout simplement, de recettes de cuisine(s), oui, des recettes véritables, parfois aisées, parfois compliquées, mais qui, de bout en bout de cet album, ouvrent des appétits divers et variés.

« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es », cette formule bien connue est ici complètement appropriée. Parce que le but, malgré tout, de ce livre, c’est de chercher, grâce au plus naturel des quotidiens, qui était Corto Maltese… Ce que furent ses goûts culinaires, ce qu’ils auraient pu être en tout cas, et les ancrer, ainsi, dans les péripéties flibustières de son existence.

Cuisiner à bord avec Corto © Casterman

Je le répète, dans l’œuvre d’Hugo Pratt, les références gastronomiques n’existent que très peu. Mais elles existent ! Elles sont toujours affaire de sensations, de souvenances, de plaisirs, de désirs de plaisir à vivre, de découvertes aussi : les cigares, les vins, les rhums… Et, à ce titre-là, ce livre s’inscrit parfaitement dans l’univers de Corto Maltese.

Ce livre est aussi un véritable ouvrage de cuisine, je le disais, avec des recettes faisables, explicitées pour quatre personnes, et accompagnées, même, de choix de boissons !

Et il y en a pour tous les goûts !

Cuisiner à bord avec Corto © Casterman

Du mouton au citron confit à la queue de taureau à la mode de Cordoue, de la salade de coques au Xérès à la sauce à l’huile de palme, d’un cocktail Singapore Sling à un cocktail Zombie, impossible de ne pas trouver dans cet album un plat qu’on a envie de réaliser, de goûter, de partager…

L’auteur, Michel Pierre, est Breton. Il est donc naturel qu’il fasse la part belle à des plats de poisson… Naturel, aussi, parce que c’est bien des itinéraires d’un marin qu’il s’agit aussi dans ce livre. Parfums de jeunesse, escales en Méditerranée, pacifique, Afrique, et Caraïbes bien évidemment, ce livre est un voyage. Un voyage immobile, mais un voyage goûteux. Un périple dans lequel on se laisse guider, en quelque sorte, par un personnage de papier, Corto Maltese.

Cuisiner à bord avec Corto © Casterman

Et aux côtés des recettes, il faut insister sur la perfection et la variété de l’iconographie. On accompagne Corto de plat en plat certes, mais on le fait sous l’œil rigolard, sans doute, d’Hugo Pratt toujours occupé, de continent en continent, à dessiner, en noir, en blanc, à l’aquarelle, pour offrir au monde ses regards lumineux…

Jacques Schraûwen

Cuisiner à bord avec Corto. Auteur : Michel Pierre – illustrations de Hugo Pratt – éditeur : Casterman – 2007/2021 – 152 pages)

Le Charme du Presbytère

Le Charme du Presbytère

Réalisme et mystère d’après Gaston Leroux

Les romans de Gaston Leroux, écrivain du début du vingtième siècle, appartiennent souvent à un genre bien précis de la littérature policière : les crimes dans des lieux clos. Avec, à la clé, des enquêtes qui aiment à se perdre dans les dédales d’un certain sens du fantastique.

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Et cet album, dû aux talents conjugués de Rodolphe au scénario et de Leo au dessin, est une adaptation en noir et blanc d’un des livres les plus connus, les plus fameux de Gaston Leroux : « Le Mystère de la Chambre Jaune ». Une jeune femme se fait agresser dans une chambre fermée de l’intérieur, avec des barreaux solides aux fenêtres, sans aucun passage secret, et nul n’y retrouve l’agresseur ! Pour mener l’enquête, en parallèle de la police, un jeune journaliste, Joseph Rouletabille.

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Les romans policiers de cette époque, en France, se caractérisent par le plaisir qu’avaient leurs auteurs, à l’instar un peu de la littérature policière britannique, à multiplier les pistes, à démultiplier même les événements secondaires amenant, chacun, à des révélations, des découvertes qui peuvent aider à la résolution du mystère. Dans un roman, cet exercice de style est comme un jeu entre l’auteur et son lecteur. En BD, comme au cinéma, la chose est infiniment plus ardue, et l’important est de ne jamais baisser d’intensité, de peur de perdre le lecteur en cours de route.

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Rodolphe, en scénariste chevronné, a choisi, pour ce faire, la voie du classicisme, et son traitement d’un sujet qui pourrait filer dans tous les sens et qui reste cependant totalement linéaire est parfaitement réussi, je tiens à le dire !

Le dessin de Leo, classique lui aussi, d’un noir et blanc tranquille, nous plonge avec un vrai plaisir dans une époque révolue, grâce à des décors soignés, des vêtements et des objets qui, pour discrets qu’ils soient de page en page, contribuent à créer l’ambiance désuète mais d’une belle mélancolie de cette histoire qui parle d’amour, de violence, de science, de chasse, de bellâtre, et de journalisme.

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Les seuls reproches que j’ai, en fait, sont assez minimes… L’une ou l’autre faute d’orthographe (voir ou lieu de voire, par exemple), et de petites erreurs de perspective dans la mise côte à côte des personnages. Mais ces minuscules manquements n’enlèvent rien, croyez-moi, à l’intérêt de ce livre, tout simplement beau !

C’était la force de Leroux de parler de choses qu’il connaissait : il fut journaliste avant d’être écrivain, et tous les personnages de ses romans, de « Rouletabille » à « Chéri-Bibi », du « Fantôme de l’Opéra » à « La Poupée sanglante » s’inspirent, incontestablement, de réalités que le journaliste Leroux a rencontrés peu ou prou dans sa vie. Et cette véracité se retrouve parfaitement dans cet album.

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Je me dois d’avouer que je n’ai jamais été fan de Leroux, auquel je préférais la folie douce et libertaire de Leblanc et de son Arsène Lupin. Mais je me dois de reconnaître que cet album (à suivre !…), outre sa qualité intrinsèque et évidente, donne l’envie de se plonger dans les romans de Gaston Leroux !

Cette bande dessinée n’est pas neuve, mais inédite, pour différentes raisons explicitées en fin de volume.

Et grâce soit rendue à l’éditeur « Une Idée Bizarre » d’avoir enfin édité cette histoire, et de l’avoir fait d’une manière superbe : un grand format, des planches en noir et blanc, une reliure qui fait penser aux vieux albums du Lombard des années 50… Un vrai plaisir des yeux… et des doigts…

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Il ne s’agit certes pas d’une maison d’édition traditionnelle dont vous pouvez trouver les livres chez votre libraire. C’est un éditeur qui se veut associatif, et qui ne s’intéresse qu’à des livres inédits ou à des suites de séries interrompues pour différentes raisons. Un éditeur qui les édite avec un vrai respect de l’œuvre au niveau de la présentation (26 cm x 36 cm – dos toilé – noir et blanc du dessin), et, ma foi, à des prix qui ne sont pas prohibitifs. Des livres en vente exclusivement sur le site internet de cet éditeur. Un site que je vous engage à aller visiter, et qui met en évidence quelques albums qui méritent vraiment le détour, avec des noms comme Jean Dufaux, Luc Cornillon, Armand, Caza… (https://uneideebizarre.wixsite.com/accueil/albums)

Jacques Schraûwen

Le Charme du Presbytère (dessin : Leo – scénario : Rodolphe, d’après Gaston Leroux – éditeur : Une idée bizarre – 56 pages)

https://uneideebizarre.wixsite.com/accueil/albums

Chats

Chats

Un animal étrange qui nous domestique et occupe nos horizons…

Chabouté est un dessinateur dont le talent exceptionnel se conjugue dans la bande dessinée comme dans l’illustration. Et chacun de ses dessins devient, à lui tout seul, dans ce livre superbe, une histoire à imaginer !

Chats © Chabouté

De tous les animaux que l’on dit domestiqués, le chat est le maître absolu de l’indépendance. Une indépendance qu’on croit indifférente… Une indépendance qui aime s’oublier…

De tous les animaux que l’on croit domestiqués, le chat est le seul à savoir que c’est lui qui, un jour lointain, a décidé de domestiquer l’homme !

Et c’est cet animal que Chabouté traque de dessin en dessin, dans des univers citadins sur lesquels cet animal se dessine en ombres et en lumière.

Avec Chabouté, le chat ne se cache pas. Il s’enfouit aux décors des toits, des escaliers, des appartements.

Le chat ne se perd pas. Il semble attendre, simplement, qu’un regard parvienne à le caresser.

Chabouté, c’est cela, tout compte fait : un regard qui prend vie en un dessin, un regard qui aime s’attarder sur l’impalpable, un regard qui parvient à dénicher dans le plus quotidien des mondes une beauté qui n’a rien d’éphémère.

Chats © Chabouté

Ce livre regroupe une cinquantaine de dessins qui sont autant de gestes d’artiste offerts à ces compagnons étranges que nous sont ces félins domestiques.

Et pour accompagner ces dessins, un écrivain, Gonzague, écrit quelques hommages rimés à cet animal qui, riche de ses mystères, appartient à l’éternité.

Ces poèmes de quelques vers sont doux, sans d’autre ambition que de nous parler des chats, de tous les chats, et, ainsi, d’accompagner des illustrations dont ils deviennent eux-mêmes l’illustration.

J’eusse aimé, cependant, voir d’autres rimes, plus riches encore, plus essentielles aussi, possédant la même intensité que le dessin de Chabouté.

Chats © Chabouté

Je pense à Baudelaire, bien sûr.

  • « Ils prennent en songeant les nobles attitudes
  • Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
  • Qui semblent s’endormir ans un rêve sans fin ;
  • Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques,
  • Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
  • Étoilent vaguement leurs prunelles mystiques »
Chats © Chabouté

Ou à Maurice Carème.

  • « Le chat ouvrit les yeux
  • Le soleil y entra
  • Le chat ferma les yeux
  • Le soleil y resta »
Chats © Chabouté

Et à Georges Chelon, aussi.

  • « Je sens ton poids sur mes genoux
  • J’ te vois partout
  • Je t’entends toujours ronronner
  • Dévaler l’escalier
  • J’ai tes yeux dans les miens
  • Ta tête dans ma main
  • J’ai beau savoir que t’es plus là
  • J’y crois pas »

C’est aussi cela, cette envie de réminiscences poétiques, qui fait toute la beauté, toute la puissance des dessins de Chabouté. Dessinateur, narrateur muet, il se fait poète, joue avec les lumières, avec de superbes noirs, avec des contrastes lumineux, avec les perspectives, et il nous prouve que le chat est le poète de nos cités, qu’il nous observe alors que ne faisons que le voir.

Chats © Chabouté

Et les mots de Gonzague, finalement, accompagnent très bien ce livre. Ceux-ci, par exemple :

  • « Vous ne l’adoptez pas
  • Il vous engage
  • Pour devenir celui
  • Qui à travers ses âges
  • Prendra soin de lui »

Amoureux des chats, ce livre est pour vous.

Amoureux des mots, ce livre vous éveillera des échos et des souvenances aux vraies sensualités.

Amoureux du dessin lorsqu’il nous raconte des histoires qu’il nous appartient de nous raconter, cet album se doit de trouver sa place dans votre bibliothèque !

Jacques Schraûwen

Chats (dessins : Chabouté – texte : Gonzague – éditeur : Huberty & Breyne – 77 pages – mars 2021)

www.hubertybreyne.com