Le Père-Lachaise – visite guidée de quelques célébrités défuntes

Le Père-Lachaise – visite guidée de quelques célébrités défuntes

Une ville peuplée de morts, sur les hauteurs d’une ville lumière bruissant de vie… Un paradoxe passionnant !

copyright delcourt

Sébastien Floc’h vous invite à le suivre de tombe en tombe dans ce lieu touristique de France, visité chaque année par des millions de curieux. Entrez dans cet univers de tombes et de monuments funéraires, peuplé de 70.000 « disparus », inconnus pour la grande majorité d’entre eux… Mais dans ce territoire de la grande faucheuse se découvrent aussi des célébrités. Suivez Sébastien Floc’h dans les méandres d’un lieu unique, à la découverte de seize humains qui, de leur vivant, ont pu croire à l’éternité !

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Bien sûr, ce choix est totalement subjectif ! Il y a tant et tant de noms appartenant aux Histoires humaines qui sont présents sous la terre de ce cimetière étonnant que le scénariste, Sébastien Floc’h, avait l’embarras du choix. Il aurait pu nous parler de Jean-Pierre Bacri, d’Edith Piaf, de Pascal, de Maurice Tourneur, etc., etc. Qui sait, d’ailleurs, peut-être d’autres volumes viendront-ils continuer à nous offrir le paysage mortuaire d’un vrai pays enfoui près d’une vraie ville !

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Ce livre se construit par chapitres, chacun d’entre eux consacré à une célébrité, chacun d’entre eux étant dessiné par un artiste différent. En ce qui concerne ces dessinateurs, et par goût personnel (donc subjectif également !), j’épinglerai David François, Nancy Pena, Alexis Vitrebert et son travail sur la couleur, Eliot Baum, l’excellent Terkel Risbjerg, le toujours intéressant Corominas. Quant au choix des personnages « traités », il est assez large que pour ne lasser aucun lecteur… Floc’h nous parle d’Abélard et Héloïse, De Parmentier et ses patates, de Balzac, de Chopin, de Musset, mais aussi de Jane Avril et de Jim Morrison.

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Ce qui est intéressant dans cet album, c’est aussi qu’il est, pour chaque chapitre, identique dans sa construction narrative. Il y a d’abord une sorte d’exposé presque à la Stéphane Bern dans ses secrets d’Histoire… Un déroulé traditionnel de la vie du « héros » à découvrir, chronologiquement, sans fioritures, comme une sorte d’instantanés d’une existence qu’on dit et pense remarquable. Un morceau d’Histoire à peine romancé…

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Et ensuite, chaque chapitre se termine par une seconde intervention, une sorte d’explication de texte dite pas un des habitants vivants de ce cimetière, je dirais même un des habitants essentiels de ce Père Lachaise, un chat. Et c’est cette dichotomie, peut-être, ce double discours, l’officiel et celui qui remet les choses dans une perspective réelle, loin de la simple légende, qui fait la richesse et la qualité de cet album, donc du travail de Sébastien Floc’h. Et celle aussi du graphisme des seize dessinateurs de ce livre qui peuvent à leur aise mettre en scène ces félins que tous les baladeurs du Père Lachaise connaissent bien…

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J’ai toujours, sans savoir pourquoi d’ailleurs, été fasciné par les cimetières. Le Père Lachaise, pour m’y être promené de longues heures à 17 ans, et de tout aussi longues heures avec mon épouse, plus tard, le Père Lachaise est un endroit véritablement exceptionnel… Un endroit où finalement la vie et la mort, dans une sorte de quiétude souriante, se mêlent intimement. Merci, donc, à ces 17 auteurs qui, avec cet album, rendent bien plus hommage à ce lieu qu’à ceux qui y vivent leurs ultimes absences…

Jacques et Josiane Schraûwen

Le Père-Lachaise (scénario : Sébastien Floc’h – dessin : seize auteurs différents – éditeur : Delcourt – novembre 2024 – 136 pages)

Pillard De Guerre – Un anti-héros dans les conflits de l’Histoire

Pillard De Guerre – Un anti-héros dans les conflits de l’Histoire

Ferdinand Terancourt, personnage ambigu, se trouve plongé dans une guerre mexicaine… Son destin ne serait-il pas, même révolté, qu’il subisse le monde et ses folies ?

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Ferdinand Terancourt, par les mots de Pelaez et le dessin de Porcel, vit dans cet album se troisième aventures Après avoir vendu (et trafiqué) du pinard dans les tranchées de la guerre 14-18, après avoir été arrêté et condamné au bagne, et s’en être évadé, le voici au Mexique, pillard pour pouvoir se payer le voyage vers San Francisco, lieu de toutes ses espérances de liberté.

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Ce qui est déjà une des grandes qualités de cette série, c’est que chaque album peut se lire (et se savourer) comme un one-shot, comme une histoire complète, tout simplement. Mais pour ceux qui ont lu les deux premiers opus, ils vont découvrir ici un Ferdinand Terancourt plus mûr, tant dans sa manière d’agir que dans celle de penser… On le savait intéressé plus par son portefeuille que par le monde qui l’entourait, avec un cynisme évident, on l’aperçoit ici capable d’amitié, capable d’émotion, capable même de réflexion politique.

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Outre le fait qu’il soit pillard sous le soleil du Mexique, Ferdinand, évadé de bagne, reçoit une mission du général Pershing : tuer Pancho Villa. Mais Ferdinand n’est pas homme du genre à recevoir des ordres et à s’y plier ! On va le voir, donc, dans cette aventure, jouer encore et encore avec le feu, aider le révolutionnaire mexicain… Ce faisant, il va affronter les troupes régulières mexicaines… Les imbroglios vont se multiplier, au long d’un scénario qui aime les coups de théâtre, qui aime aussi à ce que chaque protagoniste ait une vraie chair, une véritable personnalité. Philippe Pelaez est un orfèvre en la matière, et il ne perd jamais ses lecteurs en cours de route.

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Quant à Francis Porcel, il possède un sens presque architectural sans sa façon de construire ses planches, et il en résulte une lecture fluide et parfaitement rythmée. En outre, ses couleurs, ici, ont fait le choix de s’écarter des sentiers battus, et de ne s’attarder que très peu sur les tons ensoleillés, préférant créer des ambiances dans lesquelles le clair et l’obscur se mélangent intimement… Porcel et Pelaez forment, c’est évident, un duo de talent, et on sent, dans leur travail, une véritable complicité artistique.

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Je le disais : Ferdinand Tirancourt, dans cet album, se révèle à lui-même, comme si les vicissitudes de l’existence l’obligeaient, enfin, à mettre des mots sur ses sensations, ses sentiments, ses réactions, ses révoltes, ses colères. Cette trilogie (dont chaque album, j’insiste, peut se lire et s’apprécier tout seul) dresse, en fait, le portrait d’un anarchiste qui s’ignore. Un humain, et je cite le texte de Pelaez, « allergique à la race humaine, à tous ces empaffés au verbe haut et à la morale obscène, qui font du barouf dans l’assourdissant silence des abrutis qui les écoutent »… Et il continue, en disant : « l’humanité ne fait que passer pour laisser derrière elle les longues traînées rouges du sang »… Cette série de trois albums, construite en outre comme un mouvement qui, de France, retourne en France, se fait ainsi l’allégorie sombre de toutes les tyrannies, qu’elles soient guerrières ou politiciennes… Tous les côtés de la guerre, de toutes les guerres, empreintes de violences sanglantes, sont inacceptables, mais Ferdinand, lucide, ne peut leur échapper, malgré tout. Et dans ce livre-ci, à travers Ferdinand, Philippe Pelaez détruit tous les mythes héroïques, en lui faisant dire, par exemple, à Pancho Villa : « Tes exactions sont à la hauteur de tes exploits » !

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Notre époque aime, à nouveau, mettre en avant les armes, et peu nombreux sont celles et ceux qui n’applaudissent pas aux défilés militaires et aux discours belliqueux ! Ce trio de livres, et ce dernier encore plus que les deux autres, fait un bien fou à l’intelligence humaine, à ce qui en reste du moins !

Lisez-le… Lisez les trois albums de cette série… N’est-il pas temps, en effet, d’oser dire non, tout simplement, à cette connerie du pouvoir qui s’universalise tristement ?

Jacques et Josiane Schraûwen

Pillard De Guerre (dessin : Francis Porcel – scénario : Philippe Pelaez – éditeur : Grandangle – juillet 2025 – 56 pages)

Red Gun – Du western, du polar, deux albums à savourer !

Red Gun – Du western, du polar, deux albums à savourer !

Le Western, régulièrement, trouve une nouvelle jeunesse, que ce soit dans le septième ou le neuvième art. Innover en la matière n’est pas toujours aisé. Mais cette série-ci parvient, croyez-moi, à étonner !!! Et avec talent…

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Deux albums sont déjà parus, qui mettent en scène l’Ouest américain, après la guerre de sécession. Le général Dodge dirige le chantier du Transcontinental, un train qui devra relier la côte Ouest à la côte Est des Etats-Unis. Un chantier dans lequel des milliers de travailleurs, venus de tous les horizons possibles, forment une humanité dans laquelle être et rester humain n’est pas facile. Dans le premier de ces deux livres, « La Voie du Sang », Dodge fait appel à Terence Nichols, qui autrefois a servi sous ses ordres, pour trouver un assassin qui tue les prostituées en les éventrant. Dans le deuxième volume de cette série, « Le Silence de Jack », Terence Nichols, désormais engagé par Dodge, va devoir trouver une bande de hors-la-loi qui a tué une femme dans une attaque de train, laissant derrière elle deux orphelins, une jeune fille et un gamin, Jack, muet… Deux orphelins dont Terence va s’occuper…

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Nichols a un surnom, Red Gun, inspiré par la couleur de la crosse de son arme : Rouge comme le sang… Comme la mémoire, aussi… C’est un personnage étrange, presque ambigu, qui se scarifie comme pour mieux se punir, ou mieux se souvenir… C’est un personnage complexe, et je ne vous dirai rien ni de son passé, ni des deux « enquêtes » qu’on le voit faire dans ces deux épisodes, chacun formant un récit complet.

Mais sachez que c’est du western, bien évidemment, avec tous les codes du genre… Du western pur et dur, oui, et rien n’est embelli de cet univers dans lequel la violence, la mort, l’horreur et l’injustice régnaient en maîtres absolus. Un western dans lequel les personnages sont bien campés, dans lequel la narration est sans temps morts, dans lequel les seconds rôles eux-mêmes ont de la chair… C’est aussi un western dont le scénario de Jean-Charles Gaudin, étrangement, et avec une vraie réussite, s’écarte des sentiers battus, en y ajoutant une forme de polar à l’américaine des années 50… Et c’est ce mélange de codes très différents les uns des autres, celui de l’Ouest américain et celui du roman policier glauque, qui fait de cette jeune série une vraie réussite. Tout comme les à-côtés de l’histoire racontée, qui parlent de passé, de remords, de regrets, de haines toujours démultipliées par la folie humaine…

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Pour parvenir à cette réussite, pour faire de Red Gun un personnage entier, solide, original, il a fallu que la dessinatrice, Giulia Francesca Massaglia, accompagne avec à la fois de la liberté et de la contrainte un récit qui se devait, en même temps, d’être original et respectueux d’un genre graphique précis jusque dans la démesure des dessins acceptant de rendre compte d’une forme d’horreur quotidienne…

Cette dessinatrice italienne, ainsi, assume avec une forme d’élégance l’influence d’une bd-western transalpine à succès, « Tex ». Mais ses références, et je ne parle pas d’influences, s’élargissent aussi vers d’autres styles de dessin… Je pense à Yves Swolfs et son excellent « Durango » bien plus qu’à Giraud…

Ce dessin, bien évidemment, est d’un réalisme évident, parfois même dérangeant. Mais il fallait cela pour que le récit lui-même, nous montrant des personnages qui n’ont rien d’héroïque, nous montrant la violence quotidienne utilisée par les responsables de la sécurité de ce chantier de chemin de fer, il fallait que soient contournés et oubliés les codes bien sages et bien lisses d’un western à la John Wayne… Et c’est bien le cas…

Utilisant avec un vrai talent de metteur en scène les plongées et les contre-plongées, les approches graphiques des visages, les ambiances triviales et chaudes des scènes de groupe, cette dessinatrice faite vivre des tas de « rôles », premiers ou seconds, qu’on reconnaît de page en page sans difficulté…

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Pour arriver à cela, à faire de chaque planche une description d’ambiance, il fallait aussi que la couleur devienne un véritable enjeu de la création. Cette couleur est due à Facio, et elle nous fait ressentir à merveille les températures et les lieux, les saloons, les rues boueuses, les chemins désertiques, la pluie… On se balade ainsi, avec « Red Gun », dans des univers de couleurs qui, à leur manière, et sans le dire, forment un peu comme des chapitres, plus que de simples séquences.

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Donc, deux albums sont déjà parus, et on ne peut qu’attendre le suivant avec plaisir ! Il y a du sang, de la violence, un peu d’humanité, et une intrigue réussie, tout ce qu’il faut pour de la bd passionnante ! Il y a du corps dans le scénario, comme dans le dessin, et Red Gun est, sans aucun doute, un personnage attachant dont on devine que le passé va nous faire découvrir bien des vérités passionnées…

Jacques et Josiane Schraûwen

Red Gun – « La Voie du Sang » et « Le Silence de Jack » (dessin : Giulia Francesca Massaglia – scénario : Jean-Charles Gaudin – couleurs : Facio – éditeur : Soleil – 2024 et 2025 – 56 pages chaque album)