Une réédition bienvenue !….
La société dite de la culture est quelquefois, souvent même, sans mémoire… Oublieuse d’artistes qui, pourtant, ont eu, non pas leur heure de gloire, mais des moments de partage. C’est vrai dans le septième art, dans la peinture, dans la chanson, et plus encore dans la bande dessinée !
Il est vrai que le neuvième art voit se publier d’année en année des milliers d’albums, sans cesse à la recherche d’un public.
Il est tout aussi vrai que la BD est un monde dans lequel les collectionneurs sont nombreux, et ce sont eux, le plus souvent, qui permettent à des livres anciens de ne pas se perdre au néant de mémoires partisanes…
Et puis, il y a les rééditions, heureusement.
Et quand c’est un auteur qui décide de se lancer dans l’aventure d’une auto-édition, et que cette réédition est une réussite, cela mérite d’être souligné !
Tel est le cas de Léo Beker qui redonne vie à un personnage qui, tout-public, pratiquait avec simplicité l’humour, le regard décalé sur une époque, et le fantastique bon-enfant.
L’existence de cet auteur ne s’est pas cantonnée, loin de là, aux petits mickeys. Ecrivain, illustrateur, collaborateur dans l’univers de l’animation, il n’a cependant jamais renié son petit personnage, Louison Cresson.
Louison Cresson, c’est un gamin des années 50, une époque où la souvenance de la guerre était encore bien présente, bien prenante…
Et ce gamin part en vacances chez son cousin Gaspard, qui, propriétaire un peu allumé d’un vignoble, se bat contre vents et marées pour faire un vin exceptionnel.
Sur le quai de la gare, ce gamin fait la rencontre d’u savant japonais qui collectionne les plaques d’égout.
D’autres personnages apparaissent au fil des pages : des voisins indiscrets qui font penser à la voisine de la série « Ma sorcière bien aimée », une inspectrice viticole… Et, surtout, des fantômes, ceux des moines qui ont vécu dans la propriété de Gaspard ! Et pour que ce dernier puisse faire son vin, il va falloir réussir à ce que le fantôme du Père Abbé foule à nouveau les raisins, comme il le faisait de son vivant.
Tous plus farfelus les uns que les autres, à commencer par Louison lui-même qui a le don de comprendre toutes les langues sans savoir les parler, ces personnages vivent dans une époque bien précise, et c’est aussi, au-delà du scénario endiablé, la grande qualité de cet album.
Nous sommes au milieu des années 50. La guerre est certes terminée, mais il en reste des rancunes tenaces, des jugements à l’emporte-pièces. Il en reste aussi une situation politique compliquée, avec une idéologie communiste qui fait plus que lorgner sur le pouvoir. Il en résulte aussi la présence de militaires américains, un peu partout, et, avec eux, un son nouveau, celui du Rock. Un rock que Boris Vian et Henry Salvador, à Paris, vont pasticher avec génie…
Cette époque est présente, totalement, dans cet album, dans les décors, dans les dialogues, mais aussi jusque dans la constriction elle-même des planches…
On n’est pas loin, par exemple, de l’art muet que Jacques Tati illustrait au cinéma. On n’est pas loin non plus de ce qui fleurissait dans les journaux, à l’époque, des strips de bas de page (professeur Nimbus, etc.)
Le dessin de Beker est précis, fouillé, et le gaufrier classique de la bd belgo-française lui va à merveille. C’est un dessin de mouvement, mais c’est aussi un dessin qui, même muet en plusieurs pages, parvient à rester tout le temps souriant.
Le seul bémol que j’aurais, c’est que je trouve, personnellement, la couleur trop criarde.
Mais dans l’ensemble, c’est le plaisir qui est au rendez-vous avec ce livre. Plaisir nostalgique d’une époque pendant laquelle la bd ne se prenait pas au sérieux ? Sans doute… Plaisir, surtout, de redécouvrir une série oubliée, un dessinateur qui, pourtant, a fait les belles heures du journal Spirou.
La bande dessinée, la bonne, c’est aussi cela : ne pas renier ce qui a permis, en d’autres temps, à ce média de devenir réellement un art populaire !
Jacques Schraûwen
Les Tribulations de Louison Cresson : 1. Rock’n Roll à Pied-L’Abbé (auteur : Léo Beker – éditeur : Léo Beker – 2021 – 48 pages)