Gaultier de Châlus

Gaultier de Châlus

Quatorzième siècle. Gaultier de Châlus, chevalier errant, semble avoir décidé de ne plus faire partie de cette époque où guerres et meurtres font le quotidien de la France. Mercenaires en déroute, pillards en compagnies, nobles déchus et immoraux, vengeances et désespoirs amoureux, tous ces sentiments puissants se mélangent en lui, au gré de ses souvenirs, au rythme de ses abandons.

 

Mais voilà… Gaultier fut un héros… Un héros guerrier et tueur, un héros dont la renommée continue à exister, contre sa propre volonté. Et c’est ainsi qu’il se voit obligé, par fidélité peut-être à ce qu’il fut ou à e qu’il aurait pu être, d’accepter des missions qui lui sont, en quelque sorte, autant de possibilités de rédemption.

 

Ces missions ne sont plus guerrières, mais chasseresses, plutôt. Gaultier de Châlus est chasseur de ces bêtes qui, en ce Moyen-Âge superstitieux, peuplent les campagnes, les villes et, surtout, l’imaginaire de tout un chacun, du châtelain jusqu’au serf.

 

Dans cette série, dont deux albums sont déjà parus, nous suivons donc les chasses de Gaultier…

Gaultier de Châlus © des bulles dans l’océan

 

Le premier tome met en scène un loup-garou, le deuxième des harpies. Ces deux volumes mettent surtout en scène une aventure qui, sous prétexte de chevalerie, se veut essentiellement le trajet, intime, intérieur, d’un homme déchiré par ses propres destins.

Le grand intérêt de cette série réside aussi dans le respect extrêmement bien fait d’une véritable réalité historique, avec des références précises, avec un glossaire, en fin d’albums, qui replace tous les événements écrits dans leur contexte, avec des références qui plongent le lecteur dans cette époque où l’horreur était quotidienne. Mais la force du scénario de Philippe Pelaez réside aussi dans l’inspiration qui est sienne d’une mythologie spécifiquement moyenâgeuse, à partir d’un « bestiaire » peuplé de créatures improbables.

Et c’est ce mélange entre la Grande Histoire, ses batailles, ses tueries, ses poèmes déjà courtois aussi, et le fantastique d’animaux légendaires venus du fond de toutes les mythologies humaines, c’est cette fusion entre l’improbable et le réel qui construit toute la qualité narrative de ces albums.

                             Gaultier de Châlus © des bulles dans l’océan

 

Quant au dessin d’Olivier Giraud, on en voit l’évolution d’un album à l’autre. Un peu gauche encore dans « Loup », avec des difficultés, parfois, à assurer les perspectives par exemple, il devient plus maîtrisé dans le tome 2, « Harpies ». Plus maîtrisé et plus original aussi, puisque c’est dans ce deuxième opus que Giraud se laisse aller à une colorisation souvent somptueuse. Une colorisation qui, dans les scènes de nature, de paysages, se révèle presque à petites touches, à taches assumées, pratiquement impressionnistes. Et même si son graphisme est encore hésitant, et trop statique parfois, son sens de la couleur omniprésente fait de ces albums une jolie réussite, une réussite, ma foi, plus qu’agréable à lire…

 

Fantastique et Moyen-Âge sont au rendez-vous de ces deux livres qui sont, réellement, pleins de promesses…

 

Jacques Schraûwen

Gaultier de Châlus (dessin : Olivier Giraud – scénario : Philippe Pelaez – éditeur : Des bulles dans l’océan – deux titres parus : « Loup » et « Harpies »)

 

Hibakusha et ses deux auteurs

Hibakusha et ses deux auteurs

Sensualité, Histoire, amour, érotisme, fantastique… Une histoire de survivance au-delà même de la mort ! Les deux auteurs de cet album sont au micro de Jacques Schraûwen.

Thilde Barboni est une scénariste qui, de livre en livre, s’enfouit aux profondeurs de ce qu’est le sentiment humain. Qu’elle parle de polar, de science-fiction ou de fantastique, qu’elle nous décrive les quotidiens mêlés de ses personnages ou les environnements dans lesquels ceux-ci se doivent de chercher à exister, ou à survivre, son écriture, réellement littéraire, s’attarde d’abord à ce qui construit l’être humain : la passion amoureuse, le rêve charnel, et la nécessité fondamentale de se vouloir survivant malgré toutes les morts possibles.

Dans ce livre-ci, la scénariste continue à explorer ces domaines qui font du vivre un voyage toujours inattendu. Le personnage central de cet album est une ombre emprisonnée dans la pierre… L’ombre d’un homme qui, à Hiroshima, a quitté l’univers des vivants pour se retrouver comme prisonnier de lui-même et de ses attentes.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : même si l’histoire racontée dans ce « Hibakusha  » se déroule en 1945, même si elle met en évidence des personnages précis perdus dans les tourments et les tourmentes d’un conflit dans lequel les horreurs ont été présentes de tous les côtés des barrières idéologiques, cette époque n’est là qu’en contrepoint du récit, et la narration ne s’intéresse, finalement, qu’à un être, cet Allemand emprisonné dans l’ailleurs, et qui continue, inéluctablement, à rêver, à se souvenir, à revivre, à sa manière, les fantasmes qui, aux quotidiens de son existence enfuie, l’ont aidé à ne pas être uniquement un pantin humain froid et sans âme.

 

Thilde Barboni: l’origine de ce récit
Thilde Barboni: la narration
Thilde Barboni: l’érotisme

 

Olivier Cinna, le dessinateur, n’a pas énormément d’albums derrière lui, mais tous sont caractéristiques d’une volonté de faire évoluer son graphisme en fonction du récit qu’il décide de mettre en scène.  » Ordures  » et  » Mr Deeds  » en sont des exemples évidents.

Ici encore, il étonne par sa faculté à adapter son dessin à l’histoire qu’il raconte. On retrouve incontestablement des références artistiques dans cet album qui sont moins issues du neuvième art que de la peinture. Il y a, par exemple, dans la façon dont il façonne les personnages, à traits épais, presque grossiers, quelque chose de la manière de peindre illustrée par l’expressionnisme allemand ou un peintre comme Grosz. Par contre, il y a une finesse et une sérénité proches de Hokusai dans la façon qu’il a de rendre compte des gestes amoureux de ses deux héros, des paysages, aussi. Des paysages, citadins ou campagnards, dans lesquels il prouve qu’il est aussi un coloriste de talent, capable de varier l’intensité des teintes qu’il offre à ses personnages selon l’heure du jour, le point de vue choisi pour une scène. Certaines de ses colorisations, ainsi, sont puissantes et bien marquées. D’autres sont d’une transparence qui peut faire penser à la manière dont Dufy aimait peindre ce qu’il voyait.

Ce qui est frappant, avec Olivier Cinna, c’est aussi le sens de l’ellipse qui est le sien. Puisqu’une telle ellipse existe dans le scénario de Barboni, elle se devait aussi d’exister dans le dessin, un dessin capable de pousser le lecteur à imaginer, avec presque une douce sérénité, ce qui se déroule entre deux cases, entre deux pages et qui, non-dit, n’en demeure pas moins important dans le fil de la narration.

 

Olivier Cinna: la couleur
Olivier Cinna: l’ellipse

 

Qu’est-ce qui fait, finalement, qu’une bd soit bonne ou pas ?… Le plaisir pris à la lire et à la regarder, bien sûr ! Mais ce plaisir ne peut exister qu’à partir du moment où on ressent, lecteur, qu’il a été d’abord celui des auteurs.

Pour qu’un album de bande dessinée sorte du lot, il faut évidemment qu’il fasse preuve d’originalité. Mais, surtout, qu’il soit le résultat d’un  » travail  » qui ne se ressent pas, qu’il soit, en fait, le résultat d’une osmose entre plusieurs éléments essentiels : l’histoire racontée, le texte et son importance littéraire, la couleur et le dessin.

Et ici, pour un livre qui parle de la mort et de l’amour, thèmes universels de tout art depuis toujours, qui parle de la lâcheté et du désir, de soleils resplendissants et de destructions humaines déshumanisées, on ne peut que souligner la véritable complicité, à tous les niveaux, des deux auteurs !

 

Olivier Cinna: le travail à deux…
Thilde Barboni: le travail à deux…

 

La bande dessinée est un art à part entière. Et tous les arts peuvent être simplement des distractions ou se vouloir réflexions. Ici, nous sommes d’évidence dans un univers où la pensée se mêle au fantastique, où la science ne peut se concevoir sans poésie, où vivre ne peut subsister qu’au travers de l’émotion et de l’érotisme.

C’est un livre sérieux, donc, dans son propos, mais c’est surtout un livre qui se lit avec plaisir… Oui, le texte se lit, mais le dessin aussi ! Et cette double lecture fait de cet album une très belle réussite !

 

Jacques Schraûwen

Hibakusha (dessin : Olivier Cinna – scénario : Thilde Barboni – éditeur : Dupuis)

Les Grandes Batailles Navales

Les Grandes Batailles Navales

Maître de collection, le Belge Jean-Yves Delitte, grand connaisseur de la marine, s’en donne à cœur joie pour nous raconter des combats qui ont construit la grande Histoire !

Jean-Yves Delitte n’a sans doute pas toujours été passionné par la Mer, ses aventures, ses folies, ses couleurs changeantes, ses démesures humaines. Il a même touché un peu à tout, graphiquement, scénaristiquement, du polar au livre exotique, de l’illustration à l’aventure amoureuse.

Depuis plusieurs années, cependant, ce sont les océans qui font l’essentiel de ses inspirations, de ses aspirations, les océans et ce qui s’y vit de réalités humaines. On peut ainsi épingler dans son œuvre une série comme  » Black Crow « , bien évidemment, mais aussi  » U-boot « , ou  » Le Sang des Lâches « . C’est dire que quand les éditions Glénat sont venues sonner à sa porte pour lui proposer de diriger une collection, exclusivement axée sur les grandes batailles navales de l’Histoire, il ne lui a pas fallu beaucoup de temps de réflexion pour répondre affirmativement !

Cela dit, qu’on ne s’y trompe pas, surtout : il ne s’agit nullement pour lui, dans cette collection, de faire œuvre historique pure et dure, il ne s’agit nullement non plus de faire preuve de didactisme à la manière de l’Oncle Paul. Les temps ont changé, et c’est bien de bd moderne qu’il s’agit ici.

Une bd qui, cependant, reste ancrée dans la grande tradition du neuvième art populaire, celle qui consiste, d’abord et avant tout, à raconter des histoires passionnées, certes, mais passionnantes surtout !

C’est donc le romanesque qui reste au centre de tous les récits qui vont paraître dans cette collection, qu’ils soient totalement l’œuvre de Delitte ou uniquement dues à ses scénarios.

Un romanesque qui, pourtant, se veut également fidèle, tant que faire se peut, à la vérité historique.

Jean-Yves Delitte: le romanesque et la guerre
Jean-Yves Delitte: la vérité historique

L’homme a toujours rêvé à l’ailleurs… Un ailleurs qui, pour lui, s’est incessamment laissé découvrir par la violence du combat, celle de la guerre, de toutes les guerres. Un ailleurs qui ne pouvait que se situer au-delà de l’horizon, donc au-delà de la mer et de ses mystères.

Cette collection s’intéresse à ces ailleurs, c’est évident, et elle se veut aussi source de rêves, tout aussi évidemment, tant il est vrai que les vagues battant les coques de bois, le vent gonflant les voiles, le soleil changeant la consistance de l’écume des flots, tout cela appartient aussi au monde du rêve.

Et ce que j’aime dans cette collection dont trois albums sont déjà parus, c’est que le dessin, dans chaque livre, réussit à faire rêver, encore, toujours, malgré les scénarios qui, eux, parlent finalement d’horreur et de mort.

Et la mise en couleurs de ces albums mérite elle aussi le détour, elle qui ne se contente à aucun moment d’un tout-venant en la matière, et qui réussit à rendre compte des heures, des saisons, des vents, des embruns, des odeurs presque.

Jean-Yves Delitte: les dessinateurs
Jean-Yves Delitte: la couleur

Ce que j’aime aussi chez Jean-Yves Delitte, c’est qu’il n’oublie à aucun moment que l’Histoire majuscule n’est faite que d’histoires minuscules, et que seul l’humain peut donner du corps à un récit, quel qu’il soit.

Et c’est le cas dans cette collection, qui ne se contente pas de relater de grands faits historiques, mais qui le fait en prenant comme axe de vision des  » petites gens « , et le moins possible de personnages qui prennent les décisions.

Le monde, nous dit-on, s’est toujours construit au feu de guerres et de tueries, et c’est bien de ce monde-là que Delitte nous parle. Mais il le fait en voulant, essentiellement, laisser la place, la parole, et donc la critique, aux protagonistes les plus humbles de ses récits.

Jean-Yves Delitte: l’humain…

C’est un souffle à la fois épique et simplement humain qui souffle dans les voiles de cette collection. Jean-Yves Deliltte la dirige comme un amiral humaniste pourrait diriger son navire : avec un regard qui peut s’avérer critique, avec un sens de la construction qui ne manque jamais de puissance mais qui n’oublie jamais de se placer à taille d’homme.

Glénat a toujours été un éditeur soucieux de mettre l’Histoire à la portée de tous, grâce à de la bonne bande dessinée. Et c’est, ici, un pari encore une fois réussi !

 

Jacques Schraûwen

Les Grandes Batailles Navales (une collection dirigée et scénarisée par Jean-Yves Delitte – albums parus : Trafalgar dessiné par Denis Béchu, Chesapeake dessiné par Jean-Yves Delitte, Jutland dessiné par Jean-Yves Delitte –  éditeur : Glénat)