Fuck Ze Tourists – Un titre qui dit tout !

Fuck Ze Tourists – Un titre qui dit tout !

Ah, le temps béni des vacances ! Ces heures pendant lesquelles on peut se reposer, se resourcer, découvrir !… Ou pas !

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Dans le magma des occupations humaines, les vacances occupent une place de choix. Un répit sociétal gagné de haute lutte en des temps où seul le travail se devait d’occuper toutes les journées… Les vacances… Quelques journées par an où l’humain peut oublier ses quotidiens grisâtres en allant voir ailleurs comment se passent la terre, la vie, les gens… Le monde, au long de quelques semaines, est à portée de tout le monde, ou presque, grâce à cette merveille que sont les progrès de l’aviation et ceux, conjoints, des agences de tourisme.

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C’est à cette réalité essentielle pour que l’âme humaine résiste aux diktats journaliers de la civilisation que deux complices, s’attaquent dans ce livre, sans vergogne, avec une méchante jubilation, extrêmement communicative !…

Parce que la chance des vacances est devenue au fil du temps le plaisir plus que fugace d’un tourisme de groupe… D’un besoin non pas d’aller à la rencontre d’une région, d’un lieu, mais simplement de pouvoir dire « cette année, j’ai fait la France… ou l’Italie… ou le Japon… » ! Oui, « j’ai fait », au sein d’un troupeau où chacun (et chacune…) est soucieux de photographier pour pouvoir, de retour sous le harnais du boulot, éblouir les voisins, les collègues… Photographier, de selfie en selfie, pour se sentir vivre, pour pouvoir avoir des souvenirs qu’on ne regarde plus jamais ensuite.

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Zidrou, le scénariste de cet album, est entré totalement dans l’humour noir, décalé, critique, révolté, de Fluide Glacial. Il se fait observateur du tourisme, de la vie donc, sous toutes ses formes, au microscope de ses révoltes. Maltaite, le dessinateur, l’accompagne dans ses délires tellement réels, et sort en liberté des sentiers battus qu’il suit trop depuis pas mal de temps. Ce sont deux auteurs de bd belges, qui vivent sous d’autres cieux que ceux de notre petit pays aux frontières internes, dans une Espagne qui n’est pas plus paradisiaque que Venise, ou le Machu Pichu, ou le ski, ou une île paradisiaque… Leurs regards mêlés égratignent, sans tendresse il faut le dire, avec un sens aigu de la caricature, les touristes pour qui, finalement, le fric reste le roi, les touristes qui finissent toujours par retourner chez eux en « EGOland », les touristes appartenant à une civilisation perdue visitant une autre civilisation perdue, les touristes qui ont comme bible le guide du routard…

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Et ces attaques frontales font rire, font peur aussi, parce que, qu’on le veuille ou non, on l’est tous, un jour ou l’autre, « touristes » ! A admirer le soleil couchant sur des plages protégées des autochtones par des vigiles souriants mais malabars. Des touristes qui pensent, à défaut de le dire, que « pour les catastrophes naturelles, les pauvres, ils savent y faire » (citation du livre…) !!!

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Maltaite s’écartant, bien mieux que d’habitude, des sentiers battus d’un art qu’il maîtrise très bien, Zidrou, toujours lucide et maître de ses regards, et adorant jouer avec les mots et les situations : un duo de choc, de chocs intelligents, un duo d’artistes qui ruent dans les brancards… Bon Dieu, cela fait du bien, cela donne envie de changer de regard, de prendre des vacances avec de nouveaux yeux !

Et je rêve, j’imagine des milliers de corps étendus sur les plages du sud et lisant tous ce livre qui leur renvoie leur propre image !

Je rêve, oui… Mais j’espère surtout que, loin de ces plages encombrées, vous, lecteurs, vous savourerez comme je l’ai fait cet album jouissif !

Jacques et Josiane Schraûwen

Fuck Ze Tourists (dessin : Maltaite – scénario : Zidrou – éditeur : Fluide Glacial – juin 2025 – 55 pages)

Chiens De Prairie – une réédition bienvenue, une rencontre avec Philippe Foerster

Chiens De Prairie – une réédition bienvenue, une rencontre avec Philippe Foerster

Le « fantastique » a toujours fait partie intégrante de mes plaisirs de lecteur, depuis ma découverte, adolescent, de Jean Ray, de Gérard Prévot, de Marcel Béalu, de Claude Seignolle… Et, dans le cadre de la bande dessinée belgo-française, Philippe Foerster en est le héraut incontestable !

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Mais Philippe Foerster fut aussi scénariste, de temps à autre, en une époque lointaine où, avec Cossu, Andreas et Berthet, ils partageaient un atelier. Et la rencontre, ainsi, s’est faite, tout naturellement, entre l’imaginaire extrêmement large de Foerster et le graphisme au réalisme original de Berthet. Le résultat : un western dans lequel le fantastique, cher à Foerster, n’est pas présent !

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Ce western, paru initialement il y a une trentaine d’années si je ne m’abuse, joue avec les genres et les codes pour nous parler de Calamity Jane, de Hickok, d’un truand tueur se baladant avec le cercueil d’un ami, avec des chasseurs de prime, avec un gamin sourd-muet sans doute. Je le disais, tous les codes y sont : l’Histoire de l’Ouest américain en fond d’écran, avec Little Big Horn, par exemple, la violence gratuite, l’alcool, la mort, la légende et la réalité triviale…

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Mais les genres, eux, multiplient les références et les accents : il y a du gore, il y a des ambiances glauques et moites, il y a du western pur et dur, il y a de la grande Histoire, et même des envolées presque bibliques. Du Tarentino dessiné, en quelques sorte, avant Tarentino ! C’est, vous l’aurez compris, un excellent album que celui-ci, dans lequel la couleur occupe une place essentielle. Une réédition vraiment réussie, avec un dossier de Charles-Louis Detournay qui ne manque pas d’intérêt… Avec un scénariste d’un talent évident, que j’ai eu le plaisir de rencontrer…

Philippe Foerster

J’ai déjà parlé de Philippe Foerster dans mes chroniques, à l’occasion, entre autres, de la sortie d’un album paru chez mes amis Eliane et Cédric, de Forbidden zone, « Noir c’est Noir« .

J’ai déjà parlé avec lui de cette passion qu’il a du genre fantastique, de cette faculté qui est la sienne de créer l’horreur avec des sourires stridents, de mêler à l’innommable quelques étranges tendresses.

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Rencontrer Philippe Foerster, c’est toujours rencontrer quelqu’un qui a une vue de son métier qui manque parfois cruellement à certains auteurs mis en évidence par des médias quelconques. C’est toujours un moment de choix, comme perdu dans les méandres du temps…

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Et je n’ai pas résisté, bien évidemment, cette fois encore, à l’envie de le faire parler de ce fantastique à la belge qui est le sien, de l’écouter parler de ses influences, de Gotlib aussi…

Philippe Foerster

De nouvelles aventures dessinées par Foerster sont à venir, m’a-t-il dit. En attendant, se plonger ou se replonger dans ses livres, comme dans ceux de son complice Philippe Berthet, cela fait partie totalement du plaisir de lire, du plaisir d’aller à la rencontre d’univers extrêmement personnels et originaux…

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Et ces « Chiens De Prairie » qui unissent leurs deux talents, croyez-moi, en une réédition réussie, méritent véritablement le détour !

Jacques et Josiane Schraûwen

Chiens De Prairie (dessin : Philippe Berthet – scénario : Philippe Foerster – couleur : Dominique David – éditeur : Anspach – mai 2025 – 64 pages)

Confessions d’un faucheur – Et si la mort avait besoin d’aide pour accomplir son travail !

Confessions d’un faucheur – Et si la mort avait besoin d’aide pour accomplir son travail !

L’île d’Om, c’est le lieu où les humains se retrouvent lorsque âme et conscience sont définitivement séparées. Et pour couper les fils qui relient ces deux évidences de l’existence, la grande faucheuse a bien besoin d’employés… Les faucheurs, et certains d’entre eux se racontent dans cet album…

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Vous l’aurez compris, l’univers de Marc Jondot, l’auteur complet de cet album, nous entraîne dans des lieux et des mondes, des imaginaires et des devinés, où la vie et l’ailleurs se mêlent intimement. Un univers nourri de l’image que la mort a créée de civilisation en civilisation : une image qui, tout compte fait, et même si elle est toujours superbement influencée par une culture précise, une image, oui, qui de pays en pays, de siècle en siècle, se fait universelle !

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Plus qu’à la vie, n’appartenons-nous pas tous à la mort, d’abord et avant tout ? N’avons-nous pas, à ce sujet, les mêmes interrogations, les mêmes doutes, les mêmes espérances qu’en ont eu nos ancêtres ? L’homme n’a-t-il pas toujours dû vivre avec cette idée de l’inéluctable départ, avec une sorte d’obligation morale de lui donner une apparence, de l’apprivoiser, en quelque sorte, pour apprivoiser aussi la peur que ce départ ne peut que provoquer en toute âme humaine ?

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Je disais donc que la Mort avait, en finalité, la même représentation, en partie, partout dans le monde et dans l’Histoire… La grande faucheuse, de ce fait, a permis que se créent des légendes, des romans, des rêveries, de toutes sortes. La grande faucheuse est devenue, culturellement parlant, un élément majeur de la littérature, la « gothique » bien évidemment, la « fantastique » encore plus, mais toutes les littératures, aussi !

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Et donc, avec cet album somptueux, nous apprenons que la Mort, très occupée, à gérer entre autres, sans doute, l’île d’Om, a besoin d’aide… Donc d’aidants… Donc d’employés qu’elle envoie, au travers d’une administration rigoureuse et stricte, dans le monde des vivants pour y trancher quelques fils d’argent reliant âmes et consciences, et emmener ensuite les corps jusqu’à cette île qui, sans doute, sera leur ultime demeure. Et dans cet album, l’auteur imagine la discussion entre deux de ces aidants… Deux de ces faucheurs… Se confessent-ils ?… Pas vraiment, non : ils dialoguent, ils parlent de leurs souvenirs professionnels… Et, ce faisant, ils parlent de leurs échecs, de leurs bévues, de leurs bêtises… Parce que, dans toute organisation administrative, et la mort en fait partie, les choses dérapent, parfois… Souvent… Et c’est au travers de ces récits mêlés que ce livre, de fantastique oppressant qu’il est au départ et de par sa thématique, devient souriant… Ce n’est certes pas un humour tonitruant qu’on y croise en page en page, mais un humour sombre, avec des sourires plus que des rires, et, ma foi, avec des réflexions qui dépassent la seule lecture d’un très bel et très bon album !

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On a un peu l’impression, en passant de planche en planche, de se balader dans un environnement que Jean Ray ou Marcel Béalu n’auraient pas rejeté… Un univers quelque peu fantomatique, dans lequel les contrastes de couleurs font de chaque personnage croisé un élément de plus dans le voyage que l’on fait entre réalité et légende, entre légendes inventées, même, entre imaginaire et hantises existentielles… Ne croise-t-on pas, aux détours d’une confidence de faucheur, le fameux comte de Saint-Germain qui se disait éternel ?… Ne découvre-t-on pas que même la mort et ses serviteurs peuvent devoir faire face à des échecs cuisants ? Cuisants, oui, mais empreints toujours d’une fameuse dose d’humour noir !

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Le dessin de Marc Jondot, dans la filiation des plus grands dessinateurs sud-américains du genre, est d’une véritable maîtrise, tant dans le trait que dans la couleur, tant dans l’architecture des récits que dans la construction des planches. Même si je ne peux que reprocher quelques fautes d’orthographe, cet album est une réussite, sans aucun doute, lui qui nous donne, à sa manière, un florilège des échecs, ceux de la mort comme ceux de la vie, un florilège qui devient aussi le sel même de l’existence. Les faucheurs sont nos miroirs, et le dernier message qu’ils nous donnent dans ce livre est assez simple et tellement important : pour se sentir vivant, il faut toujours avoir une histoire à raconter et à partager… Donc une bonne bande dessinée à lire !

Jacques et Josiane Schraûwen

Confessions d’un faucheur (auteur : Jondot – éditeur : Mosquito – 69 pages)