Pierre Loti – une vie de voyageur

Pierre Loti – une vie de voyageur

Bien sûr, on connaît encore (un peu) des titres de livre écrits par Pierre Loti : Pêcheur d’Islande, Ramuntcho, entre autres. Mais qui était-il ?…

copyright calmann levy

Force est de reconnaitre, cependant, que ses livres, nombreux, sont peu lus, de nos jours. Et c’est un doux euphémisme. Par contre, lorsqu’on cite son nom, on retrouve l’image d’un personnage un peu fou, ayant reconstitué dans sa maison de Rochefort en France des décors orientaux dans lesquels il se baladait en tenues exotiques.

Pierre Loti

Pierre Loti était-il cet être étrangement original, membre de l’académie française quand même, était-il une espèce de caricature amusante des voyages qu’il avait faits ou imaginés ?… Cet album est là pour le restituer tel qu’il fut, réellement, et briser ainsi bien des images négatives attachées à sa personne, à sa personnalité.

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Ce livre, oui, nous fait un portrait complet de Julien Viaud, vrai nom de cet écrivain qui ne fut pas uniquement, loin s’en faut, un auteur à succès du début du vingtième siècle.

Avant d’écrire, il fut marin… Voyageur, donc… Découvrant des univers desquels il est, peu à peu, tombé amoureux. Je dis des univers, je devrais plutôt parler de lieux, de civilisations, de gens, de cultures, de différences !

Pierre Loti, ainsi, fut véritablement un aventurier, un découvreur, un de ces êtres humains, rares tout compte fait, capables de dépasser les convenances et les idées convenues pour découvrir, simplement, le monde tel qu’il est et pas tel qu’on veut le montrer… Et, de voyage en voyage, marin de la marine officielle, il s’est peu à peu révélé à lui-même comme dessinateur, comme journaliste, comme écrivain, enfin.

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A partir de cette biographie dessinée, avec comme fil conducteur une visite féminine dans son antre de Rochefort, Pierre Loti permet, en quelque sorte, aux auteurs de nous le faire découvrir… De nous faire découvrir un homme complexe, qui a d’abord été un regard, ensuite une réflexion, enfin un discours écrit, journalistique et romancier.

Un regard, oui… Sur la signification du mot « civilisation ». Sur ce qu’était le colonialisme. Sur la « sauvage poésie » de la différence, d’idées, de personnes, de langages, de lieux. Sur l’érotisme de l’ailleurs.

Un regard amoureux à l’égard de ces peuples rencontrés en dehors des contraintes de la politique en cours.

Un regard critique, aussi, envers la France, sa politique, envers les touristes (déjà !…) qui salissent tout ce qu’ils ne veulent pas connaître.

Avec cette citation sans détour : « On a réussi à faire de l’Algérie quelque chose de terne et d’incolore, tout y est frelaté. » !

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Pierre Loti, tout au long de sa vie, semble toujours rechercher l’envers des apparences et les mystères qui s’y cachent.

Et ce livre nous permet d’entrer pleinement dans le sens qu’il donnait au mot « aventure », à l’opposé même des tout héroïsme, avec comme seul but la connaissance et l’acceptation des différences de culture, de croyances, de réalités, de coutumes.

S’il fallait trouver un leitmotiv à son existence, à ce que nous raconte ce livre, et les siens aussi, cela pourrait se résumer à ces mots de Loti lui-même : seul le voyage peut ouvrir les yeux. Mais sans toucher ses rêves du doigt…

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Ce sont d’ailleurs les mots de Loti qui peuplent cet album, ce sont eux, prenant comme point de départ une discussion presque mélancolique entre l’écrivain et une amie dont on devine l’ancienne intimité, qui racontent l’écrivain.

Pascal Regnauld, qui a assumé quelques albums de l’inspecteur Canardo créé par Sokal, nous montre ici une autre facette de son talent, parfaitement maîtrisée. Son dessin illustre et accompagne les mots, tout en leur offrant un rythme et une représentation jamais outrancière. La couleur, quant à elle, permet une lecture aisée, de « présent » en « passés »… Le scénario, parfaitement lisible, suivant pas à pas la vie et la carrière de Loti, laisse la part belle à l’humain bien plus qu’à l’Histoire, et c’est ce qui fait aussi la qualité de ce livre.

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Grâce à cette osmose entre les auteurs, on peut dire que ce livre est une réussite, dans la mesure où, au fil des pages, on voit Pierre Loti y prendre vie… Un vrai Pierre Loti, loin de l’image très particulière qu’il a laissée dans l’inconscient collectif…

Jacques et Josiane Schraûwen

Pierre Loti – une vie de voyageur (dessin : Pascal Regnauld – scénario : Didier Quella-Guyot et Alain Quella-Villéger – éditeur : Calmann Levy – 146 pages – 2023)

Le Prof Qui A Sauvé Sa Vie

Le Prof Qui A Sauvé Sa Vie

Un titre étrange pour un livre qui nous parle de passion, de nostalgie, des mille chemins possibles de l’existence aussi.

Ce livre est né d’une rencontre… Entre, d’une part, Albert Algoud, homme de médias, écrivain, ancien rédacteur en chef de Fluide Glacial, membre émérite de Hara Kiri, et ancien professeur ! Et d’autre part, Florence Cestac, dessinatrice, cofondatrice des éditions Futuropolis, grand prix d’Angoulème en 2000. Et pionnière de la bd féminine, avec Bretécher, Goetzinger, Montellier.

L’ancien prof s’est raconté à la dessinatrice, et la dessinatrice y a trouvé de quoi décrire un monde, une profession, un milieu, une époque aussi ! Toujours en dessinant, comme elle le dit elle-même, des gros nez, et des personnages à quatre doigts…

Naturellement, avec ce titre, et connaissant un peu la carrière imposante d’Albert Algoud, on peut se demander en quoi cet écrivain a sauvé SA vie !

C’est tout le contenu de ce livre… Il l’a fait en tentant d’avoir des rapports avec ses élèves différents de ceux de la norme acceptée et voulue par les autorités éducatives… Il l’a fait en réussissant, souvent, à créer des liens qui dépassent le simple transfert de connaissance entre le maître et l’élève.

copyright dargaud

Il l’a fait en se faisant remettre à l’ordre, bien souvent. Il l’a fait, enfin, en quittant ce monde pour entrer dans celui de la provocation souriante, voire extrême, à Hara Kiri entre autres… Et c’est donc une biographie que nous raconte Florence Cestac, en insistant infiniment plus sur l’époque « enseignant » d’Algoud que sur son départ définitif du monde des « profs »… Et elle le fait comme elle a toujours agi, avec un sens de la fidélité à la morphologie des personnages, à la réalité du récit qu’elle met en scène, une fidélité qui n’empêche nullement, au-delà de la ressemblance physique, de la plongée dans des ambiances parfaitement rendues, au-delà de la nostalgie, même, de nous livrer aussi ses impressions… Comme au sujet de l’enseignement !

En fait, à partir des souvenirs d’Albert Algoud, Florence Cestac nous dessine, avec humour, avec folie, avec toujours ses « gros nez », une partie de l’histoire d’un homme …

L’humour, chez Cestac, est toujours présent. Mais ce que ce que cette dessinatrice cherche d’abord et avant tout, c’est à partager avec ses lecteurs toutes les émotions qu’elle vit elle-même en dessinant, en racontant… C’est une conteuse réaliste qui transforme la réalité en éclats de rire, souvent, en tendresses, parfois, en colères et en chagrins aussi, quelquefois. C’est une dessinatrice de la mémoire, mais qui fait de la souvenance une route vers des sensations, des vérités, des partages, des émotions, des passions.

Ce qui est passionnant aussi, c’est que les auteurs, ici, réveillent chez le lecteur des tas de souvenirs…

Pour les élèves, souvenirs de chahuts, de certains professeurs qui les ont marqués par leur passion…

Des souvenirs aussi pour ceux qui ont été dans le monde enseignant… J’y ai par exemple passé quelques années, et, tout comme Algoud, j’ai été empêché de continuer à animer un ciné-club! Mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est un livre d’abord et avant tout amusant ! Mais avec un fond sérieux…

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Ce qui est remarquable chez Florence Cestac, c’est que la fluidité de son dessin n’empêche jamais le sentiment, au sens large du terme. Et que les plongées qui sont siennes dans son propre passé ne l’empêchent jamais, également, de prendre un vrai plaisir, tangible, palpable, à faire d’un scénario qui n’est pas le sien quelque chose de lumineux…

Cela dit, c’est aussi un livre de femme.

Et d’une femme qui jette un regard heureux sur la présence, aujourd’hui, de plus en plus de dessinatrices dans un métier qui fut pendant trop longtemps masculin…

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Florence Cestac continue, intensément, à faire partie de ces auteurs, de ces auteures, qui veulent raconter, toujours, une part d’eux-mêmes, quel que soit le récit réalisé…

Un livre excellent, il n’y a pas d’autre mot, qui fait sourire, qui fait réfléchir, aussi… Qui, finalement, et sans avoir l’air d’y toucher, n’est vraiment pas simplement nostalgique !

Jacques et Josiane Schraûwen

Le Prof Qui A Sauvé Sa Vie (dessin : Florence Cestac – scénario : Albert Algoud – éditeur : Dargaud – mars 2023 – 61 pages)

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Olivier Neuray – la galerie Champaka nous fait redécouvrir « Nuit Blanche ». Exposition jusqu’au 25 mars !

Olivier Neuray – la galerie Champaka nous fait redécouvrir « Nuit Blanche ». Exposition jusqu’au 25 mars !

La bande dessinée n’est pas un doux chemin aisé… Olivier Neuray, au talent indubitable, en quitte les méandres, et cette exposition, à sa manière, fait le lien entre ses deux existences.

copyright Neuray

Auteur de BD… Cela fait rêver bien des gens… Mais c’est un métier… Donc une « occupation », artistique certes, mais dépendant du monde économique. D’éditeurs, de modes passagères, de diktats pseudo intellectuels, de copineries de toutes sortes…

Face à cet univers, de vrais auteurs, aux réelles qualités, jettent l’éponge… Les raisons?… Des projets qui n’aboutissent pas, des antichambres en veux-tu en voilà, des refus, des demandes de corrections à faire pour correspondre aux censés besoins du public… Des émoluments, des droits d’auteur, qui mettent bien longtemps, souvent, à se retrouver dans les bonnes poches…

copyright Neuray

C’est le cas d’Olivier Neuray.

Dès la fin des années 80, il édite la série « Nuit Blanche », chez Glénat, avec, comme scénariste, l’extraordinaire Yann. Cinq volumes vont paraître, mettant en scène un personnage ambigu, tantôt chauffeur de taxi, tantôt ancien militaire russe exilé par la révolution de 1917… Une série passionnante, historiquement et humainement, avec un personnage de femme essentiel…

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Ensuite, ce sera « Lloyd Singer », sur scénario de Luc Brunschwig, une sorte de thriller à l’américaine. Six volumes, chez Dupuis d’abord, chez Bamboo ensuite. Et puis, ce sera « Les cosaques d’Hitler », sur scénario de Valérie Lemaire, formidable diptyque historique, violent, cruel, étonnant. Et, pour finir, une série en trois épisodes, toujours avec Valérie Lemaire, « Les cinq de Cambridge », abordant amitié et espionnage, d’une manière véritablement originale.

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Et puis, Olivier Neuray abandonne la bande dessinée… Il se consacre désormais à la peinture, à la gravure aussi. Cela dit, ses œuvres continuent, inconsciemment peut-être, à rappeler son graphisme de bédéiste, mais elles le dépassent, elles le magnifient en quelque sorte.

Et c’est ce que nous pouvons découvrir dans la galerie Champaka, à Bruxelles, puisqu’y sont montrées quelques dizaines de planches originales de sa première série, Nuit Blanche, mais aussi trois tableaux créés pour cette exposition… Trois œuvres picturales qui sont les contrepoints des planches, puisque s’y révèlent les mêmes personnages. Et le verbe « se révéler » y prend tout son sens, croyez-moi…

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Et c’est la belle réussite de cette exposition que de nous permettre, d’une part, de voir de près la façon d’Olivier Neuray de construire une planche, de pratiquer le noir et blanc avec une vraie puissance plus américaine que « ligne claire », et, en même temps, de s’éblouir aux lumières qui semblent jaillir de ses trois tableaux…

Une belle exposition, qui devrait apporter, on peut rêver, quelques regrets aux éditeurs qui ont laissé s’en aller un auteur, un vrai !

Olivier Neuray que j’ai rencontré, à qui j’ai posé quelques questions, auxquelles il a répondu avec le sourire… Ecoutez-le ici, tout simplement, avant d’aller découvrir son exposition…

Olivier Neuray

Jacques et Josiane Schraûwen

Olivier Neuray – Nuits Blanches – Galerie Champaka – 27, rue Ernest Allard – 1000 Bruxelles – Jusqu’au 25 mars