Raoul Cauvin était un homme qui n’avait pas sa langue en poche… Pour l’avoir rencontré quelques fois, pour avoir parlé avec lui de tout et de rien, je peux dire que sa gentillesse était à la hauteur de son humour. Un homme charmant, in homme charmeur qui manque déjà au monde du neuvième art !
Quand on parle » bd « , on parle d’un univers qui n’a rien d’un bloc immédiatement définissable, d’une entité unique. Il y a un monde de différence entre Moebius et Franquin. Il y a tout autant de manque de similitudes entre Cauvin et Dufaux. Mais tous, dessinateurs et scénaristes, participent à la même aventure : faire de la bd un territoire où chacun peut trouver ce qu’il y cherche, ses propres plaisirs, ses propres aventures.
Il est de bon ton, parfois, de nos jours, de dénigrer la bande dessinée populaire. De mettre en évidence ce qui est à la mode, ce qui plaît à une certaine intelligentsia. C’est oublier que sans ce public qui aime et achète des séries à succès et ouvertes à tous les publics, le monde de l’édition n’aurait pas les moyens de publier des nouveaux auteurs. La bande dessinée a certes évolué au fil des années, mais elle est et doit rester aussi un art populaire. Et c’est incontestablement dans cette » popularité » que s’inscrit toute l’œuvre de Raoul Cauvin. Scénariste à succès, il est pratiquement impossible de recenser toutes ses collaborations. Sa longue et prolifique carrière se construit dans la lignée de ceux qui, avant lui, firent du scénario de bande dessinée une école de qualité : Goscinny et Greg par exemple. Et tous ces scénaristes ont ce qu’on peut appeler une » patte « . Un style, reconnaissable. Et donc, essentiel à la grande histoire de la bd. Un style qui en fait, au-delà des qualités de ses scénarios, un des meilleurs » vendeurs » d’albums !
Avant d’en arriver à scénariser des séries qui, pour la plupart, continuent encore à remplir les rayons des librairies, Cauvin a fait bien des boulots. De l’animation, de la photo, par exemple. Des photocopies aussi ! Jusqu’à ce qu’il se décide à prendre le stylo pour oser mettre sur papier les mille images qui, déjà, lui envahissaient l’imagination. Il a rencontré ainsi tous les grands de la bd. Il les a côtoyés. Et, parmi eux, il en est un qui lui reste un » maître « … Maurice Tillieux fut un dessinateur et un scénariste aux talents démesurés. Il faut aussi pour Cauvin comme un mentor.
Il est un livre à ne pas rater, une monographie, qui nous permet de découvrir toute la carrière, mais aussi toute l’existence de ce scénariste hors du commun, père tranquille de la bande dessinée en quelque sorte. On y parle de son enfance, des métiers qu’il a usés jusqu’à la corde avant de pouvoir enfin réaliser son rêve, l’écriture de petites histoires à mettre en bd. Et Patrick Gaumer, l’auteur de cette monographie, a eu l’intelligence de faire parler Cauvin, de laisser une grande place dans son livre aux propres mots du scénariste. Il a également construit son livre par chapitres, des chapitres abondamment illustrés, dans lesquels on se jette à la rencontre de tous ceux et de toutes celles (même Claire Bretecher…) qui ont collaboré avec Cauvin. Il y a quelques coups de gueule, il y a des souvenirs, il y a une chronologie claire et bien élaborée, qui semble ne rien laisser dans l’ombre. Et même si Cauvin n’était pas chaud pour une telle entreprise, même s’il ne s’est décidé à y collaborer, de loin, que sur l’instance de son épouse, il revendique totalement la réussite de ce livre, une réussite qu’il n’impute qu’à son auteur.
Cauvin a eu, tout au long de sa carrière, même s’il est boudé par Angoulème (au même titre que bien d’autres grands de la bande dessinée tous-publics…), pas mal de prix, de médailles. Mais tout cela pour lui appartient au folklore… Ce qui compte, comme il le dit, c’est le public, ce sont les lecteurs. Scénariste d’humour, et d’humour uniquement, exclusivement, Cauvin s’amuse à amuser…
Bien sûr, avec des séries aussi nombreuses que les siennes, avec les gags en une page qu’il n’arrête pas depuis des décennies d’imaginer, de créer, il y a parfois, et c’est normal, des redites. Mais même avec cette espèce d’habitude à l’écriture qui est certainement devenue sienne, les planches qu’il scénarise continuent encore et toujours à avoir du succès. Pourquoi ce succès ? Parce que Cauvin sourit et fait sourire. Parce qu’il s’inspire de la vie telle qu’elle est, avec plus de malheurs que de bonheurs, pour créer, gentiment, des situations qui l’amusent et qui nous amusent. Avec, parfois, comme pour Pierre Tombal ou les Femmes en blanc, un petit détour par un humour quelque peu sombre, mais toujours gentil… C’est cela, sans doute, la première caractéristique de Cauvin : être près des gens dont il parle, et l’être d’abord et avant tout avec gentillesse.
Jacques Schraûwen
Cauvin : la monographie (auteur : Patrick Gaumer – éditeur : Dupuis