Hubert : le décès d’un magicien de la bande dessinée…

Hubert : le décès d’un magicien de la bande dessinée…

Il avait 49 ans…

Coloriste, d’abord, scénariste ensuite, c’est avec toute la puissance et toute la poésie de ses mots qu’il a créé une série exceptionnelle : « Les Ogres-Dieux ».

Lorsque le premier de cette série de trois albums est paru, j’ai tout de suite été ébloui par le dessin de Bertrand Gatignol. Par cette évidence de noir et de blanc tout au long d’une saga créant un univers inspiré plus par Rabelais que par l’héroic fantasy.

Les Ogres-Dieux 1 © Soleil

Et puis, en me plongeant dans ce premier livre, et dans les deux autres, ensuite, c’est l’écriture qui m’a envoûté. Parce qu’Hubert était un véritable écrivain, un de ces êtres rares capables d’inventer des univers totalement plausibles et pourtant démesurément originaux. Des univers, surtout, qui ne devaient pas tout à la seule imagination, aussi fertile soit-elle.

Nous parlant de pouvoir, de destin, de résistance, « Les ogres-dieux » se construisent à la fois comme une bd, comme un recueil de nouvelles, comme un manuel d’Histoire improbable.

Avec les Ogres-dieux, extraordinaire récit dont les thèmes centraux (pouvoir, ambition, injustice, résistance…) étaient et restent terriblement d’actualité, il était sans aucun doute parvenu à innover dans un domaine où, pourtant, les scénarios se révèlent bien trop redondants !

Mais il ne faut pas oublier non plus qu’il a à son actif quelques séries chez Glénat (avec le scénario à la Oscar Wilde du très bon « Monsieur Désire »), chez Dargaud, chez Dupuis.

Le neuvième art perd avec lui un scénariste qui a osé dépasser les frontières de la tradition comme de la modernité, grâce, tout simplement, à un talent mêlant la vision aux mots, la description de lieux et de sentiments à la littérature !

Un scénariste que j’ai eu le plaisir et la chance de pouvoir interviewer…

Jacques Schraûwen

Claire Bretécher : un regard lucide sur notre société

Claire Bretécher : un regard lucide sur notre société

Florence Cestac, Annie Goetzinger, Chantal Montellier… et Claire Bretécher : des « autrices » qui se sont affirmées femmes dans un monde d’hommes, des femmes qui furent des pionnières de la bande dessinée moderne !

Petits Travers © Dargaud

Claire Bretécher avait 79 ans, et son décès est celui d’un des auteurs essentiels de l’Histoire de la bande dessinée. Une autrice…

C’est dans les années 60 qu’elle a osé, le mot n’est pas trop fort, se lancer dans le monde des « petits mickeys », un monde qui, lentement, commençait à vouloir sortir des chemins battus, à s’éloigner des habitudes et leurs morales.

Elle a ainsi collaboré, avec plus ou moins d’originalité, aux magazines qui occupaient alors le terrain de la bd pour jeune public : Tintin, Record, Spirou. Spirou, dans les pages duquel elle donnera vie aux Gnan-Gnan, aux Naufragés, entre autres, avec des scénaristes comme Cauvin ou Yvan Delporte.

Et puis, ce fut Cellulite, dans Pilote. Une héroïne tout ce qu’il y a de plus quotidien, une femme loin des canons habituels de la féminité. Un personnage de papier qui, enfin, révélait le talent tout à fait particulier de Claire Bretécher. L’art et la manière de souligner, avec humour, tendresse et cynisme, les petits travers de la vie au jour le jour…

Petits Travers © Dargaud

Avec l’Echo des Savanes, ensuite, ce fut la création des « Frustrés », image peu épique d’une société à la recherche d’un sens, d’une valorisation. La société des années 70, cette société dans laquelle l’amertume d’une révolution ratée le disputait à une arrivée en force d’un monde aux seules valeurs financières, donc déshumanisantes.

Petits Travers © Dargaud

Il serait fastidieux de citer toutes les séries, tous les albums de Claire Bretécher. Mais il faut quand même se souvenir de sa participation à l’extraordinaire « Trombone Illustré », en compagnie de Franquin…

Ce qui n’est pas fastidieux, par contre, c’est de souligner qu’elle fut toujours revendicatrice d’une place essentielle à accorder aux femmes dans tout acte créatif, donc dans e neuvième art également. Et, pour ce faire, Claire Bretécher s’est faite plus sociologue que combattante, imposant son style et son humour dans un monde qui avait de la peine à arrêter d’être « macho ».

Il y a deux ans, elle nous offrait un livre d’humour grinçant, « Petits Travers », dans lequel elle parle de conflit de générations, de look, de maternité, de vieillesse. De la vie, tout simplement, des femmes d’aujourd’hui, dont chaque âge, finalement, est une aventure…

Claire Bretécher © France24

Claire Bretécher, c’est de la bande dessinée, c’est du dessin simple, un peu comme du Sempé simplifié… Ce sont des gags aussi, comme dans ces « Petits travers », des histoires humaines résumées en un seul dessin.

Claire Bretécher, c’était et c’est toujours un miroir aux reflets éblouissants de qui nous sommes, de ce que nous vivons, de ce dont nous rêvons…

Jacques Schraûwen

Petits Travers (autrice : Claire Bretécher – éditeur : Dargaud – 112 pages – date de sortie : septembre 2018)

Guillermo Mordillo

Guillermo Mordillo

Le décès d’un dessinateur exceptionnel universellement connu

Guillermo Mordillo appartient, certes, au monde de la bande dessinée, avec quelque quinze albums, si je ne m’abuse, parus en français, entre autres chez l’éditeur Glénat. Mais il appartient, surtout, à l’univers de l’humour, un humour aimant toujours détourner le réel pour le rendre souriant…

Mordillo © Mordillo

La « marque de fabrique » de Mordillo, ce sont des gags en un dessin, ou en une page. Des instantanés brefs, rapides, remplis de personnages ronds ou d’animaux caricaturés avec une véritable tendresse.

Mordillo, c’est de l’humour qui s’adresse, pratiquement toujours, à tous les publics même si, de temps autre, il s’est aventuré dans une forme d’érotisme souriant à la Dubout… Dubout, un géant de l’humour, dans la filiation duquel, graphiquement, on peut placer Mordillo.

Mordillo © Mordillo

Guillermo Mordillo, c’est un regard porté sur le quotidien, mais un regard toujours teinté d’absurde. Son sens de la caricature, parfois proche d’une certaine forme de surréalisme, dénote chez lui une véritable forme d’humanisme. Le ridicule laisse toujours la place, dans ses dessins, à un sourire amusé, à une manière qui lui appartient totalement de montrer les travers de l’être humain, mais de le faire avec tolérance, et, ce faisant, de dresser le portrait déformé mais fidèle en même temps du monde quotidien qui est le nôtre. Un monde qui reste « gentil », du fait aussi, peut-être, que Mordillo pratique un humour sans mots, sans dialogues…

Mordillo © Mordillo

Mordillo fait partie également de ces artistes que tout le monde, même sans le savoir, connaît. Parce qu’il s’est fait également portraitiste de grands groupements humains (dans des stades de football, par exemple), pour des puzzles dans lesquels des centaines et des centaines de détails forment une trame extraordinairement vivante, et particulièrement jouissive… Un puzzle de Mordillo, comme un puzzle de Loup, c’est d’abord le plaisir d’un jeu presque mathématique, c’est ensuite le plaisir d’une lecture graphique qui, à chaque nouvelle vision, découvre de nouveaux gags.

S’il existe un ailleurs, j’aime à penser que s’y retrouvent, autour d’une planche à dessin, Serre, Dubout, Chaval, et qu’ils accueillent à bras ouverts Guillermo Mordillo…

Jacques Schraûwen

Mordillo © Mordillo