Jim – La vie, la mort, le chagrin, la mémoire…

Jim – La vie, la mort, le chagrin, la mémoire…

François Schuiten nous livre un petit album émouvant, dont le propos dépasse, sans qu’il en ait conscience lui-même sans doute, le deuil dont il nous parle… Dans cette chronique, vous trouverez, in extenso, le son d’une rencontre entre François Schuiten et moi… A écouter, croyez-moi !

copyright schuiten

Je ne vais pas ici faire le panégyrique de François Schuiten, un artiste dont les routes de la création se sont faites, au cours des années, extrêmement variées. Je vais simplement insister sur sa façon de plonger ses lecteurs, en dehors même des mots qui lui servent de scénarios, dans des univers qui leur sont des miroirs à peine déformés de leurs propres réalités.

Et le voici qui nous offre -et le mot me paraît tout-à-fait adéquat- un livre complètement différent de tout ce qu’il a dessiné auparavant… Un livre dans lequel il se révèle, sans le masque de la fiction…

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Croiser François Schuiten, pendant des années, c’était aussi croiser son chien. Jim… Ils formaient comme un couple… Il y avait entre eux une amitié qui dépassait le simple compagnonnage entre un humain et son animal de compagnie.

Et ce chien, Jim, comme tout être vivant, est mort.

« Mort »… Un mot terrible, un mot qui définit en trois lettres le destin de toute existence, un destin dont, pourtant, nous ne voulons pas qu’il accompagne nos errances quotidiennes.

Jim, donc, est mort, laissant Schuiten plus que désemparé. Seul, soudain… Pour avoir eu des animaux proches pendant toute ma vie, pour avoir bien souvent pleuré à la disparition d’un chat, d’un chien, je sais que ce chagrin est essentiel, profond, puissant… N’en déplaise à celles et ceux qui cherchent des échelles d’intensité aux sentiments humains ! La mort de qui on aime est toujours la pire des déchirures. Et l’étonnant, sans doute, c’est que cette déchirure, nous puissions la connaître, la « vivre » plusieurs fois dans une seule vie.

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Avec ce livre dont les dessins et les rares mots forment comme un poème, c’est de la mort d’un animal qu’il s’agit… Mais c’est surtout de passion, donc d’amour, seule vérité, finalement, de ce qu’est l’humanisme…

Schuiten nous donne à voir sa douleur, cette prise de conscience charnelle d’un bonheur enfui. Il trace, de dessin en dessin, de l’improbable ailleurs, une multitude de présents, donc une éternité ! Et de ce fait, ce livre dépasse le seul deuil face à un animal. Il devient universel parce qu’il nous parle de l’amour, de toutes les formes d’amour, de la mémoire, des passés qui restent ancrés à nos présents…

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L’Amour… Majuscule… Est-ce qu’il y a vraiment quelque chose à comprendre dans l’horreur d’une mort, fût-elle celle d’un chien ? Tous les amours se ressemblent… Le vide de l’absence est le même… La solitude est identique…

Pour la connaître, cette absence qui génère le fantôme omniprésent de l’être aimé disparu, pour, un an et demi après le décès de mon épouse, continuer à la sentir, à la savoir sourire, pour tout ce qu’il y a de bien en moi, que je lui dois, à elle, et que ce livre de François Schuiten ranime, je n’ai pu que ressentir une merveilleuse et terrible émotion à la lecture-vision de ce « Jim »…

Et parlant de ce chien, Schuiten a ce mot que je revendique aussi, ici : « il sait tant de choses de moi que je ne soupçonne pas » !…

Le dessin, comme l’écriture telle que Julos Beaucarne l’a utilisée en son temps lors de la mort de son épouse Loulou, sont, je pense, les seuls chemins qui n’ont besoin d’aucune thérapie ni d’aucun gourou pour faire de l’humain l’essentiel de l’histoire de l’humanité…

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J’ai rencontré François Schuiten… Et je n’ai pas voulu tronçonner l’interview qu’il a bien voulu m’accorder… La voici, donc, in extenso… Ecoutez-la : c’est d’amour, sans vraiment user de ce mot, que nous avons parlé…

Jacques et Josiane Schraûwen

Jim (auteur : François Schuiten – éditeur : Rue De Sèvres – 124 pages)

Le Grand Migrateur – Un géant pour sauver une planète à la dérive…

Le Grand Migrateur – Un géant pour sauver une planète à la dérive…

Une « bd jeunesse » réjouissante qui nous bal(l)ade dans un monde qui ressemble au nôtre, mais avec humour, tendresse, folie…

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Dans l’univers de la bande dessinée (comme dans tous les autres univers culturels d’ailleurs), les modes sont nombreuses. Et chacune d’entre elles crée, après d’excellents livres précurseurs, des tas d’œuvres préformatées, imitatrices, sans grand intérêt. Il faut oser le dire…

La mode de l’heroic fantasy n’y a pas échappé, loin s’en faut. Et se multiplient encore des aventures dont les scénarios ressemblent à une étrange mixture mêlant fantastique, imaginaire, horreur, monstre, magie, que sais-je encore !

Et puis, dans un monde où l’imagination me semble trop souvent faire défaut, il y a parfois d’excellentes surprises. « Le Grand Migrateur » en fait partie.

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D’abord parce qu’il ne sacrifie pas à la facilité de codes bien établis et qu’il nous fait ainsi découvrir un récit coloré sans elfes, sans magie omniprésente, le récit d’un périple humain en quelque sorte.

Dès lors, il m’a paru intéressant de demander aux deux auteurs, Augustin Lebon et Louise Joor, quelle était leur vision de l’heroic fantasy.

Augustin Lebon et Louise Joor

Résumer cet album est assez simple. Nous nous trouvons sur une planète qui ressemble à la nôtre et qui est menacée par la « glaire noire ». Odette, une vieille dame irrespectueuse, pense que ce danger de destruction vient du fait que les humains ont décimé les géants qui, tous les 200 ans, migraient vers le nord, région de la planète couverte par cette glaire noire prête à tout engloutir.

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Et voilà qu’un géant sort de sa léthargie, et qu’Odette, accompagnée du falot Childebert, décide de protéger ce monstre dont elle devine qu’il peut sauver leur monde.

A partir de ce point de départ, l’Aventure déroule ses péripéties dans des paysages variés, chauds et froids, réjouissants ou horrifiants. A partir de ce point de départ, surtout, ce livre mêle plusieurs destins, plusieurs personnages, parfois complices, parfois antinomiques.

Augustin Lebon et Louise Joor : les personnages

Cela dit, ce n’est pas un récit choral. C’est une histoire, simplement, qui permet aux auteurs de se lancer dans des tas de portraits. Et, ce faisant, d’aborder des thématiques nombreuses, toutes proches des réalités de notre propre domaine terrestre.

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Dans ce grand migrateur, on parle de différences physiques, de différences d’idées. Avec ce dialogue savoureux :

« – Il est peut-être jeune, ou simplement différent. »

« – C’est pareil. »

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On parle aussi de la vie se voulant éternelle et toujours confrontée à la mort. On y parle de la rumeur, de ce que peut révéler une légende, on y parle de la lâcheté, de la folie. Et comme dans une fable presque surréaliste, on y montre que la vie sans « parasites » répugnants n’est pas vraiment pensable et vivable.

les thèmes : Augustin Lebon et Louise Joor

C’est un livre, je le disais plus haut, de bd jeunesse. Sans mièvrerie, avec un vrai méchant, avec, par petites notes, ce sentiment de peur qui apparaît et permet aux rêves de se construire.

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L’enfance est tout un pays à elle seule, et c’est un peu elle que les auteurs de ce grand migrateur ont laissé entrer dans leur livre… Par le texte, mais aussi par un dessin parfois tout en transparence, avec une utilisation de la couleur qui progresse au rythme des saisons et des lieux, et permet au dessin de Louise Joor de créer ses propres lumières.

Une bd pour tous : Louise Joor et Auguste Lebon

« Le Grand Migrateur » est un album résolument actuel, par ses thématiques comme par son graphisme. Mais c’est aussi et surtout un livre parfaitement assumé, avec un univers très personnel qui devrait sans difficulté plaire à un jeune public. Mais pas seulement !….

Jacques et Josiane Schraûwen

Le Grand Migrateur (dessin : Louise Joor – scénario : Augustin Lebon – éditeur : Rue De Sèvres – 2023 – 75 pages)

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