Les Fesses à Bardot – Un village proche de Clochemerle et la magie du cinéma…

Les Fesses à Bardot – Un village proche de Clochemerle et la magie du cinéma…

Philippe Pelaez est un scénariste que j’aime suivre, d’album en album, de thématique en thématique… Et il parvient toujours à m’étonner !

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Cette fois, il nous emmène, avec son complice Gaël Séjourné, à la fin des années 50… Le cinéma vient d’entamer un virage important, en créant le mythe de quelques stars dont le premier talent semble, à première vue et erronément, être celui du charme, d’un charme sexy… Monroe aux Etats-Unis, et, évidemment, Brigitte Bardot en France et en Europe ! Et voilà que Conrad Knapp arrive dans un village tranquille, avec comme but avoué de chercher le lieu du prochain film dans lequel « la Bardot » jouera, en compagnie de Jean Gabin…

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Et dans ce village loin de tout, dans lequel il ne se passe jamais rien, cette arrivée va très vite faire beaucoup parler… Il faut dire que, pour appuyer la véracité du but de sa présence, cet individu venu de la ville possède un cliché exceptionnel… Brigitte Bardot montrant ses fesses dans une scène censurée, ou en tout cas coupée au montage, du superbe film d’Autant-Lara, « En Cas de Malheur », réunissant Bardot et Gabin, justement…

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Cette photo, tout le monde veut la voir… Puisque Dieu a créé la femme avec Vadim, pourquoi ne viendrait-elle pas vivre quelques journées dans ce bled possédant, jute à côté de l’église, une salle de cinéma ! Tous les habitants, dès lors, vont se plier en quatre pour influencer la décision de ce visiteur inattendu, pour qu’un jour leurs ruelles et leurs maisons servent de décor à la plus sulfureuse des actrices et au plus imposant des acteurs !

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Tous les habitants ?… Non, bien évidemment… Il y a le curé et une revêche grenouille de bénitier qui s’y opposent, de toutes leurs forces. Mais, en face d’eux, ll y a le duc, propriétaire du château, et tout le reste de la population, tous les hommes, en tout cas, tous les gamins aussi ! C’est à partir de ce moment-là qu’on plonge, lecteurs amusés, dans le spectacle, oui, d’une sorte de Clochemerle… Mais raconté par quelqu’un comme Pagnol… Et dialogué par des scénaristes comme Audiard, Prévert, Barjavel, ou Spaak… C’est à partir de là que l’anecdote du récit se transforme en une narration haute en couleur, en une suite de portraits d’habitants d’un village dans la France des années 50… Des portraits qui réussissent à ne jamais user du vitriol des mots et, de ce fait, à rester proches, à la fois, de tous les « acteurs » de ce livre et de l’époque dans laquelle ils nous entraînent à leur suite…

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Je dirais que, dans l’ambiance en tout cas, il y a du « Dubout » dans ce livre… Mais le dessin de Séjourné ne cherche à aucun moment à imiter qui que ce soit. Ce dessinateur a une façon de recueillir sur les visages qu’il dessine les sensations et les sentiments de tous ses personnages qui fait de son « travail » graphique comme la continuation d’une efficace mise en scène… Il est aussi chef opérateur, responsable de la lumière et de la couleur, et cet album est un petit bijou de luminosités de toutes sortes, de chaleurs presque palpables, d’ambiances totalement réussies.

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Ce qu’il faut souligner, c’est que ce livre est passionnant à lire, d’abord ! Parce qu’il fourmille de clins d’œil, de citations, de Guitry par exemple. Parce qu’à aucun moment il n’est caricatural. Parce qu’il fait sourire et rire. Parce qu’il est écrit et dessiné à taille humaine, donc à taille de crédulité, de sentiments quelque peu vénaux, d’opposition entre morale et liberté. Parce que, surtout, à travers une aventure humaine qui fait parfois ressortir ce que l’âme a de pire en elle, Pelaez se fait presque sociologue. Et ce n’est pas gratuit que de le voir mettre dans la bouche du duc ces mots : « Le cinéma est une allégorie. L’allégorie de la condition humaine ».

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Il y a aussi, de quoi peut-être alléger le récit, de quoi, en tout cas, mettre en contrepoint de Bardot une femme réelle, pas une star de cinéma, il y a la très jolie et très intelligente Julie… Cela dit, ce scénario n’est nullement un scénario à suspense… Ce qui ne veut pas dire qu’il est sans surprise, loin de là ! C’est une sorte de tranches de vies au pluriel. Le lecteur comprend très vite que cet « agent » du cinéma n’est qu’un arnaqueur !  Et il y a un vrai plaisir à attendre le moment où il va être démasqué ! Et arnaqué à son tour… Mais pour savoir par qui et comment, il va falloir que vous lisiez ce livre, bien sûr !

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Dans cet album, dessinateur et scénariste, on le ressent, s’en sont donné à cœur joie… Les jeux de mots et d’images sont nombreux, éveillant des rires réels parfois, comme avec ce dessin qui nous montre le curé bien-pensant occupé à un besoin naturel, comme avec ce mot qui ressemble à une contrepèterie : « Ce trou à un duc » !

Un très bon livre, vous l’aurez compris, un livre d’auteurs, comme l’était ce cinéma d’Autant-Lara, de Carné, de Vadim même…

Un livre que vous ne pourrez qu’apprécier comme je l‘ai apprécié, j’en suis convaincu. Et pas uniquement, loin s’en faut, par nostalgie!

Jacques et Josiane Schraûwen

Les Fesses à Bardot (dessin et couleur : Gaël Séjourné – scénario : Philippe Pelaez – éditeur : Grandangle – 2025 – 160 pages)

Les Enquêtes Du Lieutenant Bertillon – chronique express

Les Enquêtes Du Lieutenant Bertillon – chronique express

Une série dont deux albums sont déjà disponibles… Du polar original…

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Cette série, parue chez Dupuis, a de beaux jours devant elle, très certainement ! Cyrille Pomès au dessin et Carine Barth au scénario parviennent, en effet, à nous faire rencontrer un personnage, un flic, qui s’éloigne des clichés du genre… Ou, plutôt, qui réussit à faire se fusionner plusieurs de ces clichés pour faire de ce lieutenant Bertillon une sorte de héros toujours à la marge… Deux albums sont déjà parus, donc. Dans le premier, « Amotken », on parle d’un incendie et d’un mort chez des forains, on s’y plonge dans des secrets de famille, des amours étranges, des problèmes d’argent… Dans le deuxième, « Sedna », Bertillon est muté dans la banquise : un bateau, disparu depuis trois ans, brisant la glace, montre à Bertillon que les souvenirs ne sont pas toujours bons à réveiller ! Dans le froid et l’incompréhension, ce lieutenant de police va découvrir de nouveaux univers, dans lesquels d’étranges traditions, un peu d’ésotérisme, des folies, une chèvre, un pingouin (ou un manchot) vont, à leur manière, guider le petit lieutenant un peu paumé vers une forme de solution…

Il faut souligner dans ces albums l’art des dialogues ! Peaufinés, ils définissent autant que le trait les différents personnages. A souligner, aussi, la création d’un héros atypique, un dessin d’ambiance, le tout avec des rebondissements qui rythment le récit, et la couleur de Drac sans laquelle je pense que le dessin serait trop confus…

Jacques et Josiane Schraûwen

Colette – Un Ouragan Sur La Bretagne

Colette – Un Ouragan Sur La Bretagne

Depuis quelques années déjà, les étals de bandes dessinées voient apparaître énormément de biographies, d’adaptations d’œuvres littéraires. La plupart de ces albums, reconnaissons-le, peuvent être vite oubliés. Il en est, fort heureusement, qui sortent du lot ! Celui-ci, paru il y a quelques mois déjà, en fait partie…

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J’ai par exemple parlé ici de l’extraordinaire « Sa majesté des mouches » d’Aimée De Jongh… J’ai ici aussi, en son temps, parlé de plusieurs livres de Catel… Autant d’albums qui dépassaient la mode éditoriale et ses facilités pour devenir des livres à part entière dans un monde, celui du neuvième art, qui se différencie toujours, et doit le faire, des autres arts comme la littérature ou le cinéma. Et c’est le cas de ce livre-ci, aussi !

D’abord parce que le scénariste, Jean-Luc Cornette, aime depuis longtemps déjà se confronter avec des personnages réels. Il y a eu entre autres Frida Kahlo… Klimt… Louise Brooks… Ensuite, parce qu’il choisit ici de ne s’approcher que d’une tranche de vie de Colette, son sujet, de consacrer donc son propos à un espace de temps réduit. Dès lors, il a tout loisir de nous faire découvrir une existence dans un quotidien qui, à sa manière, éclaire l’œuvre de Colette, sa personnalité surtout, et sa liberté…

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Colette, en 1910, tombe amoureuse de la Bretagne, d’une villa qu’elle achète et qu’elle habitera, en une vie de bohème, jusqu’en 1926. Amoureuse de la Bretagne, oui… Amoureuse simplement, aussi, de tout ce que la vie peut lui offrir comme plaisir… Comme plaisirs, pluriels, donc charnels… Comme plaisirs en dehors des normes et des morales de toutes sortes, elle qui écrit, certes, mais qui se montre sur scène, également, n’hésitant pas à y faire preuve à la fois de sa beauté dénudée et de ses penchants sensuels qu’on pourrait dire se situant dans toutes les directions de la boussole de la sensualité.

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C’est tout cela que nous montre cet album : une vie nantie, certes, celle d’une sorte de star de la littérature se faisant, avec plus ou moins de conscience, l’égérie d’une forme de féminisme sans combat, un féminisme qui s’attache d’abord à la liberté, celle de l’individu, celle de la femme dans un monde d’hommes. Jean-Luc Cornette se contente alors, en quelque sorte, de s’effacer derrière ce personnage réel pour construire, avec originalité dans ses « raccourcis » qui allègent réellement son propos, avec simplicité aussi, un portrait qui nous parle autant de désir que d‘écriture, de Bretagne que d’envie incessante d’aller ailleurs. Un portrait de femme qui se fiche complètement de l’image qu’elle peut donner d’elle, elle qui multiplie amantes et amants, sans chercher quelque alibi que ce soit à cette envolée presque dansante dans les méandres d’amours qui se suivent et, tous, voient Colette réellement, totalement éprise, même si ce n’est que pendant le temps d’une folie entre des bras, entre des draps, ou sur une plage…

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Une existence humaine ne peut, certes, être résumée… Et certainement pas par le biais d’une seule de ses vérités. Mais elle peut se dessiner, et dessiner l’époque de son existence, justement par le prisme d’une de ses caractéristiques. C’est ainsi que ce livre, en nous racontant les amours et les rencontres de Colette, avec Musidora, avec Henry de Jouvenel qui fut son mari, avec le fils de ce dernier, aussi, en nous montrant Colette vivre ses étreintes et ses passions en s’amusant sans cesse, c’est de cette manière, oui, que Cornette et Joub, le dessinateur, nous font assister à toute une époque… Celle de l’avant grande guerre, celle de cette guerre des tranchées regardée de loin par Colette et sa Bretagne comme par bien des gens en France… Celle de l’après-guerre et ses insouciances, et ses espérances dont on devine qu’elles seront déçues un jour ou l’autre…

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Le dessin de Joub a la simplicité du scénario de Cornette. Ce qui ne veut pas dire, loin s’en faut, qu’il s’agit de simplisme ! Joub a un graphisme lumineux, souriant, avec un sens du mouvement évident, avec un plaisir à exprimer les sentiments, et donc les sensualités, au travers des lèvres et des yeux de ses personnages. Et pour nous montrer Colette en pleines actions amoureuses, Joub reste tranquillement pudique… Et c’est cette sorte de fusion entre un dessinateur et son scénariste qui fait de ce livre une réussite… Un album qui se lit avec plaisir. Et qui donne envie, ma foi, de (re)lire « Le blé en herbe » !

Jacques et Josiane Schraûwen

Colette – Un Ouragan Sur La Bretagne (dessin : Joub – scénario : Jean-Luc Cornette – éditeur : Marabulles – 2024 – 110 pages)