Richard Corben : la disparition d’un des vrais génies de la bande dessinée !

Richard Corben : la disparition d’un des vrais génies de la bande dessinée !

L’histoire de la bd est chaotique, diverse.

De ce côté-ci de l’Atlantique, on a tendance à considérer la bande dessinée américaine comme une espèce de pis-aller de la bd européenne.

Richard Corben © Corben

C’est, bien évidemment, un raccourci inacceptable.

La BD américaine, fort heureusement, ne se cantonne pas aux seuls super-héros, même si, parmi eux, il se trouve quelques créations qui méritent le détour, comme le Surfer d’Argent.

La bande dessinée américaine, c’est la série des Peanuts… C’et Will Eisner, c’est Bernie Whrigtson, c’est Crumb, c’est Kubert, Buscema, et tant d’autres encore.

Et c’est aussi, surtout même à mon humble avis, Richard Corben.

Richard Corben © Corben

Je parlais de Will Eisner… IL faut souligner que Corben fut, pendant un certain temps, coloriste de la série du Spirit de ce maître de la bd américaine.

On a pu cantonner Corben à un seul style de bande dessinée, l’horreur, le fantastique. Et s’il est vrai que Richard Corben a toujours voulu raconter des histoires qui s’éloignent résolument d’une réalité connue de tout un chacun, il ne l’a jamais fait gratuitement… Il l’a fait avec une volonté, parfois discrète, d’aborder des thématiques qui ont sous-tendu toute son œuvre.

Richard Corben © Corben

Le fantastique, oui… Dans la seule mesure où les mondes de l’ailleurs pouvaient lui permettre de parler, aussi, des dérives de nos présents.

Dessinateur également souvent qualifié d’underground, comme Crumb, ou Bodé, il a largement dépassé ce cadre trop étroit pour lui. Il a créé des personnages qui ont marqué l’Histoire de la bande dessinée, en y apportant, d’une part, un sens narratif et une imagination toujours étonnants, d’autre part une approche de l’érotisme tout en courbes, tout en reliefs charnels, avec une sorte de travail sur une troisième dimension graphique qui n’a jamais été égalé !…

Richard Corben © Corben

Du haut de mes âges en automne, je me dois d’avouer que j’ai toujours eu, pour Corben, bien plus que de l’admiration… Cet artiste, aimant les opulences de la chair comme celles des trames narratives, a, à sa manière, presque humblement, influencé profondément la bd… L’américaine comme l’européenne…

Lisez, relisez, relisez encore tous les livres de Richard Corben ! Il est pour la bande dessinée un des moteurs essentiels qui en ont fait un art adulte, majeur, exceptionnel !…

Richard Corben © Corben

Lisez Den, Rolf, Ogre…

Lisez Corben c’est la meilleure manière de lui rendre hommage, de lui rendre justice !

Il avait 80 ans. Et, avec lui, c’est un vrai monument du neuvième art qui disparaît…

Jacques Schraûwen

Olivier Taffin : la mort d’un artiste humaniste !

Olivier Taffin : la mort d’un artiste humaniste !

Olivier Taffin avait 74 ans. Et sa carrière ne fut pas uniquement, loin s’en faut, celle d’un auteur de bande dessinée.

Depuis les années 90, après vingt ans de présence dans les méandres du neuvième art, Olivier Taffin s’est fait Illustrateur, peintre, chroniqueur, dramaturge, affichiste, professeur de dessin, parolier, blogueur, amoureux de la chanson française aussi.

Olivier Taffin © Taffin

Pour bien saisir toute la qualité de cet artiste multiforme, avide tout autant de rencontres humaines que de découvertes, ou de redécouvertes, il faut vraiment, en effet, souligner le travail qu’il a fourni dans un cabaret de chansons d’auteurs, y accueillant des gens bien oubliés des médias, comme Jacques Bertin et Jehan, des chanteurs qui sont poètes, qui sont les troubadours d’aujourd’hui dans un monde qui n’en veut plus.

Fume, c’est du Taffin © Kesselring

Olivier Taffin, c’était un homme étonnant, un artiste incapable de se cantonner dans un seul style, dans une seule aventure. Un homme qui ne recherchait même pas la reconnaissance, ni le succès, mais qui se voulait au service de ce qu’il aimait, de ceux qu’il aimait.

Il n’a passé, finalement, qu’une vingtaine d’années à faire de la bande dessinée… Mais quelles années ! Ce furent celles de l’éclosion d’une bd se voulant d’autres publics que la seule jeunesse.

Orn © Dargaud

Il fait relire son « Fume, c’est du Taffin » (éditeur : Kesselring), par exemple, pour comprendre tout ce que cette époque avait d’aventurier. L’aventure, oui, c’était celle de raconter des aventures dans lesquelles l’humain avait totalement sa place, c’est-à-dire aussi avec de l’érotisme, avec du fantastique, avec de l’anticipation sombre.

Il est aussi l’auteur de la série « Orn » (éditeur : Dargaud), mettant en scène des dieux, des humains transformés, et de l’humanisme quelque peu désespéré.

Il est aussi le dessinateur d’une autre série, « Allaïve » (éditeur Dargaud), qui s’aventure dans des univers d’angoisse et de folie, d’une manière envoûtante, et graphiquement maîtrisée.

Allaïve © Dargaud

C’était le temps de collaborations avec des auteurs comme Vidal et Cothias.

Il fut aussi pendant sa période bande dessinée le fondateur d’une petite revue, « Tousse Bourin », dans laquelle furent publiés des auteurs devenus des grands noms de la BD : Loisel, Le Tendre, Cabanes, entre autres.

Sans doute Olivier Taffin aurait-il pu continuer une carrière comme auteur de BD… Il ne l’a pas voulu, il n’a jamais voulu dépendre de routines, quelles qu’elles soient, et c’est cela aussi, c’est cela surtout, qui fait de lui un artiste à part entière dont il est bon, aujourd’hui, de se souvenir.

Allaïve © Dargaud

Et me viennent en mémoire quelques mots de Jacques Bertin, au sujet de l’enterrement de l’épouse du chanteur Julos Beaucarne. Des mots qui sont de circonstance… Poétiques et profondément humains : « l’autre jour, c’était moi que l’on mettait en terre et je me regardais n’être plus rien… Il faut me réconcilier avec la terre et sa respiration qui est le chant » !

Jacques Schraûwen

Louis Le Hir

Louis Le Hir

Le décès d’un jeune dessinateur aux promesses infinies !

Il avait 34 ans. Il était illustrateur, bouquiniste, et auteur BD presque débutant.

Louis Le Hir © Mosquito

Pour lui rendre hommage, et le remercier de son talent, je vous propose de vous plonger dans un de ses rares albums…

Le Petit Poucet © Mosquito

Le Petit Poucet

(scénario : Jean-Louis Le Hir – dessin : Louis Le Hir – éditeur : Mosquito)

La bande dessinée come le roman plongent leurs inspirations, parfois, dans l’imaginaire collectif, dans ce que la culture peut avoir de plus populaire.

Depuis quelques années, ainsi, les contes de notre enfance se retrouvent adaptés de mille et une manières, avec, le plus souvent, une relecture psycho-psychiatrique chère à quelques penseurs des années 70 et 80.

IL est vrai que les versions édulcorées de ces contes de Perrault ou de Grimm ont privilégié la gentillesse imaginée de l’enfance au détriment de ce qu’ils étaient, originellement.

Le Petit Poucet © Mosquito

A l’origine, oui, tous ces contes, ou presque, parlaient des vrais apprentissages de l’existence, des vrais remous de toute vie. Donc de peur, de haine, de guerre, de violence et de mort.

C’est cette voie-là que Louis Le Hir et son père ont choisi pour créer une trame narrative de ce conte qui ne manque ni de force d’évocation, ni d’intelligence de ton, ni d’écriture véritablement littéraire.

Ils ont pris comme base d’intégrer cette histoire pendant les horreurs de la guerre de cent ans. Ils ont pris comme base aussi de faire du Petit Poucet, cadet d’une fratrie de sept enfants, un petit gars courageux et intelligent, certes, mais intégré totalement dans son époque, et donc rêvant de luttes, de combats, et sachant ce qu’est la mort rencontrée au jour le jour.

Tous les ingrédients du conte connu sont bien là. Il y a les miettes de main, les enfants perdus en pleine forêt, il y a l’ogre, il y a les bottes de sept lieues.

Le Petit Poucet © Mosquito

Mais tous ces ingrédients, ces codes chers à Perrault, n’ont rien d’enfantin, que du contraire. Le principal fil conducteur de ce livre, c’est la mort bien plus que l’injustice. Le Petit Poucet face à l’Ogre, c’est David face à Goliath. La distribution que le Petit Poucet fait des richesses volées à l’ogre, c’est Robin des Bois vainqueur du shérif de Nottingham

Le scénario, vous l’aurez compris, est bien charpenté et sans faux fuyant. Le dessin, quant à lui, révèle un talent de graphiste d’un expressionnisme superbe, et un talent de coloriste, aussi, qui dépasse la simple nécessité de créer, grâce à la couleur, des ambiances.

Le Petit Poucet © Mosquito

Avec Louis Le Hir, on se retrouve en face d’un dessin qui réussit, avec une maestria extraordinaire, à réconcilier les styles proches de l’épure d’un Munoz, d’une part, et ceux d’une approche du mouvement chère aux meilleurs des mangakas.

C’est de la bande dessinée européenne, cependant, pleinement, qui fait parfois penser aussi aux illustrations tchèques des livres pour jeunes lecteurs.

Lisez ce livre… il est passionnant, et beau, profondément beau, jusque dans la démesure des tueries qu’il met en scène.

Lisez ce livre, et remerciez ainsi ce dessinateur dont on peut avoir la certitude qu’il avait tout pour devenir un grand du neuvième art.

Jacques Schraûwen