Arsène Lupin Et Le Dernier Secret De Nostradamus

Arsène Lupin Et Le Dernier Secret De Nostradamus

Un « nouvelle » aventure du gentleman cambrioleur cher à Maurice Leblanc… Une réussite de la bd de divertissement !

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Ce que j’aime dans la lecture de manière générale, dans le monde de la bande dessinée plus spécifiquement, c’est l’éclectisme que ces médias culturels peuvent nous offrir, à nous les lecteurs. Historiquement, la bd a d’abord été, d’ailleurs, destinée à un jeune public… Historiquement aussi, c’est en offrant des héros de papier souvent « politiquement incorrects », mais sympas quand même, que cet art a connu, à ses origines, quelques-uns de ses beaux succès.

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Je pense, par exemple, à Bicot, aux Pieds Nickelés, aux Garnements de Rudy Dirks aux Etats-Unis… Du côté de la « littérature », il en a été de même, avec, entre autres, Fantômas… Avec aussi l’extraordinaire anti-héros, créé par Maurice Leblanc, Arsène Lupin ! Et c’est lui que nous retrouvons dans une bande dessinée de divertissement pur, dans un récit avec très peu de temps morts, avec une aventure inspirée par les romans de Leblanc, mais neuve quant à son déroulé, son contenu.

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Imaginez-vous que Nostradamus, en son temps, a prédit la date de la fin du monde ! Imaginez-vous que Lupin, après la mort de son ennemi juré, Sherlock Holmes, a pris la place, grâce à son génie du déguisement, de ce détective britannique mythique, et ce pour des raisons politiques. Imaginez-vous que tout cela va entraîner Lupin dans une série d’aventures, avec enlèvement de sa fille cachée, dans une résolution de plusieurs énigmes, le tout en compagnie de ses fidèles acolytes et d’une femme séduisante qui veut se faire nonne ! N’allez pas croire cependant que la confusion est au rendez-vous de cet album !

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Les auteurs, Jérôme Felix au scénario et Alain Janolle au dessin, parviennent, en effet, à respecter totalement le rythme et l’ambiance des aventures originelles. Le dialogue est excellent, le style mélo du début du vingtième siècle, scénaristiquement et graphiquement, avec ses rebondissements incessants, est bien le moteur du récit, les seconds rôles ont une place importante, la construction narrative en « séquences » correspond vraiment au style de Maurice Leblanc, avec toujours de l’humour et du suspense. Le tout est baigné dans une réalité historique, par petites touches, avec des références religieuses, politiques, littéraires, franc-maçonniques qui n’alourdissent en rien l’histoire racontée ! Oui, c’est de la bonne bande dessinée qui ne se prend jamais vraiment au sérieux, tout comme dans les romans de Leblanc, finalement… C’est donc un livre charmeur et réussi !

Jacques et Josiane Schraûwen

Arsène Lupin et le dernier secret de Nostradamus (dessin : Alain Janolle – scénario : Jérôme Felix – éditeur : Grandangle – octobre 2024 – 71 pages)

Caravage – L’ombre du peintre

Caravage – L’ombre du peintre

L’art, tous les arts, n’ont pas été toujours calfeutrés dans des salons, des musées, des cénacles… Villon était truand… Quant aux peintres des siècles passés, leurs aventures humaines, souvent, se vivaient dans les bas-fonds de la société, entre deux rencontres avec des mécènes fortunés…

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C’est le cas avec Michelangelo Merisi, dit Le Caravage. Né en 1571, ce peintre, qui fit de l’ombre et de la lumière les éléments essentiels de ses tableaux, est mort jeune, en 1610. Mais cette brièveté d’existence n’eut rien d’un tranquille trajet de vie, d’un chemin artistique serein. Clairs-obscurs furent ses tableaux, qui, sans doute, influencèrent les plus grands peintres qui l’ont suivi, de Rubens à Rembrandt entre autres, claire-obscure fut son existence, également. Surtout peut-être… N’est-ce pas, finalement, les aléas de la vie qui, toujours ou presque, permettent à l’art de s’exprimer en s’évadant des carcans de l’habitude et de ses normes ?

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Cette existence, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle fut mouvementée, a déjà inspiré, en bande dessinée, Manara… Ici, avec Ernesto Anderle, le ton et la construction du récit de la vie du Caravage sont très différents. Le dessin, déjà, s’éloigne volontairement de toute comparaison et, ce faisant, de tout réalisme, pour s’enfouir dans les tréfonds d’une vie dont le génie se coltinait avec la misère, la colère, le délit. L’auteur nous offre un portrait qui, nourri de la grande Histoire bien évidemment, s’enfouit beaucoup plus dans ce qu’on peut appeler la part d’ombre, donc de lumière, de cet artiste aux folies outrancières, aux provocations sans retenue.

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En contrepoint de ce récit dessiné, avec un graphisme très personnel, virevoltant, presque surréaliste parfois, aux couleurs impressionnantes, un récit orchestré en chapitres, l’éditeur (Petit à Petit) nous fait entrer plus profondément dans l’œuvre de ce peintre exceptionnel… Un peintre qui, toute sa courte vie, n’a jamais oublié son expérience dans la somptueuse Venise… Une ville dans laquelle j’ai vu, dans je ne sais quelle église, une de ses œuvres, en ressentant, avec mon épouse, une émotion rare… Mais je m’éloigne, là…

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Ce qui est intelligent, donc important, dans les livres édités par les éditions « petit à petit », c’est ce mélange voulu, dans un cadre « culturel », de la bande dessinée dans ce qu’elle peut avoir de plus moderne, et de l’Histoire, grâce à des dossiers extrêmement fouillés sans jamais être lourds. Et c’est bien le cas, ici, avec ce livre. Quatre historiens de l’art s’y attachent à relier les chapitres les uns aux autres par des références historiques, certes, par une iconographie qui permet réellement de relier le dessin « bd » à l’œuvre du Caravage, et le tout avec une fluidité de langue remarquable… Le mot « vulgarisation » perd ici tout ce côté vulgaire qu’il peut avoir dans la bouche de certains intellos fatigués !

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J’aime beaucoup cet éditeur, capable ainsi de mêler à la réalité historique une bande dessinée aux réalités très diverses. Et ce Caravage mérite le détour, et donne l’envie, que j’ai ressentie et assouvie, d’en savoir plus sur ce peintre au génie évident, à la vie malmenée, aux œuvres dans lesquelles on ne peut que se plonger, des yeux et de l’âme…

Jacques et Josiane Schraûwen

Caravage – L’ombre du peintre (auteur : Ernesto Anderle – éditeur : petit à petit – 2024 – 221 pages)

On Ne Parle Pas De Ces Choses-là – Un livre important, comme une muraille dressée face à d’intolérables silences…

On Ne Parle Pas De Ces Choses-là – Un livre important, comme une muraille dressée face à d’intolérables silences…

Je l’ai déjà dit, mais je me répète… En bd comme en toute littérature, les modes provoquent bien des livres sans grand intérêt ! Mais il y a aussi, dans cette masse de propositions plus ou moins artistiques, quelques merveilles réelles. Quelques livres qui DOIVENT être lus. C’est le cas avec celui-ci !

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Nombreuses et nombreux sont les auteurs qui parlent de la sexualité humaine et de ses dérives… De ses horreurs restées tellement longtemps cachées dans des placards au fond de greniers poussiéreux. De ces destructions d’enfance que la mémoire, parfois, refuse de nommer. De nos jours, les prises de parole des « victimes », même si, parfois, elles s’avèrent judiciairement fausses, même si restent en liberté tranquille des salauds incontestables comme l’innommable Matzneff, ces prises de parole dénonciatrices sont évidemment importantes… Pour faire évoluer les regards de tout un chacun sur des réalités lourdes à reconnaître, pour changer le monde, petit à petit…

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La « mode », dont je parlais tantôt, s’attarde beaucoup sur les viols, sur les agressions sexuelles concernant des « people ». Il est toujours agréable, pour « les gens », de voir une statue se faire déboulonner ! Les prises de parole, dès lors, débouchent sur une haine qui, finalement, ne sert strictement à rien. Cela dit, on parle peu (et mal) de ce que ces agressions ont de plus répugnant, lorsqu’elles s’attaquent (il n’y a pas d’autre mot) à des enfants. Ce qui, statistiquement, a lieu le plus souvent dans le cadre familial…

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« On ne parle pas de ces choses-là », à ce titre, est un livre-choc… Un livre intelligent… Un livre auto-biographique… Un livre qui, avec une véritable pudeur, parle de l’inceste ! Autobiographique, oui, et suivant une enquête pratiquement intime qu’a effectuée Marine Courtade, la scénariste de cet album. Une enquête qui commence en mars 2020. Marine déménage, son père vient lui donner un coup de main. La vue que Marine a depuis sa nouvelle demeure est étrange : un cimetière… Et son père lui dit qu’il aimerait être enterré dans le caveau familial, auprès de son propre père. C’est à partir de cette réflexion que cette jeune femme va sentir s’ouvrir une blessure secrète… Une blessure imposée par ce grand père qui a meurtri son passé, son enfance et qui continue à la meurtrir. Pourquoi, au fil des années, ce silence autour de ce que tout le monde savait ?… Pourquoi cet « honneur de la famille » à protéger ?…

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Et Marine, à partir des souvenirs qui, cruellement, viennent la rejoindre, la retrouver, va s’en aller à la recherche journalistique de ce qu’est ce silence… Et des raisons, ou plutôt des déraisons, qui en font, pour elle et pour tant d’autres garçons et filles à travers le monde, des victimes sans visage, des victimes qui, vieillissant, occultent ces gestes obscènes que nul n’a condamnés…

Pour ce faire, Marine va, personnellement totalement engagée, user de son métier de journaliste. Elle va faire le tour, micro à la main, de tous les membres de sa famille qui savaient, qui n‘ont rien dit, et ne disant rien, ont permis que ces choses-là puissent exister !

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Ce livre, donc, nous relate cette enquête journalistique… Et chaque interview, et chaque rencontre que fait Marine l’enfouissent de mille et une manière dans ce qu’est le monde du silence, le vrai, le douloureux, le traumatisant… Un silence qui est celui de ces « témoins » immobilisés pour des raisons de toutes sortes, par des fuites adultes de leur propre enfance peut-être… C’est un livre sombre qui, à la suite de Marine, nous entraîne dans les méandres lâches et bien-pensants de l’âme humaine, de ce que sont les gens « normaux »… Je parlais de pudeur dans les mots, parfois même d’une certaine froideur, d’une certaine distance. Je peux parler aussi d’une identique pudeur dans le dessin d’Alexandra Petit. Un dessin vif, souple, comme tracé et colorisé dans l’urgence de l’immédiateté, qui réussit, en quelques traits, et au-delà des mots, à exprimer une personnalité, des sensations, des sentiments, des fuites, des manques de regrets, des impossibilités à remettre en question la « nécessité » du grand silence ! Ce dessin, à la frontière du réalisme, accompagne la douleur de Marine tout au long du livre, sa douleur, ses larmes aussi, silencieuses parfois également, ce dessin fusionne complètement avec le texte, avec le récit, avec l’histoire racontée et qui n’a rien d’imaginaire…

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Vous l’aurez compris, « On ne parle pas de ces choses-là » n’est pas un livre « facile »… Il se lit au rythme de ses propres interrogations, de ses propres souvenances. Il est aussi une œuvre mémorielle dans laquelle la victime ne fait état, à aucun moment, de haine… Ce n’est pas un livre qui juge… C’est un livre qui montre… Et qui, malgré la noirceur qui s’y étale au fil des interviews, n’est jamais totalement négatif… Et qui se termine sur un dossier sérieux, qui décrit et analyse l’inceste en France… C’est une bd qui, surtout, se termine comme en un rayon d’espoir avec ces quelques lignes… « J’ai souvent pensé la vie en noir et blanc. Soit j’aime, soit je déteste. Je considérais le silence de ma famille comme noir. Comment peut-on se taire face à un tel crime ? J’ai compris, en discutant avec chacun d’entre eux, que le silence est en fait une couleur grise. »

Jacques et Josiane Schraûwen

On Ne Parle Pas De Ces Choses-là (dessin : Alexandra Petit – scénario : Marine Courtade – éditeur : Casterman – avril 2025 – 223 pages)