A quelques jours du « Quai Des Bulles » en une ville où se balader et toujours un plaisir, je vous invite à vous plonger dans une bd qui nous raconte cette cité bretonne !
Saint-Malo… Son Histoire, ses légendes, ses héros, ses « petites gens » aussi… C’est tout cela que Pascal Bresson nous permet de découvrir, avec l’aide de sept dessinateurs, en un album qui se construit en neuf tableaux.
Des tableaux, oui, comme au théâtre, puisque le fil rouge, l’élément narratif conducteur de ce livre, c’est un personnage qui, du haut de ses tréteaux, théâtralise le récit qu’il nous fait de quelques époques clés de l’Histoire de Saint-Malo.
Robert Le Corsaro, épique acteur, se balade et nous balade ainsi entre mythes et réalités, au gré de l’Histoire et de ses imaginaires. Il nous raconte une ville, de siècle en siècle, de guerre en guerre, de roi en roi, de révolution en empire. Et, ce faisant, c’est un large panorama qu’il nous propose d’un lieu mythique, en effet, et de ses habitants, et, donc, d’une part importante du patrimoine de la France, de la Bretagne, de tous nos souvenirs d’enfance et de ses rêves d’aventures corsaires.
Robert Le Corsaro, le théâtreux, est un guide. Et la visite à laquelle il nous convie commence à la préhistoire avec celui qui fut peut-être l’aïeul de tous les habitants de cette cité. Il nous mène ensuite dans les rapines des Vikings et la sauvegarde de reliques sacrées. Et puis, c’est l’invasion anglaise, l’apogée du commerce, des chiens comme protecteurs des biens et de la cité. C’est aussi un incendie terrible, c’est le célèbre Duguay-Trouin, la révolution française et la Terreur, Surcouf, la guerre 40-45…
Ce livre, c’est de la bonne bd à la fois historique et à la fois soucieuse de nous montrer comment vivaient réellement les habitants de Saint-Malo aux quotidiens de leurs histoires.
Mais c’est aussi un livre didactique, puisque des petits textes qui n’ont rien de pédant introduisent, historiquement parlant, chacun des tableaux-chapitres.
Et puis, c’est un vrai plaisir que de pouvoir se plonger dans les dessins de Fino, de Rollin, d’Antoane, de Michaud, etc.
Enfin, c’est un livre qui, mieux qu’un guide officiel, nous donne l’envie d’aller dans la cité de Saint-Malo pour la découvrir, la redécouvrir, et s’y perdre au long des ruelles dans lesquelles chaque pierre se révèle, finalement, véritablement patrimoniale.
Jacques et Josiane Schraûwen
Saint-Malo – De la préhistoire à nos jours (scénario : Pascal Bresson – dessins : divers auteurs– documentaires : Béatrice Merdrignac – éditeur : petit à petit – avril 2023 – 80 pages)
Depuis quelques années, les biographies sont nombreuses, en bd… Toutes ne sont pas intéressantes, loin s’en faut ! Mais l’approche de la vie de Simenon par Rodophe et Maucler est une vraie réussite !
Bien entendu -et heureusement- les auteurs de cet album n’ont pas eu l’ambition de raconter toute l’existence de Georges Simenon ! Ils le suivent de son adolescence jusqu’aux années 30, plus simplement, plus calmement. Ce qui fait de ce livre un récit tout en linéarité et dans lequel toutes les qualités et les réalités de Simenon sont présentes, à l’état de rêve d’avenir, d’abord, de réalisations de cet avenir, ensuite.
Pour tout savoir sur cet écrivain liégeois aux nombreux romans de toutes sortes, on peut se plonger dans ses propres « mémoires intimes », un livre passionnant de plus de 1.100 pages. Un livre passionnant, oui, et passionné, puisque Georges Simenon y parle de tout, et énormément de son « amour » physique des femmes.
Et dans cette bande dessinée-ci, Rodolphe ne s’est évidemment pas privé de parler de ce besoin charnel de Simenon… Et Maucler de le mettre, ici et là, en images… S’ils le font, ce n’est pas pour une raison « érotique », mais parce que, de manière évidente, cet attrait qui tourna presque à l’obsession est un des axes importants de tout ce qui a poussé Simenon à vouloir être célèbre.
Oui, devenir célèbre… Comme jeune, très jeune journaliste, découvrant à Liège des quotidiens professionnels sortant incontestablement des sentiers battus pour trouver refuge dans des alcôves accueillantes. Comme écrivain, ensuite, sous différents pseudonymes, de romans de toutes sortes dont le seul but était de gagner sa vie. Comme écrivain reconnu, enfin, avec la création du flic le plus connu de toute l’histoire de la littérature policière francophone. Eh oui, je suis persuadé que ce n’était pas la fortune qui l’intéressait, mais ce que cette fortune et cette célébrité pouvaient lui apporter. Les femmes, d’abord… Son épouse, mais bien d’autres, pour des relations dans lesquelles le sentiment n’avait habituellement pas lieu d’être. Sauf, sans aucun doute, pour la passion qu’il a réellement ressentie pour Joséphine Baker.
Rodolphe et Maucler se sont plongés avec un vrai plaisir tangible dans l’existence de cet écrivain exceptionnel à la vie tout aussi exceptionnelle… Par ses amours, par ses folies, par ses voyages, par sa manière d’écrire, par l’impudeur de ses mémoires, par l’intérêt qu’il a eu pour tous les pays traversés non en touriste mais en écrivain sachant que ces ailleurs allaient un jour se retrouver dans ses écrits.
Ce fut le cas, par exemple, avec l’étonnant et visionnaire « L’Heure du Nègre », relatant ses mois passés en Afrique, dans les années trente, et prévoyant qu’un jour l’Afrique allait s’appartenir et refuser l’homme blanc…
Mais je m’égare, là…
Rodolphe ne rentre pas dans ces détails. Comme je le disais, il a voulu, s’inspirant avec intelligence des mémoires de Simenon, tracer dans son scénario une trajectoire humaine hors du commun, sans aucun jugement ni qualitatif ni moral. Une trajectoire qu’il a voulue sans apprêts, suivant un plan d’écriture pratiquement journalistique.
Il nous parle d’un homme appartenant à une race étrange, celle de l’écriture. Son scénario, de ce fait, s’éloigne totalement de la manière qu’il a de nous raconter les aventures de son personnage phare, le Commissaire Raffini, flic pour lequel l’influence du Maigret de Simenon est, me semble-t-il, indéniable.
Avec son complice (pour Raffini également…) Maucler, Rodolphe nous trace le portrait d’un homme, bien sûr, mais aussi, historiquement, d’une époque… Des années pendant lesquelles un garçon se faisait déniaiser chez les « petites femmes »… Des années qui virent s’affronter, en Belgique aussi, le catholicisme et le monde ouvrier… Des années pendant lesquelles le talent et le culot n’avaient nul besoin de diplôme pour se faire (re)connaitre…
Ces deux auteurs nous parlent de jeunesse, une jeunesse que Simenon, à sa façon, n’a jamais voulu quitter. Ils nous parlent de l’Art, de l’ivresse, de l’extase, celle d’écrire aussi, ils nous parlent de ces rencontres qui, sans en avoir l’air, forgent une existence. Une existence dans laquelle l’imagination et le fantasme se sont révélés à l’aune du réel.
Et il faut vraiment souligner le travail de Maucler, avec un dessin qui laisse la part belle aux visages, aux expressions, avec un graphisme qui, en grande partie, n’utilise que très peu la force des décors, avec un sens profond de la couleur et des variations de la lumière.
Simenon est et sera toujours, sans doute, à la mode.
Pour preuve, cette collection de chez Dargaud s’intéressant aux « romans durs » qu’il a écrits en parallèle de ses Maigret.
Parmi les albums de cette série, il y a « Le Passager Du Polarys », de José-Louis Bocquet et Christian Caillaux.
Le dessin, d’un style très personnel, et rendant compte avec beaucoup de talent de la vie sur un bateau, est intéressant… Mais le scénario, lui, n’a pas réussi à m’accrocher, tant les personnages (dans le texte comme dans le dessin d’ailleurs) et les péripéties dont difficiles à différencier les uns des autres. Il y a trop de raccourcis, trop de non-dits, et la construction de ce livre demande, à mon avis, de relire le roman originel pour « comprendre ». Ce qui, finalement, n’est pas une mauvaise idée !
Mais ce n’est pas le cas avec « Le Roman d’Une vie »… Une excellente bande dessinée, fouillée sans être pesante, et dont le personnage central, pas toujours sympathique, nous devient pourtant proche… Un livre à lire par tous les amoureux de l’œuvre de Georges Simenon !
Jacques et Josiane Schraûwen
Simenon – Le Roman D’Une Vie (dessin : Maucler – scénario : Rodolphe – éditeur : philéas – 109 pages)
Avec un titre qui ressemble presque à une prière, à un aphorisme, un album étonnant et tragique…
Un aphorisme, oui, une vérité que l’être humain a tendance souvent à trop oublier. Et dès ce titre, on comprend qu’on va pénétrer dans une bande dessinée dans laquelle la mort sera le personnage central… Ou, en tout cas, l’axe autour duquel l’histoire racontée va s’agencer… Les héros ou anti-héros de ce récit, fortement ancré dans la grande Histoire, vont mourir, on le sait, et, malgré tout, on se prend à se passionner pour leur aventure humaine et terrible…
La guerre de sécession s’est terminée… Mais restent encore bien des criminels de guerre à arrêter, à juger, à condamner, à pendre haut et court. Des deux côtés, d’ailleurs, de cet affrontement civil et militaire dont les buts n’étaient pas uniquement la fin de l’esclavage… Les gagnants, les nordistes, assiègent le repaire de William Quantrill, un tueur sudiste bien plus qu’un simple militaire. Parmi les assiégeurs, Meadows, un noir… Parmi les assiégés, Blackwood, un blanc… Entre eux deux, il y a un passé qu’on devine… Une haine… Un besoin de vengeance…
Mais voilà, la vie en décide autrement, et ces deux ennemis vont être obligés, pour survivre à des prospecteurs qui les enchaînent l’un à l’autre, à des Peaux-Rouges soucieux d’une gloire que les blancs leur ont volé, à un ours gigantesque, à une nature de plus en plus hostile, qui semble vouloir reprendre le pouvoir sur le vie, pour survivre, ces deux antagonistes vont être obligés, oui, de s’aider… Et, ce faisant, de se découvrir l’un l’autre tels qu’ils sont et pas tels que la guerre les a forgés.
Le thème de cette bd fait penser à l’un ou l’autre film… « Duel dans le pacifique », avec Lee Marvin, mettant en scène, sur une île, un militaire américain et un militaire japonais. Ou aussi, de manière encore plus évidente, « La Chaîne », avec Sydney Potier et Tony Curtis.
En fait, les thèmes abordés dans ce livre sont universels. J’ai souvent dit que le western est le vecteur le plus tragique pour raconter les réalités et les dérives de la vie et de la mort.
Oui, je pense vraiment que les bons westerns sont, classiquement, des tragédies : on y parle de la violence des sentiments et des gestes, on y voit se démesurer les haines et les angoisses, on y voit fleurir sur les tombes du silence les bruissements du pardon ou de l’ultime condamnation. Dans un western, comme chez Racine ou Corneille, on parle d’enfers et de paradis à taille humaine.
Ce livre est donc une tragédie ! Comment pourrait-il en être autrement quand on aborde, intelligemment, le sujet du racisme et de la guerre, le tout orchestré par la mort ? Le scénariste, Dobbs, connaît son boulot, il sait raconter une histoire dont on comprend la fin, dès le début, dès le titre, et il le fait sans atténuer l’intérêt du lecteur, de bout en bout. Le dessin de Nicola Genzianella est d’un beau classicisme, avec un vrai travail sur les ombres et les lumières, sur les visages aux angles marqués par la vie, avec une approche très cinématographique de la perspective, aussi. Et la couleur de Claudia Palescandolo a une présence très forte, très puissante, mais qui parvient à ne rien estomper de la richesse graphique du dessinateur.
C’est un livre très sombre, dans son sujet comme dans son dessin. Mais avec, tout à la fin, une véritable éclaircie, comme un sourire improbable qui ose pourtant se révéler : sur la tombe d’un passé révolu, deux enfants peuvent apprendre, peut-être, à découvrir le sens du mot amitié…
Jacques et Josiane Schraûwen
Souviens-toi que tu vas mourir (dessin : Nicola Genzianella – Dobbs – couleurs : Claudia Palescandolo – éditeur : Glénat – janvier 2023 – 56 pages)