Contes de Noël et Jojo : deux albums Dupuis à mettre sous le sapin !

Contes de Noël et Jojo : deux albums Dupuis à mettre sous le sapin !

Même si Noël, cette année, aura une triste saveur, n’oubliez surtout pas de vivre, de vouloir être heureux, de vouloir rendre heureux… Et donc d’offrir à ceux que vous aimez, en le leur disant, des moments de plaisir et de poésie.

Contes De Noël du Journal Spirou (1955-1969)

(éditions Dupuis – 240 pages – novembre 2020)

La nostalgie, ce n’est pas juger le présent en exclusive fonction des passés que nous avons vécus et qui nous enchantés. La nostalgie, c’est avoir de la mémoire, simplement, et de faire de cette mémoire un élément actif de nos quotidiens, de nos émerveillements.

Se souvenir…

A une semaine de Noël, oui, se souvenir des numéros spéciaux du journal de Spirou, du magazine Tintin, de la revue Pilote, aussi…

Contes de Noël © Dupuis

Le souvenir du plaisir pris à feuilleter vite, très vite, sans s’attarder, les pages du magazine, pour se créer déjà des envies devant tous les récits de circonstance, qui n’étaient pas, oh merveille, « à suivre ».

Ah, les contes de Noël de notre enfance, de nos enfances ai-je même envie de dire, tant il est vrai qu’au fil du temps l’enfance et ses souvenances se font plurielles…

Je n’ai pas oublié ces sensations devant un livre « normal », les « Contes de ma Mère l’Oye », ni devant ces petites histoires qui émaillaient les revues « pour enfants » que je dévorais.

Alors, ne boudons pas notre plaisir, de boudez pas le vôtre, et (re)plongez-vous dans ces pages d’un temps ancien qui vous feront, gentiment, retomber dans des âges qui ne meurent jamais. Mais avec votre regard d’aujourd’hui sur les auteurs de ces contes dessinés, qui sont devenus des grands, des très grands du neuvième art.

Je ne vais bien entendu tous vous les citer, mais quel plaisir, croyez-moi, de voir les bons sentiments de la fête de la nativité illustrés par ces maîtres de la bande dessinée que sont Franquin, Jijé, Paape, MItacq, Will, Tillieux ! Et de retrouver aussi des artistes qu’il serait temps de remettre en bonne place dans l’Histoire majuscule de la BD : Godard, Salvérius, Berck, et l’immense Hausman.

Contes de Noël © Dupuis

Les années couvertes par ce livre qui vient à son heure nous permettent ainsi d’avoir un panorama assez complet de ce que fut l’aventure éditoriale de Spirou dans une bonne partie des trente glorieuses.

Les bons sentiments sont passés de mode, paraît-il, puisque nous voici dans une société de plus en plus virtuelle, dans laquelle, derrière le mot « solidarité », on met tout et n’importe quoi.

Alors, oui, cela fait du bien, immensément, de les retrouver, ces sentiments, ces sensations, et de se rappeler que la magie, celle de Noël, celle de l’enfance, nous l’avons toutes et tous au fond de nous. Si nous le voulons bien !

Jojo : Intégrale 4 : 2004-2010

(auteur : Geerts – éditions Dupuis – 312 pages – octobre 2020)

André Geerts est mort en 2010 à l’âge de 55 ans. En une trentaine d’années de carrière, il n’a certes pas révolutionné le neuvième art. Il a fait bien plus : il a œuvré dans la continuité des récits qui, certainement, ont enchanté son enfance, pour créer, adulte, des personnages tendres, attendrissants, terriblement humains, mélancoliques et poétiques.

Jojo © Dupuis

Oui, Jojo, ce gamin qui vit avec sa grand-mère, qui voit de temps en temps son père aussi gosse que lui, cet enfant est à lui tout seul la souvenance de toutes nos enfances. Il est la poésie qui fut nôtre et que l’âge adulte a, bien souvent, estompée.

Jojo, ce sont les 400 coups, mais sans penser à mal, la vie scolaire, les amitiés des jeux, la campagne et ses éblouissements, mais aussi les peurs, face à la vieillesse qu’on voit s’installer chez ceux qu’on aime, face à des réalités qui, soudain, nous mettent en face de nos lâchetés, de nos courages, de nos fuites, de nos combats.

Tout cela, oui, c’est l’enfance, la nôtre… Celle de ce gamin qui vit, sur papier, dans l’incontestable filiation des personnages de Sempé.

Geerts, c’était un dessinateur lumineux, capable de rendre souriant un paysage urbain dans lequel passent des voitures à tout vitesse, et ce par la seule magie d’une mise en scène graphique qui place au centre de toute la narration les personnages.

Jojo © Dupuis

Geerts, c’était un raconteur d’histoires simples et, de ce fait, essentielles.

Dans ce dernier tome de l’intégrale qui lui est consacrée, on retrouve (ou découvre) les cinq derniers albums de Jojo. Avec l’extraordinaire et émouvant dernier chapitre de son œuvre majeure : « Mamy Blues ». La grand-mère de Jojo, Mamy, du haut de ses 69 ans, a un malaise… Et c’est la révélation, pour l’enfant turbulent qu’est son petit-fils, de l’inexorable finalité de la vie.

Il faut lire Jojo, il faut le relire, le faire lire, le faire découvrir par les ados d’aujourd’hui.

Il faut ne pas oublier des auteurs comme André Geerts, qui ont donné à la bd populaire et traditionnelle ses plus belles lettres de noblesse !

Jacques Schraûwen

James Bond – Casino Royale

James Bond – Casino Royale

Le plus emblématique des James Bond vient de mourir. Cela m’a donné l’envie de me plonger dans une bande dessinée que je n’avais pas encore lue… Et le plaisir de la lecture fut au rendez-vous !

Casino Royale © Delcourt

Sean Connery était un acteur exceptionnel, bien plus qu’un comédien. Et je trouve un peu stupide de résumer sa carrière au seul rôle de James Bond. Zardoz… Robin des Bois… L’homme qui voulut être roi… Le nom de la rose… Ce furent quelques-uns de ses rôles, des rôles qui ont ponctué la vie d’une acteur passionné et passionnant.

Sean Connery

Je vais sans doute choquer quelques lecteurs, mais je me dois d’avouer que je n’ai jamais été fan des films inspirés par Ian Fleming. J’ai lu quelques romans, plus proches de mes appétits personnels. Mais j’ai toujours trouvé les films trop tape-à-l’œil, trop confus aussi, avec des scénarios mélangeant un érotisme « soft » à des aventures échevelées et souvent improbables. Cela dit, force est de reconnaître que le genre littéraire ou cinématographique que l’on appelle « espionnage » manque le plus souvent de clarté, privilégiant l’action et les aventures amoureuses à l’explication, voire à la crédibilité.

Casino Royale © Delcourt

Eh bien, avec cette bande dessinée, ce comics américain, je dois dire que j’ai été étonné et séduit par une construction qui, justement, ne manque pas d’être parfaitement plausible.

Casino Royale, c’est le premier roman de la série des James Bond. Ce fut aussi un film indépendant, avec David Niven, un film officiel, plus récemment, mais toujours sans Connery.

Or, l’histoire que nous raconte ce roman est une des plus abouties, des plus essentielles aussi puisqu’elle nous raconte les débuts de James Bond dans la « bulle » restreinte des agents secrets britanniques ayant la permission de tuer…

Casino Royale © Delcourt

Comme toujours chez Fleming, l’intrigue est tarabiscotée, elle met en scène des tas de personnages, elle se base sur une guerre froide qui met en opposition deux idéologies qui se veulent chacune dominante. Pour résumer vite fait bien fait le scénario de cette bd, on peut dire ceci : Bond a comme mission de ruiner un espion ennemi, « Le Chiffre », dans un casino, à la table de baccara ; pour ce faire, il est aidé par un policier français et par une consoeur, la très belle Vesper.

A partir de ce canevas, de cette trame, les auteurs de cet album ont puisé dans le roman, et dans les mots mêmes de Fleming, de quoi alimenter une narration qui, tout en expliquant chaque situation par des encarts écrits, permet aussi de définir de plus en plus, au fil des pages, les contours humains d’un espion qui peut être amoureux, qui parle des femmes avec un sens aigu du libertinage, qui se pose des questions quand à la justesse et à la justice de son « métier ».

Van Jensen au scénario et Denis Calero au dessin ont pris comme principe de base de nous montrer autre chose que ce que les films nous exhibent. James Bond est un être humain, en proie en même temps, sans arrêt, à la certitude de ses talents à au doute quant à leur finalité. Il n’y a pas de gadgets, dans ce livre… Rien que des personnages vivants, rien que la vie, la mort, la torture, l’amour, le désir, l’étreinte, la trahison, la haine… La souffrance, aussi !

Casino Royale © Delcourt

C’est la première fois que je trouve James Bond, le personnage, intéressant, qu’il ose montrer ses sentiments… Cet album est un album sans tape-à-l’œil, d’un graphisme sombre et extrêmement coloré à la fois, avec un dessin qui aime les plans fixes, les zooms avant sur des visages et des regards. C’est un livre cinématographique, oui, mais, à mon humble avis, mille fois mieux réussi que les adaptations sur grand écran !

Jacques Schraûwen

James Bond – Casino Royale (dessin : Denis Calero – scénario : Van Jensen – couleur : Chris O’Halloran – éditeur : Delcourt – 144 pages – avril 2020)

Jeremiah – 37. La Bête

Jeremiah – 37. La Bête

L’album précédent de cette série, je l’avoue, m’avait quelque peu déçu. Mais ici, Hermann, à partir d’un thème récurrent dans l’histoire du western, parvient à étonner, à mettre en scène avec originalité, par petits à-coups tranquilles, les personnalités de ses deux héros.

Jeremiah 37 © Dupuis

Rappelez-vous, « Lucky Luke contre pat Poker », et l’histoire qui, dans cet album, s’intitulait « Tumulte à Tumbleweed ». On y voyait la haine qui pouvait exister entre éleveurs de vaches et éleveurs de moutons dans un Ouest mythique. Et c’est vrai que ce thème a également été utilisé dans le cinéma bien des fois.

Cela dit, avec Jeremiah, nous ne sommes pas en présence d’une bande dessinée exclusivement western. Et si, dans ce trente-septième album, Hermann nous montre une lutte acharnée entre éleveurs de moutons et industriels avides d’un sous-sol aux richesses infinies, il ne le fait pas d’une façon traditionnelle, bien évidemment !

Dans le monde post-apocalyptique dans lequel vivent Jeremiah et Kurdy, Hermann s’amuse en effet, depuis le premier album, à mélanger les thématiques littéraires, à utiliser différents codes, également, et à les mélanger intimement, créant ainsi une des œuvres les plus personnelles et les plus originales de sa carrière.

Jeremiah 37 © Dupuis

On peut dire de cette série, « Jeremiah », qu’elle compose une fresque qu’on pourrait appeler « western futuriste ». Futuriste, oui, et désespéré…

L’époque de haine, de violence, de pouvoirs absolus et ridiculement restreints en même temps, cette époque dans laquelle l’humain se réduit à sa plus simple expression, la survie, Hermann nous la raconte comme un creuset d’émotions, de sensations, de paysages, de tristesses. La grande constante de cette série, c’est là qu’elle se situe, sans doute : dans la volonté de l’auteur, Hermann, de ne pas dessiner des récits d’aventures, mais de nous montrer des personnages, de les faire vivre, tout simplement. La narration traditionnelle, dans cette série, laisse la place à des sortes de tableaux humains ciselés avec passion.

La passion… C’est ce qui anime Hermann depuis toujours, très certainement. C’est aussi ce qui définit, au-delà des mots et des attitudes, ses deux personnages principaux, Jeremiah et Kurdy.

Et c’est toujours par petites touches, d’album en album, qu’Hermann nous révèle les personnalités de ces deux héros anti-héros. Un peu comme si leur créateur devenait pudique à chaque fois qu’il fallait aller au-delà des apparences et des habitudes.

Jeremiah 37 © Dupuis

Mais cette pudeur, il la perd dans ce trente-septième épisode… Ici, il n’hésite pas à nous raconter un Kurdy indépendant, prenant seul ses initiatives, devenant moteur de la sauvegarde de son ami. Un Kurdy qui oublie ses plaisanteries pour avouer, sans ostentation cependant, son sens de l’amitié.

Ici, Hermann nous montre également un Jeremiah qui est à la fois amoureux et solitaire, qui éveille des sentiments chez une femme, des sentiments qui le dépassent, et qui, finalement, se veut libertin et tolérant pour qu’aucune jalousie ne vienne assombrir les quotidiens de son amie, de son amante…

Jeremiah 37 © Dupuis

Cet album est peut-être bien, en effet, le premier qui utilise comme trame première du récit le poids et la richesse des sentiments humains les plus positifs qui soient. Et même si l’horreur est présente, avec un animal monstrueux, avec des meurtres répétés, avec une police totalement incompétente et corrompue, avec de la folie prête, sans cesse, à diriger le monde, cet album est moins désespérant que les précédents. Il est, au-delà de la lutte des éleveurs de moutons pour leur liberté, un vrai livre qui parle d’amour.

Et à ce sujet, il faut souligner une des toutes grandes qualités et originalités du dessin d’Hermann : le besoin qu’il a de ne jamais dessiner de femmes aux beautés parfaites, de « bimbos » sans âme. Les femmes qu’il dessine, mûres ou jeunes, sont marquées par la vie, elles ont des corps qui ne pourraient pas s’afficher sur les couvertures des magazines imbéciles qui dénaturent la féminité en l’idéalisant formellement ! Et dans cet album-ci, comment ne pas aimer la présence, en passion et en nudité, de Virna, pour l’amour de laquelle Jeremiah s’en va, une fois de plus, fuyant réellement peut-être pour la première fois de son existence !

Hermann © Hermann

Hermann, c’est un récit aux raccourcis subtils, ce sont des personnages qui n’ont rien de super-héros, ce sont des couleurs qui dans chaque album réussissent à étonner, c’est un dessin réaliste qui n’a pas peur de la caricature…

Hermann, c’est la bd qui rue dans les brancards, et qui le fait avec bien plus que du talent : un regard brûlant et brillant qui n’a jamais rien de politiquement correct !

Jacques Schraûwen

Jeremiah – 37. La Bête (auteur : Hermann – éditeur : Dupuis – 48 pages : date de parution : septembre 2019)