Il y a eu Anna, il y a eu Ulysse, et, en compagnie de leurs voyages, il y a toujours eu Jules. Jules qui, dans ce livre somptueux, est totalement central. Un album étonnant qui met en avant deux des plus grands talents du neuvième art : le Belge René Follet et le Français Emmanuel Lepage !
Les Voyages de Jules, c’est d’abord un livre impossible à résumer, qui mêle aventures marines et enfouissement dans l’art et dans la littérature. Oui, c’est un album à la fois très graphique et très littéraire. Le tout dans une forme narrative qui n’est pas celle du neuvième art. Pas tout à fait en tout cas… On se trouve dans un texte qui s’ouvre à des illustrations splendides, tout en laissant la place, rarement, à des petits découpages correspondant aux codes du neuvième art.
On se trouve d’abord et avant tout dans un récit, un récit particulièrement construit, même s’il est d’une lisibilité immédiate. Il y a d’abord le rêve, l’imagination et les références littéraires de deux dessinateurs. Il y a, ensuite, la mise en forme d’un texte qui, lui aussi, s’ouvre à de nouveaux dessins. Et, enfin, il y a l’écriture, physiquement parlant, qui fait de la représentation des lettres, des missives, une présence également graphique!
Un livre, quel qu’il soit, c’est un objet qui raconte une histoire. Et toutes les histoires qui construisent une vie sont faites de détails, de petits riens et de grands événements.
« Ouvrir un livre, prendre un bateau, c’est la même chose » nous dit Emmanuel Lepage. Et c’est vrai que, dans cet album, dans ce livre, la littérature de voyage et omniprésente, elle est le lien qui unit les deux personnages qui sont au centre du récit : Jules et Amon. Un être presque fantasque, qui a le besoin viscéral de ne pas s’installer, et un autre être qui, pour se démesurer, a besoin de rigidité et d’ordre. On les voit, presque en face à face, comme deux pôles d’une même soif de créer, d’une même nécessité de ne pas se plier à quelque code que ce soit, mais à faire le choix de quelques habitudes qui prouvent que toutes les routines ne sont pas mauvaises !
« Homme libre, toujours tu chériras la mer », disait Baudelaire. « La mer est ton miroir », ajoutait-il.
Lepage et Follet sont libres, puisque amoureux de cet élément qui leur ouvre des horizons aux couleurs infiniment changeantes.
« Les Voyages de Jules », c’est la fin d’une trilogie entamée il y a une quinzaine d’années. Trois albums qui racontent le trajet humain et les voyages d’un peintre imaginaire, Jules Toulet.
Un peintre qui, dans ce livre-ci, se raconte au travers de lettres illustrées. Des lettres qui, certes, parlent de la mer, en prenant comme départ des lectures « marines » aussi essentielles que Moby Dick, le vieil homme et la mer, ou pêcheur d’Islande. Mais ce qui fait le centre de gravité de ce superbe album, c’est l’art, aussi, et peut-être même d’abord et avant tout.
Le maître d’œuvre de cet album, c’est Emmanuel Lepage. Un dessinateur qui, au fil des années, s’affirme comme un des artistes les plus importants, humainement et artistiquement, du neuvième art. Un dessinateur qui appartient pleinement à la lignée de la BD franco-belge (ou belgo-française…), mais qui est incapable, et cela est évident d’album en album (de Tchernobyl à Muchachos, jusqu’à Ar-men et ces voyages-ci…) de se contenter d’une seule forme de dessin, de mise en couleur, de narration.
Et dans ces voyages de Jules, il y a aussi l’immense René Follet, dessinateur belge exceptionnel, illustrateur de génie, qui, du haut de ses 88 printemps, illumine de ses traits et de sa couleur ce livre absolument phénoménal… Un livre hommage à la peinture, à la littérature, à la mer, et à l’amitié qui unit Lepage et Follet depuis longtemps déjà…
Il y a de l’amitié, il y a une convergence de talents et d’imaginaires, il y a un contraste entre deux styles qui, pourtant, se rejoignent avec une sorte de plaisir presque sensuel, de page en page.
Lepage et Follet sont deux capitaines de bateaux qui mêlent leurs destins sur les navires parallèles de leurs propres existences.
Et le bonheur, dans ce livre, c’est aussi de voir côte à côte, deux artistes de leur trempe dialoguer entre et eux et dialoguer, en même temps, avec la mer, les mots, le temps qui passe et le sens de la création.
« Les voyages de Jules », c’est un livre à lire… Petit à petit ou d’une traite… C’est un livre à feuilleter, à ouvrir, à rouvrir souvent… C’est un livre d’art et de littérature, c’est un livre de rencontre, entre les personnages qu’il nous montre et qu’il imagine vivre, entre quatre auteurs, aussi, en totale osmose.
« Les voyages de Jules », c’est un livre qui ne peut que trouver une place de choix dans la bibliothèque de tout honnête homme !…
Jacques Schraûwen
Les Voyages de Jules (auteurs : Emmanuel Lepage, René Follet et Sophie Michel – calligraphie : Aurélie Tièche – éditeur : Daniel Maghen)