La mort d’un pionnier du neuvième art.
Il avait 97 ans. Et il a créé un personnage qui, depuis 1957, résiste à toutes les modes et continue à éblouir bien des lecteurs passionnés par l’automobile.
Français de naissance, mais attiré par le dessin, c’est tout naturellement qu’adolescent Jean Graton est venu s’installer en Belgique, la terre de la bande dessinée, celle d’Hergé, De Jacobs, de Jijé.
De dessins publicitaires en dessins d’illustration pour un journal belge, il va, à l’âge de 26 ans, se retrouver dans une équipe qui créait les fameuses « Histoires de l’Oncle Paul ». Ce fut le temps des apprentissages, avec, à ses côtés, des gens comme Jean-Michel Charlier et Victor Hubinon, et sans doute l’immense Eddy Paape.
Passant de Spirou à Tintin, il va continuer pendant quelques années à dessiner et raconter l’Histoire, de manière didactique, et avec comme but une certaine éducation, voire édification, de la jeunesse.
Et puis vint l’heure, au début des années 50, de créer un personnage qui lui appartienne totalement, qui appartienne au monde de la fiction, tout en gardant un réalisme total dans les attitudes, les décors, les mouvements, l’époque, la passion… Parce que c’est bien de passion qu’il s’agit, de passions plurielles, parce qu’en créant Michel Vaillant, Jean Graton réunissait celle qui oui fut inculquée par son père, la course automobile, et celle qui l’animait depuis des années déjà, la bande dessinée.
Et ce fut un premier album, en 1959, « Le Grand Défi », dans lequel Graton, déjà, montrait tout son talent de dessinateur réaliste, certes, mais surtout peut-être de maître du mouvement, du « geste », de la « vitesse »…
Michel Vaillant a, à ce jour, vécu une septantaine d’histoires. Bien sûr, au fil des années, le dessin a évolué, et les scénarios également. A ses débuts, la course automobile était pour Michel Vaillant un métier, qui n’était en fait qu’un arrière-plan d’aventures au sens large du terme. Petit à petit, la course et ses circuits, ses vrombissements, ses sportifs ont pris de plus en plus de place. C’est sans doute ce virage progressif qui a fait de Michel Vaillant une icône parmi tous les amateurs d’autos, au fil des années.
Parce que c’est cela qui est remarquable, chez Graton : le besoin qui a été le sien de toujours insérer totalement son héros dans le quotidien de l’époque où il le dessine. Le dessin évolue, comme évoluent les décors, comme évoluent les voitures et leurs performances, les circuits et leur sécurité. Michel Vaillant et son complice Steve Warson ne vieillissent qu’à peine… Mais le monde autour d’eux, lui, vieillit, change.
Il est vrai qu’on peut penser que Jean Graton est l’auteur d’une seule série, d’un seul personnage, mais c’est loin d’être le cas. Bien évidemment, on ne peut nier que le monde du sport et de la performance, celui de la vitesse et de ses records ont toujours occupé la place privilégiée dans son travail. Il a été ainsi l’auteur d’une héroïne et de sa moto, avec Julie Wood. Mais aussi celui du tour de France et de ses forçats de la route.
Et puis, avec son épouse Francine, il a mis en scène une histoire très familiale, très fleur bleue, presque inspirée par les romans-photos qui avaient un indéniable succès dans les années 60 et 70. Les Labourdet ont trouvé leur public, et leur côté désuet, ma foi, permet à cette série de se révéler presque sociologique, tout comme Boule et Bill par exemple. Et d’avoir, de nos jours encore, ses vrais fans !
Avec Jean Graton, c’est tout un pan de l’Histoire de la bande dessinée qui s’efface. C’est toute une époque qui revient en mémoire. C’était un grand monsieur de la bd, et je peux ici avouer que j’ai, en très piteux état il faut le dire, « Le Grand Défi » depuis mes 6 ans, et qu’il reste pour moi un vrai livre culte.
Jacques Schraûwen