Rôles De Dames

Rôles De Dames

Charmeuses, charmantes et érotiques demoiselles de Gilson

Elles sourient, elles sont évidemment sexy, elles sont des regards amusés sur la bd, le cinéma, l’actualité, le rêve et ses paradis sans artifices. Elles emplissent de leurs présences les pages de ce livre bien agréable à feuilleter !

Rôles De Dames © Gilson

Disons-le tout de suite, les « pères la pudeur », héritiers pompeux de cet « officiel » qui a interdit, il y a un siècle, les « Bals des quat’z’arts », et les pète-sec moralisateurs ne vont pas aimer ce livre, pas du tout même !

D’abord, à cause de ces dessins qui, outrage ultime à la pensée morale et correcte qui tend de plus en plus à envahir nos quotidiens, avouent sans vergogne le plaisir à montrer presque dénudées des femmes aux libertés sans doute quelque peu libertines. Des vamps, des femmes dont on doute de pouvoir les croiser dans la rue, des jeunes beautés qui, il y a moins d’un demi-siècle, faisaient aussi les beaux jours de la télévision lorsqu’elle osait s’ouvrir à l’érotisme… (si, si, renseignez-vous, l’érotisme avait plus que sa place dans les médias télévisés, ce qui n’est strictement plus pensable aujourd’hui) !

Rôles De Dames © Gilson

Mais, drame ultime, outrage insensé à la bonne pensée sérieuse, ces dessins révélateurs s’accompagnent, au long des pages, de quelques citations qui nous racontent, elles aussi, la femme dans ce qu’elle peut avoir d’attachant, de libéré, d’énervant, de sensuel et de fantasmé…

Rôles De Dames © Gilson

C’est ce mélange, intimement concocté, qui fait de ce livre un lieu agréable dans lequel se promener, un repas de douce gastronomie où chacun et chacune peut picorer à son aise… Oui, c’est de l’érotisme, ce sentiment étrange qui est essentiel à toute humanité… Ce rêve qui naît du vécu, ce vécu qui naît d’espérance, ce fantasme qui jaillit au moment d’une rencontre, cette rencontre qui devient dessin et mots emmêlés…

C’est de l’érotisme, en une époque où il est de bon ton de dénigrer ces « bas instincts »… Ne serait-il pas temps de se souvenir du philosophe Merleau-Ponty qui disait que l’homme était métis de corps et d’esprit ?

Rôles De Dames © Gilson

Ne serait-il pas temps de vouloir que le plaisir reste un des moteurs essentiels de l’existence, le plaisir de parler, de s’exprimer, de dessiner, de vouloir partager des bonheurs simples et éphémères ?

Ce livre ne caricature aucunement la femme…

Il la montre, tout simplement, telle qu’un artiste la voit, l’imagine.

Ce sont des femmes fortes, d’abord et avant tout, des femmes sûres d’elles et sûres que leurs charmes ne sont, finalement, qu’une apparence servant de masque à leurs vérités.

Rôles De Dames © Gilson

Le dessin de Gilson est incontestablement influencé par ce qu’on a appelé l’école de Charleroi et qui n’avait rien de scolaire. Walthéry et Di Sano ne sont pas loin… Et quelques dessins légers sont des hommages quelque peu libertins à quelques grands de la BD (Tillieux par exemple).

Ce livre rend hommage à la bande dessinée, oui, à une certaine forme de neuvième art. D’illustration en illustration, Gilson nous invite, en quelque sorte, à regarder différemment les bandes dessinées traditionnelles, de Natacha à Gil Jourdan, en passant par l’n ou l’autre super héros !

Et puis, il y a les citations… Savoureuses… Sexistes ?… Quelque peu, bien sûr, mais dont le but, comme celui des dessins, est de sourire, simplement, et ce faisant, de rendre plus qu’un hommage à la femme, dans sa totalité, dans son empreinte essentielle dans tous les univers de l’art…

Rôles De Dames © Gilson

Marcel Aymé disait : « Seules les femmes voient vraiment les choses. Les hommes n’ont jamais qu’une idée »…

Et les idées de Gilson, reconnaissons-le, ne manquent pas de constance !

Jacques Schraûwen

Rôles De Dames (auteur : Gilson – éditeur : la surprise du chef)

Pour se le procurer : www.gilson-art.com

Rubine : 14. Serial Lover

Rubine : 14. Serial Lover

Amour, jeux de dupes, mariage(s), humour et vengeance !

Le retour, après dix ans, d’une femme-flic au tempérament volcanique, cela ne se rate pas ! Tout comme ne se rate pas l’arrivée d’un éditeur qui, d’album en album, rend hommage aux auteurs belgo-français !

Rubine 14 © Editions du Tiroir

En Louisiane, jour de mariage ! La belle et riche Eileen Lerouge va unir sa vie avec Trevor Smith. Une union qui n’a pas l’heur de plaire, c‘est le moins qu’on puisse dire, à la mère de la future mariée. Une désunion, plutôt, pour cette femme austère soucieuse, d’abord, des apparences.

La garden-party bat son plein… Mais à l’instant de la cérémonie, religieuse bien sûr, plus de fiancé… Il a disparu… Totalement, même, puisque l’enquête qui s’en suit montre que Trevor existait bien, mais à l’état de mort depuis deux mois…

Trois années se passent… Jusqu’à ce que la belle et blonde Eileen reconnaisse, à la télévision, celui qui se disait être l’oncle du disparu…

Et voilà donc l’enquête relancée, sous la houlette, évidemment, de la rousse Rubine, de son adjointe Shirley et de l’analyste Anton.

Une enquête qui va les mener à découvrir que le disparu n’avait pas qu’une seule existence, qu’une seule identité ! Et que toutes ces existences dessinent la silhouette de ce qu’on peut appeler un homme à femmes… Un « sérial lover » !

Rubine 14 © Editions du Tiroir

Rubine découvre assez vite que Trevor travaillait pour une agence pour cœurs solitaires. Et son enquête, donc, va la pousser à rencontrer plusieurs des femmes conquises et séduites par celui qui jouait sa vie de faux-semblant en véritables empathies.

Et si tout porte à croire qu’il a été tué, l’image qu’il laisse de lui auprès de toutes les femmes qui l’ont aimé (presque toutes…) ne souffre d’aucune vraie critique…

Le scénario de Mythic est enlevé, sans beaucoup de temps morts, avec, de ci de là, des petits manquements qui ne portent pas vraiment à conséquence.

Comme dans les épisodes précédents, les personnages centraux sont des femmes… Séduisantes, bien évidemment, modernes, sexy même. C’est en quelque sorte la constante à la fois chez Walthéry, superviseur de cette série, et chez Di Sano, l’actuel dessinateur. Les hommes ne sont que des faire-valoir, ou des êtres sans consistance, des maris ou pères qui ont juste le droit de se taire, et encore !

Rubine 14 © Editions du Tiroir

De là à dire qu’il s’agit d’une série féministe, il y a un pas que je ne franchis pas ! C’est une bd policière pétrie à la fois d’humour et de réalisme dans le récit des méandres de l’enquête. On sent que le scénariste s’est nourri aux polars américains des années 50, qu’il en a supprimé les privés alcoolos et désabusés pour les remplacer par des femmes qui, même si elles ont l’air d’être des vamps, sont surtout des femmes fortes, intelligentes, passionnées et, ma foi, passionnantes.

Je parlais d’humour, et c’est un plaisir que de reconnaître, au hasard des planches, des personnages connus, des auteurs de bd, par exemple, amis de Walthéry. Et de se plonger dans des dialogues qui ne manquent pas, eux non plus, de clins d’œil.

Mais cela reste une très agréable bande dessinée policière, avec les codes en vigueur dans ce genre littéraire bien utilisés, donc bien détournés aussi… Avec des dialogues serrés, et un dessin attachant. Un dessin souple, souriant, un graphisme qui ne s’attarde que très peu sur les décors pour laisser la place centrale aux personnages. Avec, comme toujours chez Di Sano, un vrai sens du mouvement.

Rubine 14 © Editions du Tiroir

Et même si je peux déplorer quelques fautes d‘orthographe, je ne peux que faire part, ici, du plaisir qui a été le lien à retrouver la rousse Rubine en action… Dans un livre qui nous fait découvrir, en arrière-plan, la pauvreté amoureuse, dans notre société, de bien des gens, des femmes et des hommes appartenant à toutes les classes sociales…

Ce que j’ai aimé, aussi, c’est qu’aucune de ces femmes « honteusement trompées » ne porte de jugement sur celui qi les a trahies, et que les auteurs eux-mêmes se refusent à juger ces quelques paumées de l’existence, avides seulement de rêves auxquels donner vie.

C’est de la bonne bd populaire, bien faite, agréable à lire et à regarder. C’est un retour gagnant, sans aucun doute ! Un vrai petit plaisir de lecture… Et comme nous vivons une époque dans laquelle les plaisirs et font rares, profitons-en !

Jacques Schraûwen

Rubine : 14. Serial Lover (Deqssin : François Walthéry et Bruno Di Sano – scénario : Mythic – couleurs : Stibane – éditeur : éditions du tiroir – 48 pages – mars 2021)

https://www.editions-du-tiroir.org/

Rubine 14 © Editions du Tiroir

Rorbuer

Rorbuer

Prix de la Fédération Wallonie Bruxelles de la première œuvre en BD – Un avis mitigé !

C’est à un livre à l’accès très particulier que ce prix a été remis… Un livre très éloigné de tous les codes traditionnels de la bande dessinée. Un véritable « Objet Dessiné Non Identifiable »…

Rorbuer © Super Loto Éditions

Quatre chapitres… Une cinquantaine de planches totalement muettes… Une narration qui, à aucun moment, ne se veut facile… Des couleurs essentiellement chaudes dans lesquelles les personnages non identifiables se perdent et semblent s’immerger… Des symboles inconnus dans lesquels, malgré tout, on retrouve des thèmes universels, celui de la mort, celui de l’ailleurs… Des dessins aux traits le plus souvent absents… Des passants qui, tous, semblent être les copies les uns des autres… Un graphisme qui paraît presque imposé au papier par des mains enfantines…

C’est vraiment à un album étrange que ce prix a été décerné, il faut l’avouer. Et pour comprendre un tant soit peu ce que ce livre nous raconte, ou essaie plutôt de nous montrer, il faut attendre l’ultime page, sur laquelle Aurélie Wilmet nous donne la signification des quatre intitulés des chapitres de cet album.

Rorbuer © Super Loto Éditions

Et on comprend alors qu’on ne se trouve pas uniquement en présence d’un exercice de style quelque peu narcissique, et assez fort, également, hermétique.

Tout se déroule dans le Nord de l’Europe, en Norvège peut-être.

Tout se concentre sur un mysticisme quotidien au cœur du quotidien d’un village perdu loin de tout, loin de tous.

Mourir en mer, pendant la pêche, ce n’est, pour la foi et la tradition des habitants de ce lieu, qu’un passage de l’âme qui, le corps étant noyé, se mêle à des bancs de poissons pour pouvoir, un jour, un instant, traverser le monde des apparences, celui du deuil, et se plonger dans l’univers du brouillard.

Je parlais de symboles, ils sont nombreux… La mer, bien entendu, celle dont Baudelaire disait qu’elle était la compagne essentielle de l’Homme. La mer qui, par allitération, devient la mort, s’éloignant ainsi de l’habitude poétique de mêler mort et amour. Il y a un chat, que l’on pend, que l’on éviscère, comme pour contrer la possession, par les poissons que l’on sèche, de l’âme du défunt. Il y a des loups, et leurs libertés, ponctuées, dans ce livre, par leurs regards.

Rorbuer © Super Loto Éditions

Je dois faire un aveu. Devant ce livre, je suis comme « Les Bidochon » devant un tableau abstrait : « est-il beau ou pas, est-il fini, le titre n’aide en rien la compréhension, y a-t-il quelque chose à comprendre ? » !

Il y a une chose dont je suis certain, pourtant, c’est que ce livre, ce premier livre est à la fois très ambitieux dans sa thématique et très minimaliste dans sa forme et que, de ce fait, il ne pourra séduire, malgré la récompense obtenue, qu’une frange très limitée des lecteurs de bande dessinée.

Cela dit, il n’est pas désagréable du tout de se balader dans les planches de ce livre sans chercher à les comprendre, de se laisser entraîner, en quelque sorte, par une promenade colorée dans un graphisme muet et refusant de se laisser appréhender par l’esprit. Il y a une part d’abstraction, il y a une part aussi de refus de tout lyrisme, de toute explication… Il y a de la part de l’auteur, surtout, une volonté presque adolescente de se couper de tous les passés de l’art que, pourtant, elle veut pratiquer, celui que l’on dit neuvième.

Ce genre de bande dessinée, ce n’est pas, selon l’expression consacrée, ma tasse de thé, loin s’en faut ! Je reconnais cependant que ces « recherches » expérimentales ont une utilité, celle de dépasser les limites des habitudes de la création. Mais je reste persuadé qu’une bande dessinée, quelle qu’en soit la technique, se doit d’aller vers le lecteur et de ne pas attendre qu’il fasse seul l’effort de comprendre, donc de pouvoir apprécier, aimer ! Et ici, force est de reconnaître qu’il y a, à mon avis, rupture dans cet échange-là, primordial dans toute création littéraire et/ou graphique…

Rorbuer © Super Loto Éditions

Un livre intéressant, donc, pour les curieux, pour celles et ceux qui ont envie de découvrir ce que le mot « modernité » signifie, dans la bande dessinée, avec son lot de ruptures volontaires (et brutales…) avec la tradition… Un livre qui, indéniablement cette fois, montre que l’auteure a un vrai talent de dessinatrice, et que, peut-être, c’est ce talent, perdu dans les méandres d’un non-récit, que ce prix a couronné… C’est mon avis… Et je l’espère « juste », parce que, sinon, ce serait la preuve, une fois de plus, que les prix officiels, à Bruxelles comme à Angoulême, oublient que la réussite de toute création dépend aussi, et surtout peut-être, des lecteurs !

Jacques Schraûwen

Rorbuer (auteure : Aurelie Wimet – éditeur : Super Loto Éditions – une cinquantaine de pages – sortie : novembre 2020