La Sève

La Sève

Cinq nouvelles sensuelles, charnelles, À RÉSERVER À UN PUBLIC ADULTE !

L’érotisme, même le plus direct, fait partie de la vie. Donc aussi de la culture, et, évidemment, de la bande dessinée ! la Sève, c’est une multiplication de rêves, de fantasmes, tous centrés sur les intimes moiteurs de la féminité…

« L’emmerdant dans la morale », disait à peu près Léo Ferré, « c’est que c’est toujours la morale des autres ! » !

La Sève © Glénat

Ne soyons pas bégueules… Ne renions pas ce que sont nos réalités, nos rêves, nos fantasmes, ces jeux de l’âme et du corps qui font de nous des êtres vivants, capables de désir, donc d’amour, donc d’humanité !

Dès les débuts de la bande dessinée, comme dès les débuts du cinéma d’ailleurs, la nudité est devenue un symbole de la non-appartenance à la bienséance politiquement correcte. Dans les années du début du vingtième siècle, aux Etats-Unis, on a vu apparaître, sous le manteau, des petits strips pornos souvent très mal dessinés, mais qui mettaient en scène, en quelques dessins, des vedettes de l’écran…

Les livres de LO DUCA (Luxure de Luxe par exemple), à ce titre, sont des études essentielles dans le cadre de l’histoire de la bande dessinée, de toutes les formes de bandes dessinées !

Chaque culture, certes, a sa propre notion de ce qu’est l’érotisme. Les mangas, même à destination de la jeunesse, usent de codes érotiques évidents, sages sans doute, mais bien présents, dans les gestes, les habillements.

Dans le neuvième art belgo-français, les pastiches pornographiques, comme chez les Américains, n’ont pas attendu les années 60 et 70 pour exister. Mais c’est dans les années 60, avec des bandes dessinées comme BARBARELLA de Forest, que l’érotisme, peu à peu, a assiégé les bonnes mœurs, à coups de censure souvent, jusqu’à devenir une part visible de l’univers de la bande dessinée.

Il y eut dès lors trois courants distincts mais parallèles. L’érotisme, d’abord, soft, poétique, tout en sensations, en nuances, comme chez BARBE. La pornographie, ensuite, sans tabous, avec des auteurs comme PICHARD, comme LEVY, et des maisons d’édition soucieuses parfois plus de rendement que de qualité. Et le troisième courant, plus difficile, est celui qui essayait, et essaie encore, de mêler à la fois le dessin précis, X, des réalités sexuelles et le velours d’un scénario érotique et sensuel.

La Sève © Glénat

C’est dans cette troisième forme de bande dessinée adulte qu’il faut placer, sans aucun doute, « La Sève », un album contenant 5 courtes histoires résolument hard tout en laissant la place au rêve, à l’idée, à l’évocation.

Cinq « nouvelles dessinées » font tout le contenu de ce livre. Cinq histoires qui, toutes, nous parlent de l’amour charnel et de ce qui, physiquement, en fait la vérité : les féminines sèves.

LE RUISSEAU aborde, en même temps, la tendresse de l’amour au féminin et le fantasme d’une petite rivière de jouissances intimes intimement mêlées.

CRÈME est l’histoire d’une boulangerie qui attire bien des clients, de par des recettes qui mêlent plaisir et pâtisserie, chair et chère.

CIME nous dévoile ce que pourrait être un avion dans une compagnie où les stewards et les hôtesses de l’air n’hésitent jamais à donner de leur personne.

ESSENCE est une histoire totalement muette, dans laquelle les regards se font amoureux, dans laquelle l’amour se fait partage, dans laquelle le partage se fait osmose.

La Sève © Glénat

Et, enfin, l’ultime histoire, LAC, muette elle aussi, nous immerge totalement dans la thématique de l’album : le translucide du désir, les vagues du plaisir, et la nature et l’eau de la vie se confondant pour une poésie de gémissements et de libertés libertines…

Les femmes, vous l’aurez compris, sont l’élément moteur et central de ce livre. Mais on ne se trouve pas chez Manara ! Par le dessin, d’abord, qui n’évite pas certaines maladresses. Par la volonté, aussi, de la part de l’auteur, Chéri, de ne pas se mettre au service de canons de la beauté classique. La boulangère de la deuxième histoire est pulpeuse, et bien d’autres femmes croisées dans ce livre sont autre chose que de simples bimbos.

Il est de bon ton, de nos jours, de condamner tout ce qui ose, de près ou de loin, contrevenir à une tendance moralisatrice qui prend de plus en plus de place dans notre société.

« La sève » passera sans doute, auprès de pisse-vinaigre (non genrés…), pour sexiste, discriminatoire, je ne sais quoi encore !

La Sève © Glénat

C’est une bd érotique, « cochonne », pas plus, pas moins… Comme l’ont été des textes de La Fontaine, de Verlaine et Rimbaud, de bien des écrivains reconnus comme Aragon…

C’est un livre de fantasmes, tantôt très hard, tantôt extrêmement poétiques.

C’est un livre de plaisir, tout simplement, à réserver aux adultes, un livre pour passer le temps en souriant de l’âme et du corps dans un monde qui devient sans doute bien trop sage !

Jacques Schraûwen

La Sève (auteur : Chéri – éditeur : Glénat – collection Porn’pop – 172 pages – février 2021)

La Sève © Glénat
Sous Terre

Sous Terre

Science et Fiction !

La bande dessinée, de nos jours, aime s’ouvrir à des horizons très variés. C’est le cas avec ce livre de Mathieu Burniat qui, sans moralisme, nous parle d’écologie.

Sous Terre © Dargaud

Un peu de science au rendez-vous de la bande dessinée, au travers d’une bd étonnante de Mathieu Burniat. Cet auteur belge aime nous emmener dans des histoires qui nous parlent à la foi de science et d’aventure… Il nous a déjà ainsi parlé de théorie quantique, de la mémoire et de ses apprentissages, mais dans des vraies aventures humaines ! C’est une démarche identique qui est présente dans cet album-ci. Au-delà d’une fiction évidente, Burniat nous parle d’enjeux essentiellement humains. Et c’est cette dualité du propos qui rend ce livre réellement passionnant.

Mathieu Burniat : le scénario
Sous Terre © Dargaud

Hadès, dieu des enfers, veut passer la main, il veut prendre du bon temps et se cherche un remplaçant. Il passe une petite annonce qui recueille quelques centaines de réponses. Commence alors un concours au bout duquel un seul candidat pourra devenir dieu des enfers et de toutes ses richesses ! Pour cela, cinq épreuves sont à réaliser dans un univers qui se trouve dans les deux mètres de terre qui existent sous nos pieds…

Mathieu Burniat : le sol

Et donc, aujourd’hui, c’est du sol qu’il nous parle, mais à taille d’homme en quelque sorte.

Il s’agit d’une vulgarisation scientifique donc, mais d’une fiction, d’abord et avant tout… Une fiction pleine de symboles, construite comme une fable, peuplée d’allégories, aussi.

Sous Terre © Dargaud

Les candidats ne mesurent que quelques millimètres et vont devoir recueillir cinq éléments : la matière organique, la matière minérale, le milieu aqueux, l’atmosphère et, le tout ensemble, la vie, tout simplement. Cela ressemble à un « trivial pursuit » en live, mais la lutte va être sévère, mortelle pour tout le monde, sauf pour la gagnante, Suzanne, qui va se révéler d’une tout autre trempe que le vieil Hadès !

Mathieu Burniat : bd et vulgarisation scientifique

Le récit est passionnant, plein de rebondissements, de vulgarisation scientifique pointue et ludique en même temps. Entre les vers, les champignons et les bactéries, Mathieu Burniat fait du sol un terrain de jeu inattendu ! Pour lui comme pour ses lecteurs… Et, ce faisant, il nous parle aussi, surtout peut-être, et plus loin qu’un simple message écologique, de valeurs que l’humanité devrait retrouver, comme la symbiose, l’échange, la culture de la différence, l’union des faiblesses qui peuvent se révéler des forces neuves.

Mathieu Burniat : la symbiose…

C’est une bande dessinée très particulière… Ecologiste dans le sens scientifique du terme, sans pédanterie. On s’amuse, on apprend à connaître notre monde pour ne plus en avoir peur, pour mieux s’en faire un allié. Un excellent livre, jamais moralisateur, pour tous les âges, sans aucun doute !

Sous Terre © Dargaud

Un livre dans lequel l’humour ne manque pas. Dès le départ, d’ailleurs, le personnage central choisi pour donner des conseils de vie à l’humanité, c’est le dieu des enfers… Comme pour nous dire, le sourire aux lèvres, qu’entre l’enfer et le paradis la frontière est bien floue !

Mathieu Burniat : Hadès, dieu des enfers

La science reste cependant bien présente, avec, en fin d’album, quelques pages pour nous montrer ce qu’est, d’une manière presque didactique, de nos jours, l’agriculture, ce qu’elle pourrait aussi devenir si nous, humains, nous acceptions de faire de la nature une compagne à respecter… C’est d’harmonie, en fait, que nous parle Burniat tout au long de ce livre…

Jacques Schraûwen

Sous Terre (auteur : Mathieu Burniat – conseiller scientifique : Marc-André Selosse – éditeur : Dargaud – 175 pages – mars 2021)

Sous Terre © Dargaud
S.O.S. Bonheur

S.O.S. Bonheur

Mea Culpa : Jean Van Hamme peut aussi se révéler un excellent scénariste !

Un livre à relire, à tout prix ! Un regard d’hier sur un avenir qui semble ressembler de plus en plus à notre présent !…

S.O.S. Bonheur © Dupuis

J’ai ici, en chroniquant le dernier livre scénarisé par Jean Van Hamme (La fortune des Winczlav), donné mon avis (sévère selon certains) quant aux thématiques de ses récits… Je ne change pas d’opinion, mais je me dois cependant de reconnaître que la plupart de ses histoires m’ont plu, le temps, en tout cas, de quelques épisodes… Les séries interminables dont il est coutumier me paraissent, ne vous en déplaise, répétitives et lassantes… Mais Van Hamme a un talent de raconteur, c’est vrai ! Mais il a aussi une obsession du pouvoir sous toutes ses formes, c’est également vrai !

Cependant, il m’est venu l’envie de me replonger dans ses anciennes bandes dessinées, pour justifier mon avis peut-être, pour pouvoir, surtout, le peaufiner… Et c’est en lisant le premier « S.O.S. Bonheur » que je me suis souvenu de l’effet que cet album avait eu à sa sortie…

Il y avait d’abord ce moyen narratif étonnant, à l’époque : ne pas choisir, comme fil conducteur, des personnages, mais un monde, une société. Et, en quelques nouvelles dessinées, montrer le poids de cette société sur le quotidien des gens, des gens comme vous, comme moi…

S.O.S. Bonheur © Dupuis

Certes, Jean Van Hamme s’intéressait là, déjà, au pouvoir, à l’ambition. Mais il le faisait alors en se plaçant, ouvertement, du côté des « opprimés », avec un sens extrêmement pessimiste de l’existence. Il évitait aussi ce qu’il a, par la suite, utilisé jusqu’à l’usure : la violence gratuite et « voyeuse », le sexe inutile, les héros dont les failles ne sont que broutilles en regard de leurs qualités !

« S.O.S. Bonheur », c’était, en 1988, un album qui se démarquait totalement de tout ce qui existait, à l’époque, dans la bd de SF populaire, ouverte à toutes et à tous… C’était un ensemble de petites histoires qui étaient toutes le constat d’un monde au totalitarisme accepté par tout un chacun.

C’était un album dans lequel les personnages se débattent plus qu’ils ne se battent, humains, d’abord, face à un monde déshumanisant, déshumanisé.

Et là, face à ce livre dont je n’avais pas une grande mémoire, je n’ai pu que comprendre combien le regard de Jean Van Hamme pouvait se révéler à la fois visionnaire et subversif, politiquement incorrect en tout cas.

Visionnaire, oui…

Ne nous y parlait-il pas d’une « carte universelle », comprenant toutes les données individuelles de son possesseur ?

Ne nous décrivait-il pas une société occidentale dans laquelle les libertés individuelles n’existent plus ?

Ne nous y montrait-il l pas un monde dans lequel le pouvoir, absolu, est aussi, surtout peut-être, sanitaire ? La santé des citoyens, dans le monde dont nous parle Van Hamme, est éminemment politique ! Comme le disait un politicien bruxellois il y a quelque temps, il s’agit, dans le monde politique que Van Hamme nous montre, de faire le bonheur des gens même contre eux !

S.O.S. Bonheur © Dupuis

« S.O.S. Bonheur », ce n’était pas de la science-fiction, c’était de l’anticipation, de la meilleure veine, comme chez Asimov, Andrevon ou Bradubury avec son « Fahrenheit 451 ».

« S.O.S. Bonheurs », c’est de la toute grande bande dessinée, essentielle, importante, aujourd’hui plus que jamais sans doute. Et c’est à la fois la preuve du talent de raconteur d’histoires de Van Hamme et de sa qualité humaniste quand il réussit à s’écarter des seules recettes qu’il a (trop) largement utilisées depuis…

Jacques Schraûwen

S.O.S. Bonheur (dessin : Griffo – scénario : Van Hamme – éditeur : Dupuis – six tomes réédités en intégrales)