Walter Fahrer – un dessinateur discret au dessin tranchant

Walter Fahrer – un dessinateur discret au dessin tranchant

Il avait 85 ans… Sans être une figure de proue du neuvième art, cet illustrateur et bédéiste argentin a eu une carrière « populaire » réussie, de qualité, dans un univers réaliste, de polars souvent, extrêmement animés.

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L’Amérique Latine a offert, en littérature comme en bande dessinée, bien des auteurs au monde de la culture… Des écrivains et des dessinateurs empreints d’une ambiance qui, toujours, avec poésie, avec violence aussi, avec révolte parfois, avec un sens aigu du mystère et du fantastique quotidien également, racontent le monde avec une évidente originalité. Fahrer, certes, n’a pas eu l’aura que bien des auteurs de bd de ce continent lointain ont eue ! Mais son œuvre reste qualitativement importante, dans une optique d’abord et avant tout populaire…

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Aux côtés de Breccia, de Munoz, de Ceppi, entre autres, sa présence ne dénote nullement, même si son graphisme se rapproche plus, finalement, de la bd franco-belge que de la bande dessinée argentine.

Fahrer a commencé sa carrière à la fin des années 50, sans son pays natal, l’Argentine, d’abord comme illustrateur, ensuite, très vite comme auteur de bd. Grand voyageur, curieux de la vie comme du monde, il devient l’ami d’Hugo Pratt. Et c’est avec lui que, dans les années 60, il quitte le nouveau continent pour la vieille Europe, pour l’Italie, pour la France aussi.

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On y trouve ses histoires de jour en jour dans des journaux comme « L’Aurore » ou « France Soir ». Du travail rapide, qui va former son trait, lui offrir à la fois la souplesse et le mouvement qui le rendent reconnaissable très vite et qui devient partie prenante d’une intrigue qui se doit d’être linéaire et directe. Il fut, ainsi, par exemple, le dessinateur de « OSS 117 »… Et de bien d’autres « séries » que les lecteurs de la presse quotidienne aimaient lire entre deux articles sérieux…

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Remarqué par Greg, il entre au journal de Tintin, dans lequel ils créent ensemble le personnage de Cobalt. Avec Claude Moliterni, autre grand scénariste des années « populaires » de la bande dessinée, il crée Harry Chase… Des héros à la frontière de la « faille », toujours, des héros désabusés, toujours, des héros aux faiblesses évidentes, aussi, entourés, évidemment, par d’accortes jeunes femmes inspirées par les vamps du cinéma noir américain.

Mais Fahrer, voyageur infatigable, se baladant d’Europe en Argentine, de Brésil en Etats Unis, multiplie les aventures graphiques, avec le superbe « Gato Montès » entre autres. Il a travaillé pour Glénat, pour Soleil, pour Dargaud, pour Casterman (avec « Mon nom n’est pas Wilson »). Il a sans cesse passé son temps, semble-t-il, à s’amuser à vivre…

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Walther Fahrer semble, quand on regarde son œuvre, aimer rester dans l’ombre… Il aime les histoires sans trop de fioritures, avec des personnages bien « marqués » sans être pour autant caricaturaux. Il aime, sans aucun doute possible, des récits qu’on peut lire rapidement, qu’on peut aussi redécouvrir plus calmement, et y trouver, comme dans toute œuvre de qualité, des références nombreuses au monde qui est nôtre. Au vu de son existence, je pense que Fahrer fut surtout un homme de plaisir : plaisir de voyager, de découvrir, de vivre, de cultiver l’amitié, de partager ses images toutes pleines d’impressions et d’expressions qui en rythment les récits…

Fahrer, c’est un de ces artisans de la bande dessinée sans lesquels ce média ne serait jamais devenu un art, le neuvième !

Jacques et Josiane Schraûwen

P. Joubert – Rétrospective

P. Joubert – Rétrospective

Des milliers de dessins, des techniques très différentes les unes des autres, du réalisme puissant et de l’humour léger, de la poésie et de l’observation… C’est tout cela qui fait de Pierre Joubert un illustrateur qui a marqué de son talent le vingtième siècle !

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Un jour, il y a bien longtemps, je devais avoir onze ans… J’étais louveteau et, dans la bibliothèque de mon unité scoute, un livre a attiré mes regards, par sa couverture… Je l’ai emprunté… Il s’appelait « La mort d’Eric », était signé par Serge Dalens, et illustré par Pierre Joubert.

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En quelques pages à peine, je suis devenu accroché du cœur et du rêve à cette collection, « Signe de Piste », et à ce dessinateur qui, pour le gosse déraciné un peu paumé que j’étais, réussissait à créer des rêves d’aventure et d’amitié… Des rêves qui ne m’ont jamais abandonné, comme ne m’a jamais abandonné la passion que j’ai pour ce dessinateur exceptionnel !

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Et si j’ai lu, ensuite, les aventures de Bob Morane, c’était parce que les couvertures étaient dessinées par Joubert… Je me suis laissé dire qu’Henri Vernes, parfois, changeait un peu son texte pour qu’il corresponde au dessin de Joubert… Lorsque j’ai rencontré ce prolifique écrivain, il ne m’a pas contredit, il s’est contenté de sourire…

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Un jour, la commune d’habitation d’Henri Vernes, Saint-Gilles à Bruxelles, a annoncé en grandes pompes et en petits fours la décision de créer une fresque rendant hommage à cet écrivain au travers d’un dessin… Un dessin que les intellectuels fatigués de cette commune avaient attribué à Forton, chose imbécile que j’ai corrigée pendant ce petit pince-fesses, puisque c’était de Joubert qu’il s’agissait… Cette fresque murale et citadine n’a bien évidemment jamais vu le jour, la politique démontrant sa richesse par le nombre de ses promesses non tenues !

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J’ai, quelques années plus tard, passé une journée avec Pierre Joubert, pour la préparation, sous la houlette du journaliste Gérard Valet, d’un film documentaire qui aurait dû lui être consacré, ce que la triste frilosité des penseurs des médias télévisés n’a pas permis. J’ai rencontré là un homme souriant, intègre, humble aussi… Presque étonné du nombre de ses dessins mis en banc-titre par Gérard Valet…

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Vous me direz que Pierre Joubert n’a rien à voir avec la bande dessinée… Je lui avais demandé, d’ailleurs, à l’occasion de cette journée, pourquoi il n’avait jamais fait de bd… Il m’a répondu, simplement, le sourire au coin de l’œil : parce qu’on ne me l’a jamais demandé… Sans doute n’a-t-il jamais, en effet, dessiné une vraie bd, avec bulles, etc., mais, par contre, l’influence qu’il a eue auprès de bédéistes essentiels est indéniable ! Des artistes qui lui ont rendu hommage, en 1987, dans un superbe livre intitulé « Les Chemins De L’Aventure ».. Pleyers, De Moor, Mitacq, Juilliard, Piroton, Follet, Vandersteen : rien que du beau monde ! Auquel on peut rajouter Hermann, Lepage, Pellerin… Et d’autres encore! Jusqu’à Levis!

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Pierre Joubert a accompagné mon existence… Je partageais avec Josiane cette passion pour un artiste dont le talent était de parvenir, en un dessin, à raconter une histoire… Joubert ne se contentait pas d’illustrer un propos, un extrait… Il résumait en une couverture tout ce que le livre allait pouvoir offrir à ses lecteurs… Il exprimait, en une illustration intérieure des livres de la collection Signe de Piste, un moment du récit, certes, mais en y ajoutant, comme si de rien n’était, l’intensité des sentiments que ce moment racontait… Les illustrations de Joubert, à ce titre, n’ont jamais été un complément pour les livres qu’il a illustrés, mais bien plus une continuité, une envolée de l’imaginaire de Joubert face à l’imaginaire d’un écrivain…

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Et donc, voici, après bien des livres qui lui ont été consacrés, deux nouveaux albums à ne pas rater par tous les amoureux du dessin ! Deux volumes, pour une rétrospective chronologique de toutes les aventures éditoriales, mais surtout graphiques, de Pierre Joubert… Une rétrospective qui, en deux opus donc, nous conduit de l’année 1927 à l’année 2000. 73 années pendant lesquelles un homme a passionné des générations de lecteurs, en leur faisant partager ses propres passions! Et ces deux livres nous font ainsi entrer dans tous les univers de Joubert…

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Bien sûr, le scoutisme occupe une place prépondérante dans l’œuvre, et la vie, de Pierre Joubert. Le scoutisme, oui, et ses valeurs d’aventure, mais de solidarité, d’amitié, de résistance aussi à des normes sociétales et parentales trop pesantes parfois… Ce scoutisme qui évolue au fil du temps, parfois bien, parfois mal, mais qui reste accroché à l’âme de tous ceux qui y ont trouvé, non pas un idéal, mais une forme fondamentale de tolérance…

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Mais Pierre Joubert, c’est aussi de la publicité… Des couvertures de chez Marabout, du western extraordinaire de Pierre Pelot, Dylan Stark, entre autres… Des couvertures et des illustrations pour des tas de revues… Des calendriers scouts de Belgique… Des croquis de voyage… Des livres sur l’héraldique et sur la marine… Des couvertures pour des éditeurs comme « Presses de la Cité »… Oui, Pierre Joubert a même illustré des couvertures de romans de Konsalik ! Et c’est tout cela qu’on retrouve dans ses deux livres somptueux ! Avec, en point d’orgue, l’extraordinaire livre que Joubert a consacré aux ivresses de Rimbaud!

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J’ai adoré me perdre dans cette chronologie artistique… J’ai adoré sentir se réveiller bien de mes souvenirs qui m’ont permis, aujourd’hui, d’avoir la certitude de ne pas avoir trahi le gamin ébloui par Joubert que j’ai été. J’ai été heureux de ne pas trouver (mais peut-être est-ce une erreur de ma part) dans ce diptyque, deux « œuvres » de Joubert qui trônent sur une de mes bibliothèques : « Badge D’Or » et « Le Jeu des Ayacks » !

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J’ai adoré ces deux livres… Et j’ai la certitude que vous ne pourrez que faire de même ! En découvrant, par exemple, au détour d’une page, une couverture que Joubert, à la demande de Fromental, a un jour dessinée pour une revue qui, pourtant, n’appartenait vraiment pas à son univers, Metal Hurlant…

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Ne ratez pas ces livres… Ils rendent hommage, avec une iconographie impeccable, à un artiste complet, dont les chemins continuent et continueront pendant longtemps à s’offrir aux pas des amoureux du dessin !

Jacques et Josiane Schraûwen

P. Joubert – Rétrospective (deux  volumes – éditeur : Plein Vent)

Michel Schetter : un dessinateur farouchement indépendant

Michel Schetter : un dessinateur farouchement indépendant

Il avait 76 ans. Il est mort il y a une semaine. Avec lui, c’est un auteur libre qui disparaît, un dessinateur réaliste dont les sujets semblaient ne plaire ni aux éditeurs ni aux collectionneurs…

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La grande histoire de la bande dessinée n’a rien de linéaire, et elle a souvent été un combat entre auteurs et éditeurs… Entre patrons et employés… On ne peut que se rappeler, par exemple, des luttes d’ego au sein du studio Hergé !

J’avoue ne pas connaître les raisons qui ont poussé, un jour, Michel Schetter, à claquer la porte du monde des maîtres-éditeurs, mais cela ne l’a pas empêché, le plus possible, malgré les embûches inhérentes à la vie indépendante, de continuer à dessiner, à écrire, à créer…

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C’est au début des années 70 qu’il apparaît dans le paysage des petits mickeys, avec l’Oncle Paul, avec de la colorisation pour Tibet. Passant de Spirou à Tintin, il va se lancer résolument dans la bande dessinée réaliste, avec un graphisme restant dans l’évidente lignée de la tradition de cette approche du neuvième art.

copyright Glénat

Mais c’est grâce à sa collaboration avec l’éditeur Jacques Glénat que Michel Schetter va devenir « lui-même », auteur complet de la série « Cargo ». On y trouve tous les ingrédients de l’aventure avec un A majuscule : des femmes fatales, des lieux exotiques, des rebondissements sans fin, des combats, de la haine, de l’amour, de la trahison… On est presque, à certains moments, dans une ambiance à la Bob Morane, mais sans mythologie du héros parfait, avec une vraie construction narrative aussi.

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Tantôt dessinateur, tantôt scénariste, Michel Schetter a décidé un jour de l’année 1990 de ne plus dépendre que de lui-même. En une époque où l’auto-édition était considérée comme un pis-aller pour les pseudo-esthètes de la bd, Michel Schetter, pour ne pas avoir sans doute à se trahir, à dépendre de diktats qui ne lui correspondaient pas, s’est plongé dans une aventure artistique et humaine avec passion… Et il s’est ainsi retrouvé dans une sorte d’univers parallèle du neuvième art, jamais exclu, mais jamais non plus véritablement accepté. A ce titre-là, sans aucun doute, Schetter occupe une place précise dans les méandres historiques de l’édition bd.

copyright schetter

Auteur hennuyer, auteur d’une bd belgo-française puissante, avec un découpage parfois anarchique mais presque toujours efficace, Michel Schetter n’est jamais parvenu à rejoindre le peloton des « grands » auteurs… Sans doute en avait-il le talent… Mais il n’en avait certainement pas l’ambition, ni le goût, probablement, de certains compromis plus ou moins artistiques, plus ou moins mercantiles…

Jacques et Josiane Schraûwen