Dessins d’humour, dessins d’amour, une Bretagne tout en tendresse !
Auteur de BD, avec à son actif un excellent Nestor Burma, entre autres, François Ravard est aussi, et surtout peut-être, un amoureux de la mer… Celle de Normandie, qui a vu son entrée dans le monde, celle de la Bretagne dans laquelle il s’est immergé depuis…
Ce n’est pas un album de Bande dessinée…
C’est une suite tranquille de dessins qui rendent hommage, avec le sourire, à la présence de la mer, à la beauté de la Bretagne, à la douce folie de celles et ceux qui s’y arrêtent, qui s’y attardent, le temps d’une vie, d’un moment d’enfance ou d’un rapide tourisme…
Il y a de ces dessinateurs qui peuvent, sans un mot, rien que par la magie du trait et de la couleur, nous emmener dans des rêveries, dans des souvenances, dans des simples plaisirs, rapides, essentiels, nourris de sourires.
Dans des styles très différents, je peux citer Topor et Sempé… Ou le très, trop oublié André François.
C’est dans leur lignée, dans leur famille qu’on peut inscrire ce livre et son auteur, François Ravard.
Il ne nous montre pas la Bretagne. Il nous montre la mer, la plage, les gens… Son regard, au travers de ses aquarelles lumineuses, est celui du sourire attendri, pas celui de l’humour caricatural. Ses instantanés nous racontent l’amour, avec une sorte de tendresse qui évite toute caricature… Même en nous dessinant des « humains » que d’aucuns auraient transformés en tristes beaufs, il reste gentil, il reste admiratif de la vie, sous toutes ses formes, ému par la puissance d’émotion que chaque individu recèle, au-delà de tout ridicule !
J’ai adoré, ainsi, son « Flamand rose », avec une faute d’orthographe qui n’en est pas une…
En ces heures où le monde, ici, là, partout, semble perdre la boule, en ces temps où les révoltes grondent avant d’être écrasées dans le silence général de l’intolérance, un livre comme celui-ci fait du bien… Attention, ne me faites surtout pas dire ce que je ne dis pas ! Ce n’est pas un album « feel-good », genre à la mode qui me hérisse l’intelligence ! Rien de snobinard, rien de bobo chez François Ravard . Mais un plaisir, simple, qu’il partage avec nous, un plaisir et un talent. Et c’est énorme !
Jacques Schraûwen
Vague d’Amour (auteur : François Ravard – éditeur : Glénat – juin 2021 – une cinquantaine de dessins)
C’est une bd pour adolescents, et qui parle d’adolescence. Au départ, il y a des romans de Catherine Girad-Audet, et puis une série télé, et donc aussi une adaptation en bd. Une dizaine d’albums est déjà parue, mais les éditions Kennes ont aujourd’hui eu l’idée de « remaquetter » le premier épisode de cette série. Pour de nouveaux lecteurs, avec une couverture qui reprend les acteurs des épisodes télé.
Et donc, on reprend tout de zéro…
Au début de cet album, Léa déménage et s’en va pour Montréal, abandonnant Marilou, sa meilleure amie, et Thomas, son premier amour. C’est un déchirement, et ce l’est encore plus quand elle se retrouve dans cette cité qui cache dans ses entrailles une vraie ville souterraine. Elle se sent perdue. Il y a les cours d’anglais, il y a les relations difficiles à nouer. Heureusement, il y a les réseaux sociaux, grâce auxquels elle dialogue avec Marilou et Thomas. Mais voilà… Loin des yeux, tout est possible, et ce sont les premiers moments de jalousie, les vraies disputes. Ce livre, c’est le portrait d’une adolescence comme toutes les adolescences. C’est amusant, c’est tendre, c’est sans mièvrerie. Le scénario d’Alcante est parfaitement rythmé, le dessin de Ludo Borecki ne manque pas de charme. Un dessinateur qui, ici, se trouve loin de l’admirable « Tueur de mamans », mais qui garde toujours son talent ! C’est un bon bouquin, pour les ados, et leurs parents…
L’Eléphant
(texte : Marcel Aymé – dessin : May Angeli – éditeur : les éditions de l’éléphant)
Il s’agit ici d’un des contes du chat perché, célèbre œuvre de l’immense écrivain qu’était Marcel Aymé. Des contes dans lesquels on voit vivre dans une ferme Delphine et Marinette, avec leurs parents et des tas d’animaux qui parlent, qui dialoguent… Bien plus que de fantastique, c’est de merveilleux qu’il s’agit, d’un réel qui ressemble à des rêves d’enfant.
Le conte illustré dans ce livre, c’est « L’éléphant ». Delphine et Marinette sont seules à la maison. Il pleut, et elles décident de jouer à l’arche de Noé. Elles invitent donc tous les animaux de la ferme à les rejoindre dans la maison ! Mais il faudrait, pensent-elles, un éléphant pour que le jeu soit vraiment intéressant ! Et c’est une petite poule blanche qui accepte de devenir cet éléphant… De le devenir vraiment… Et tout peut alors arriver !
Ce n’est pas de la bande dessinée, c’est bien le texte originel de Marcel Aymé, illustré par May Angeli. Une dessinatrice tout en douceur, tout en impressions, avec un travail de gravure sur bois extrêmement joli… C’est une histoire charmante, charmeuse, pleine de sourires, de surprises, avec plusieurs niveaux de lecture, avec une vraie réflexion sur l’importance des jeux de l’enfance. Un très, très joli livre à lire, et qui peut être une très bonne porte d’entrée vers la découverte de tous les contes de Marcel Aymé.
C’est étrange comme on oublie vite, toutes et tous… Les années 70 sont pourtant toutes proches, et la mémoire s’est effacée d’une des dictatures les plus répugnantes du vingtième siècle. Ce livre est là pour réveiller nos mémoires… et nos consciences !
Entre 1975 et 1979, le Cambodge s’est soumis à un régime que les nazis n’auraient pas désavoué, celui des Khmers Rouges.
Comme dans toute dictature, il fallait une personnalisation, et ce fut Pol Pot qui fut l’idole emblématique de cette période violente, inhumaine, déshumanisante, avec l’appui de la Chine de Mao et le silence des Occidentaux.
Sous le nom de « Kamputchea Démocratique », ce fut l’instauration pendant de longues années de l’horreur et de l’arbitraire, de la peur devenue compagne de tous les jours de tout un chacun, de n’importe qui, ce fut la domination idéologique de tout un peuple, avec son cortège d’injustices, de morts, de tueries innommables. C’est étrange comme toute dictature (même celle d’Athènes…) a besoin de se dévoiler derrière le mot « démocratie »… Ou « socialisme » comme en Allemagne hitlérienne… C’est étrange comme les idéologies peuvent ainsi, en peu de temps, prendre le pouvoir sur l’intelligence et l’esprit critique. Et devenir même aux yeux du monde un régime politique acceptable…
Le régime des Khmers Rouges a fait presque deux millions de morts, soit pratiquement un quart de la population du Cambodge.
Et qui, aujourd’hui, s’en souvient encore ?
J’ai un petit côté utopiste je l’avoue, et je continue à croire qu’un livre peut, si pas changer le monde, cependant ranimer quelques mémoires infidèles, expression que j’emprunte à Julos Beaucarne.
Et cette bande dessinée se révèle ainsi, à mes yeux, importante, essentielle. Parce qu’elle nous montre comment des gens normaux peuvent devenir des bourreaux… Sous Hitler comme sous Staline, sous Mussolini comme sous Pinochet, sous Mao comme sous Pol Pot …
Ce livre n’est pas le fruit de l’imagination des auteurs. Il et basé sur un personnage réel… Un peintre qui n’a dû son salut qu’à son talent, un talent qu’il a dû mettre au service de l’imagerie idéalisée du régime de Pol Pot.
Arrêté en 1978, accusé de violation du code moral, Vann Nath se retrouve dans une des pires prisons du Cambodge, à Pnomh Penh.
Là, sans comprendre pourquoi il est arrêté, il ne survit d’abord que par hasard à la torture, aux injures, aux interrogatoires accompagnés de traitements électriques avilissants.
Les auteurs de ce livre restent pudiques quant à ces pratiques inacceptables. Ils ne les montrent, finalement, qu’au travers du texte, qui est construit comme étant dit par Vann Nath lui-même. Mais les mots, parfois, expriment encore plus la douleur qu’un dessin précis ! La douleur et la déchéance, comme quand le personnage principal se réjouit de ne pas être appelé pour un interrogatoire…
Il survit ensuite par la grâce de son talent, par le besoin qu’ont le pouvoir en place et ses gardes chiourmes de donner du chef suprême des images parfaites… Tout comme dans la Chine du grand frère Mao…
Cet album de bande dessinée nous raconte, en fait, plusieurs périodes de l’existence de Vann Nath, le peintre des Khmers Rouges. Son arrestation, son emprisonnement, l’apprentissage de sa peinture, de son talent, sous les ordres de ses bourreaux, la liberté et, plus tard, bien plus tard, dans les années 2000, son combat pour que rien ne s’oublie des tueries desquelles il a été le témoin, indirect ou direct.
Le scénario de Matteo Mastragostino n’a, de ce fait, rien de linéaire, puisqu’il passe d’une période à l’autre, mais il reste cependant totalement lisible. Pourquoi ? Parce que le scénariste a choisi la voie la plus difficile peut-être pour un récit, celle du sentiment, de la sensation, donc aussi de la mémoire. Et cette narration, il en use avec un sens évident de retenue, de pudeur, mais aussi d’efficacité.
Une efficacité qui se révèle totale grâce au dessin de Paolo Castaldi qui évite tous les écueils de ces changements de datation dans le récit grâce à un graphisme tout en grisaille, tout en flou aussi, agrémenté ici et là de touches de couleur, comme pour montrer qu’en toute horreur la couleur, celle du peintre, celle des mots, aussi, et donc des rêves, reste une échappatoire…
Être un bourreau, cela commence par la délation, par la dénonciation, par le besoin, ainsi, de se montrer comme étant un citoyen modèle. Cette délation qui, insidieusement, peut devenir un mode de vie, comme le prouvent certains de nos présents, d’ailleurs…
Être un bourreau, le devenir, c’est perdre toute notion d’empathie, de solidarité, en dehors des normes idéologiques imposées.
Être un bourreau, dans les camps de la mort de la guerre 40-45, dans le stade Santiago du Chili ou dans les camps de Sibérie et d’ailleurs, d’Espagne de Franco, de Portugal de Salazar, c’est oublier tout ce qu’on est, tout ce qu’on a été, et ne plus être qu’un objet consentant aux mains d’un pouvoir qui ne survit, pourtant, oui, que grâce à l’inertie intellectuelle de ses pantins humains…
C’est tout cela que nous raconte, au-delà de la seule réalité cambodgienne, ce livre à l’intelligence aigüe, à l’importance évidente.
Et les dernières pages de cet album nous donnent à voir les tableaux réels de Vann Nath, nés de ses souvenances, de mémoires qu’il nous appartient de ne pas laisser détruire…
Là aussi, il y a une constante dans tous les enfermements arbitraires : à chaque fois, des artistes, dessinateurs comme en Belgique, peintres, poètes, ont voulu, à travers leur art, témoigner. Parce que, finalement, seuls l’art et, donc, la culture au sens le plus large du terme peuvent servir de digues à l’indicible toujours prêt à renaître !
Jacques Schraûwen
Vann Nath (dessin : Paolo Castaldi – scénario : Matteo Mastragostino – éditeur : La Boîte à Bulles – 128 pages – novembre 2020