Les Voyages de Jules

Les Voyages de Jules

Il y a eu Anna, il y a eu Ulysse, et, en compagnie de leurs voyages, il y a toujours eu Jules. Jules qui, dans ce livre somptueux, est totalement central. Un album étonnant qui met en avant deux des plus grands talents du neuvième art : le Belge René Follet et le Français Emmanuel Lepage !

Les Voyages de Jules © Daniel Maghen

Les Voyages de Jules, c’est d’abord un livre impossible à résumer, qui mêle aventures marines et enfouissement dans l’art et dans la littérature. Oui, c’est un album à la fois très graphique et très littéraire. Le tout dans une forme narrative qui n’est pas celle du neuvième art. Pas tout à fait en tout cas… On se trouve dans un texte qui s’ouvre à des illustrations splendides, tout en laissant la place, rarement, à des petits découpages correspondant aux codes du neuvième art.

On se trouve d’abord et avant tout dans un récit, un récit particulièrement construit, même s’il est d’une lisibilité immédiate. Il y a d’abord le rêve, l’imagination et les références littéraires de deux dessinateurs. Il y a, ensuite, la mise en forme d’un texte qui, lui aussi, s’ouvre à de nouveaux dessins. Et, enfin, il y a l’écriture, physiquement parlant, qui fait de la représentation des lettres, des missives, une présence également graphique!

Les Voyages de Jules © Daniel Maghen
Emmanuel Lepage: la narration
Emmanuel Lepage: la construction

Un livre, quel qu’il soit, c’est un objet qui raconte une histoire. Et toutes les histoires qui construisent une vie sont faites de détails, de petits riens et de grands événements.

« Ouvrir un livre, prendre un bateau, c’est la même chose » nous dit Emmanuel Lepage. Et c’est vrai que, dans cet album, dans ce livre, la littérature de voyage et omniprésente, elle est le lien qui unit les deux personnages qui sont au centre du récit : Jules et Amon. Un être presque fantasque, qui a le besoin viscéral de ne pas s’installer, et un autre être qui, pour se démesurer, a besoin de rigidité et d’ordre. On les voit, presque en face à face, comme deux pôles d’une même soif de créer, d’une même nécessité de ne pas se plier à quelque code que ce soit, mais à faire le choix de quelques habitudes qui prouvent que toutes les routines ne sont pas mauvaises !

Les Voyages de Jules © Daniel Maghen
Emmanuel Lepage: Jules et Amon

« Homme libre, toujours tu chériras la mer », disait Baudelaire. « La mer est ton miroir », ajoutait-il.

Lepage et Follet sont libres, puisque amoureux de cet élément qui leur ouvre des horizons aux couleurs infiniment changeantes.

« Les Voyages de Jules », c’est la fin d’une trilogie entamée il y a une quinzaine d’années. Trois albums qui racontent le trajet humain et les voyages d’un peintre imaginaire, Jules Toulet.

Un peintre qui, dans ce livre-ci, se raconte au travers de lettres illustrées. Des lettres qui, certes, parlent de la mer, en prenant comme départ des lectures « marines » aussi essentielles que Moby Dick, le vieil homme et la mer, ou pêcheur d’Islande. Mais ce qui fait le centre de gravité de ce superbe album, c’est l’art, aussi, et peut-être même d’abord et avant tout.

Les Voyages de Jules © Daniel Maghen
Emmanuel Lepage: la mer
Emmanuel Lepage: l’art

Le maître d’œuvre de cet album, c’est Emmanuel Lepage. Un dessinateur qui, au fil des années, s’affirme comme un des artistes les plus importants, humainement et artistiquement, du neuvième art. Un dessinateur qui appartient pleinement à la lignée de la BD franco-belge (ou belgo-française…), mais qui est incapable, et cela est évident d’album en album (de Tchernobyl à Muchachos, jusqu’à Ar-men et ces voyages-ci…) de se contenter d’une seule forme de dessin, de mise en couleur, de narration.

Et dans ces voyages de Jules, il y a aussi l’immense René Follet, dessinateur belge exceptionnel, illustrateur de génie, qui, du haut de ses 88 printemps, illumine de ses traits et de sa couleur ce livre absolument phénoménal… Un livre hommage à la peinture, à la littérature, à la mer, et à l’amitié qui unit Lepage et Follet depuis longtemps déjà…

Les Voyages de Jules © Daniel Maghen
Emmanuel Lepage: les maîtres
Emmanuel Lepage: René Follet

Il y a de l’amitié, il y a une convergence de talents et d’imaginaires, il y a un contraste entre deux styles qui, pourtant, se rejoignent avec une sorte de plaisir presque sensuel, de page en page.

Lepage et Follet sont deux capitaines de bateaux qui mêlent leurs destins sur les navires parallèles de leurs propres existences.

Et le bonheur, dans ce livre, c’est aussi de voir côte à côte, deux artistes de leur trempe dialoguer entre et eux et dialoguer, en même temps, avec la mer, les mots, le temps qui passe et le sens de la création.

Les Voyages de Jules © Daniel Maghen
Emmanuel Lepage: René Follet et le dessin

« Les voyages de Jules », c’est un livre à lire… Petit à petit ou d’une traite… C’est un livre à feuilleter, à ouvrir, à rouvrir souvent… C’est un livre d’art et de littérature, c’est un livre de rencontre, entre les personnages qu’il nous montre et qu’il imagine vivre, entre quatre auteurs, aussi, en totale osmose.

« Les voyages de Jules », c’est un livre qui ne peut que trouver une place de choix dans la bibliothèque de tout honnête homme !…

Jacques Schraûwen

Les Voyages de Jules (auteurs : Emmanuel Lepage, René Follet et Sophie Michel – calligraphie : Aurélie Tièche – éditeur : Daniel Maghen)

Les Voyages de Jules © Daniel Maghen
La Venin : 1. Déluge De Feu

La Venin : 1. Déluge De Feu

Un western au féminin pluriel : baladez-vous dans une maison close, dans des saloons louches, et découvrez la puissance de la vengeance ! Et une femme sans doute plus dangereuse qu’un crotale !…

La Venin © Rue de Sèvres

Laurent Astier est un dessinateur extrêmement intéressant. On lui doit quelques livres marquants, comme  » Face au mur  » et  » Comment faire fortune en juin 40 « . Des livres que, d’ailleurs, j’ai eu le plaisir de chroniquer en leur temps…

Et le voici de retour dans un genre qu’il n’avait pas encore abordé, le western. Avec un dessin qui louche quelque peu du côté de Blueberry, Laurent Astier abandonne les paysages urbains et contemporains de ses derniers livres pour nous balader dans des grands espaces, d’une part, dans des lieux spécifiques aussi de cet ouest américain qui ne fut que rarement un eden… De saloon en salon bourgeois, de bordel en cimetière, d’étreinte en chevauchée poussiéreuse, Astier utilise à la perfection les codes d’un genre qui revient terriblement (et c’est tant mieux) à la mode !

Cela dit, Laurent Astier conserve sa manière de raconter une histoire. Au-delà de l’imagination dont il fait preuve, il a toujours le souci de coller, en même temps, à la réalité, à la réalité historique surtout. Une réalité historique fouillée, mais qui n’a que le poids d’un élément de décor, d’une trame présente, certes, mais discrète…


La Venin © Rue de Sèvres
Laurent Astier: le western

Laurent Astier: la trame historique

Ce western pourrait n’être que de facture classique, dans la lignée assumée de Giraud, si la manière d’aborder cette narration ne se révélait originale. Originale, oui, parce que, de façon réaliste, c’est aux femmes que Laurent Astier a décidé de s’intéresser, donc de nous intéresser. Des femmes qui, vivant dans un monde d’hommes au machisme évident, se doivent de lutter pour exister et ne pas être uniquement des objets…

Du coup, son dessin se fait ici et là plus léger, surtout lorsque ce dessin s’approche du plus près des visages de ses héroïnes, de son héroïne surtout, la belle Emily. Ce dessin se fait également sensuel et sans tabou lorsque c’est d’amours tarifiées qu’il nous parle, lorsque ce sont des étreintes monnayées qu’il nous montre.

Il y a là une vraie restitution de la vie de la fin du dix-neuvième siècle et du tout début du vingtième siècle, dans ce pays que l’on disait encore neuf… Mais il y a surtout, et cela a toujours été la force de Laurent Astier, le plaisir qu’il a à faire des portraits puissants et soutenus de ses personnages. Des personnages qui, tous, ont du corps, de la présence, et de l’utilité… Grâce à son dessin, oui, mais aussi grâce à son sens du dialogue, et à sa façon de raconter une histoire, à mi-chemin, en quelque sorte, entre John Ford et Sergio Leone.


La Venin © Rue de Sèvres

Laurent Astier: les femmes

Quand je parle de trame historique, une trame que l’on découvre d’ailleurs un peu plus en détail dans une sorte de dossier qui termine ce premier volume, je parle aussi d’une sorte d’approche sociologique du monde des maisons closes. Avec la présence des enfants, des « filles » servant de nounous… Avec des liens de parenté qui n’étaient jamais évidents à vivre. On n’est pas loin du film « La Petite »…

Et puis, il y a chez Astier un vrai bonheur à cacher dans ses dessins quelques références, ou, mieux encore, à placer dans des détails des petits éclats d’humour. Comme le sourire, furtif, d’une religieuse, à la page 49… Un peu comme une référence à l’excellent western « Sierra Torride » …


La Venin © Rue de Sèvres

Laurent Astier: l’humour

Ainsi, à partir d’ingrédients tout à fait traditionnels, Laurent Astier construit un récit endiablé et humain tout à la fois. Il y a les Pinkerton, il y a des meurtres, des humiliations, des Indiens brimés, des personnages falots et des femmes qui se libèrent de leurs chaînes, il y a la force de la chair et l’étrange présence du désir, il y des envolées lyriques et des couleurs qui ne sont pas sans rappeler celles qui faisaient des albums de Gir ou de Jijé des petits chefs d’œuvre.

Le dessin de Laurent Astier est d’une belle efficacité. Classique, oui, comme je le disais, dans la lignée des grands dessinateurs de western des générations anciennes. Mais d’un classicisme qui, de temps à autre, au fil des pages, se mêle aussi à une influence de la bd japonaise, dans les physionomies, entre autres, ou dans l’accentuation de certains mouvements.


La Venin © Rue de Sèvres

Laurent Astier: couleur et dessin

Dans ce premier volume, Astier réussit, grâce à une construction éclatée, grâce à un découpage qui mêle les époques et en fait des séquences narratives, à ne pas se contenter de mettre en place les différents protagonistes de son récit. Il leur donne vie, d’emblée, sans temps mort, et son dessin cinématographique, avec ses perspectives, ses angles de vue, ses coupures de rythme, tout cela fait merveille et fait de ce premier épisode un chapitre dont on attend avec impatience la suite !

Jacques Schraûwen

La Venin : 1. Déluge De Feu (auteur : Laurent Astier – éditeur : Rue De Sèvres)

Valois : 2. Si Deus Pro Nobis, Quis Contra Nos ?

Valois : 2. Si Deus Pro Nobis, Quis Contra Nos ?

C’est une époque particulièrement animée de l’Histoire de France et d’Europe qui nous est contée dans cette série. Et qui l’est de manière à la fois romanesque et soucieuse de vérité historique !

Valois © Delcourt

Le premier volume de cette série mettait en scène tous les personnages principaux, et lançait un récit d’aventures basé sur une réalité historique. Le scénariste, incontestablement, aime l’Histoire et aime surtout s’y aventurer en y ajoutant des personnages qui, de par leur présence, humanisent un propos qui, sinon, aurait pu n’être qu’un pensum presque scolaire… C’est que l’Histoire de France est tout sauf aisée à suivre et, parfois, à comprendre!

Nous sommes en 1483 : voilà quelque temps déjà que les Capétiens ont laissé la place, à la tête de la France, aux Valois. La guerre de cent ans est terminée, certes, mais le roi Charles VIII ne manque pas d’ambition et rêve de gloire.

Valois © Delcourt

Dans la tourmente des luttes d’influence qui émaillent cette époque de l’Histoire, Thierry Gloris, le scénariste, introduit deux personnages très différents, qui vont être obligés par le destin de suivre d’identiques chemins.

Il y a Blasco Zuninga, d’abord, un Espagnol qui refuse d’être moine et rejoint une armée italienne se vendant à qui paie le mieux.

Il y a ensuite Henri Guivre de Tersac, jeune nobliau désargenté, qui, d’espion cultivé devient, lui aussi, mercenaire.

Et les voilà tous deux, ensemble, mêlés à une guerre dans laquelle le pouvoir religieux et le pouvoir royal s’affrontent sur tous les fronts, celui de la diplomatie comme celui de la mort sur les terrains de bataille.

Valois © Delcourt

Et c’est là que le talent de Gloris est évident. Il parvient à être presque didactique dans sa façon de nous parler de la France, de l’Italie, de la papauté, il parvient à rendre épiques les complots de salon, les traîtrises et les renoncements. Il parvient, surtout, à ce que le lecteur entre, sans connaissance préalable, dans une période de l’aventure humaine où l’humain, finalement, n’avait que peu d’importance !

Valois © Delcourt

Cette série, dont deux volumes sont déjà parus, est une belle réussite pour tous les amateurs d’Histoire, certes, mais aussi pour tous les amoureux d’une BD romanesque et violente en même temps, réaliste et puissamment documentée.

A ce titre, il faut souligner le dessin extrêmement réaliste de Jaime Calderon. S’inspirant, incontestablement, dans sa composition, de la peinture italienne, celle de Venise entre autres, il nous dessine des visages expressifs et vivants, des décors somptueux, des mouvements et des perspectives qui accentuent de page en page le rythme du récit.

Et n’oublions surtout pas la couleur de « Felideus », qui, plus inspirée, elle, par l’école flamande, donne un vrai relief à chaque protagoniste, de Charles VIII aux Borgia, d’Anne de Bretagne à Della Rovere.

Une série bien faite, passionnante, avec des vrais personnages qui ont de la « chair », comme on dit : la bande dessinée, c’est aussi ça !

Jacques Schraûwen

Valois : 2. Si Deus Pro Nobis, Quis Contra Nos ? (Dessin : Jaime Calderon. Scénario : Thierry Gloris. Couleurs : Felideus. Editeur : Delcourt

Valois © Delcourt