Sertao – le récit d’un combat au vainqueur inattendu !

Sertao – le récit d’un combat au vainqueur inattendu !

Face au génie incontestable d’Hugo Pratt, on oublie souvent qu’il eut des collaborateurs, dont le talent est, lui aussi, tout aussi indéniable. C’est le cas de Lele Vianello, qui nous plonge ici dans une fable amère et sanglante…

Nous sommes, avec ce livre, dans un univers que la bande dessinée a déjà exploré plusieurs fois. Celui des Cangaçeiros qui, jusqu’au début du vingtième siècle, ont « sévi » dans les campagnes et les provinces du Brésil. On pourrait comparer ces troupes organisées à ce qu’en France on appelait les bandits d’honneur, ceux qui volaient aussi pour donner aux pauvres… Ces Cangaçeiros, en effet, dans les campagnes brésiliennes éloignées des grandes villes, dans cette région du Nordeste brésilien qu’on appelle « Sertao », région aride, dominée par de riches propriétaires terriens aux droits absolus protégés par une police et une armée toujours aux ordres, ces Cangaçeiros étaient les représentants de ce qu’on peut nommer un banditisme révolutionnaire.

Pour les découvrir autrement, je vous propose de prendre plaisir à vous replonger dans deux livres somptueux, et très différents l’un de l’autre : Catinga de Hermann, et « L’homme du Sertao » de Pratt…

copyright Mosquito

Et donc, aujourd’hui, je vous présente un autre album qui parle de ces combattants qui cherchaient sans doute à s’enrichir, mais en luttant, férocement, cruellement même, avec les nantis…

Certes, cet album date d’il y a quelques mois. Mais je maintiendrai toujours que cette politique des livres qui disparaissent au bout de deux semaines des étalages de librairies est ridicule ! Une manière de laisser toute la place aux grandes maisons d’édition, en oubliant les autres, les éditeurs qui font aussi un excellent boulot.

Donc, voici Lele Vianello nous emmenant dans le Sertao, en 1937, à la rencontre de quelques personnages bien typés sans jamais être caricaturaux.

copyright Mosquito

Il y a un groupe de Cangaçeiros dirigés par un nommé « Rédempteur », un être mystérieux aux yeux cachés par des lunettes noires.

Il y a Ezéquiel, un paysan qui vient régulièrement ravitailler les rebelles du Rédempteur, et qui rêve de se rendre maître de son trésor de guerre. Un être veule, lâche et prêt à toutes les trahisons.

Il y a un policier, austère, le capitaine Da Silva, qui semble engoncé dans sa mission mais qui rêve, lui aussi, de ce trésor caché, et des possibilités que cela lui offrira de quitter cette région sans âme… Il rêve aussi à la très belle épouse d’Ezéquiel, la superbe Helena.

Et tous ces protagonistes deviennent les héros d’une tragédie dont le lecteur croit pouvoir deviner la fin, l’ultime déraison. Mais sous le soleil du Brésil et au cours de la lutte pour une certaine justice et une liberté tout aussi certaine, les apparences sont toujours trompeuses…

Une tragédie, oui, avec de la haine, de la trahison, du sexe et de l’indifférence, du pouvoir et du désir, de la mort et de la cruauté.

copyright Mosquito

Ce livre se savoure, des yeux d’abord et avant tout. Le dessin de Vianello est sublime, sa technique du noir et blanc est sans défaut, et son sens du découpage, très cinématographique, est d’une totale efficacité. Ce dessinateur nous restitue aussi des physionomies, au travers des visages, qui expriment la vie, tout simplement… Et que dire de ses personnages féminins, presque traités à la Comès, ces femmes qui, par leurs attitudes presque hiératiques, se font déesses antiques…

Et puis, il y a les décors… Des lieux dont on ressent la moiteur et la torpeur, de page en page. Des paysages presque désertiques, aussi, dans lesquels on entend presque souffler des vents torrides…

Et c’est peut-être là, dans cette manière d’aborder le monde qu’il nous raconte, que Vianello est le plus parfait : il nous donne à écouter le silence, il nous donne à entendre la mort !

« Sertao » : un livre, vous l’aurez compris, qui trouvera sa place dans votre bibliothèque, avec Pratt, Comès, Hermann…

copyright Mosquito

Jacques et Josiane Schraûwen

Sertao (auteur : Vianello – éditeur : Mosquito – 2021 – 68 pages)

SOUSBROUILLARD

SOUSBROUILLARD

Des récits qui se mêlent pour un roman graphique envoûtant !

La BD, c’est aussi l’art de raconter des histoires… Et dans cet album, les histoires sont nombreuses, et font plus que raconter quelques quotidiens épars.

Sousbrouillard © Dargaud

Sara est une jeune femme qui ne connaît qu’une seule chose de son passé d’enfant trouvée : un bracelet de naissance que lui a remis, juste avant de mourir, sa mère adoptive. Et sur ce bracelet, un nom : Sousbrouillard ! Le nom d’un village perdu loin de tout dans lequel débarque Sara, à la recherche d’elle-même, et de ses racines.

Le canevas de ce scénario pourrait sembler manquer d’originalité, ne donner lieu qu’à un récit traditionnel, une quête romantique mitonnée d’enquête policière ! Mais il n’en est rien… On est dans une histoire qui mêle bien des genres…

Anne-Caroline Pandolfo : le scénario

Ce qui est particulier réussi, dans ce livre, c’est le jeu que les auteurs pratiquent avec différents codes narratifs : codes des récits d’horreur, avec une maison isolée, la pluie, un majordome très « typé », codes du mélodrame au fil de plusieurs des histoires narrées, codes du polar, aussi, puisque Sara découvre vite qu’il y a dans ce village un mystère originel, la disparition, dans le lac, d’un couple, dont on n’a jamais trouvé les corps…

Anne-Caroline Pandolfo : les codes narratifs
Sousbrouillard © Dargaud

On se trouve en fait, ici, en présence d’un livre qui aurait pu s’appeler « Sara au pays des merveilles cachées » ! Sara va découvrir que les habitants ont tous des liens entre eux. Elle va faire la connaissance d’une femme pasteur qui, plutôt que confesser ses ouailles, les pousse à raconter des histoires ! Et Sara devient l’auditrice de toutes ces petites histoires humaines sans lesquelles nous ne sommes rien… Ni les gens qui racontent, ni Sara qui écoute et pénètre ainsi dans son passé, dans SES passés…

Anne-Caroline Pandolfo : Alice…

Pour les auteurs de ce roman graphique, il y a une évidence : nous avons toutes et tous besoin d’histoires. Des récits vrais ou fictionnels dont les symboles forment la trame de la vie, tout simplement : on confie son histoire au silence d’une chapelle, on se plonge dans d’autres aventures humaines dans des livres nombreux et différents, de ces livres dans lesquels il y a autant de voix que d’étoiles dans le ciel. Le café de ce village s’appelle « L’éternité »… Les bougies chères à la femme pasteur lui sont comme les lumières de l’âme…

Sousbrouillard © Dargaud

Et tout cela forme un jeu de la part des auteurs, avec des références, des clins d’œil dans le scénario, comme dans le dessin de Terkel Risbjerg : il s’amuse à nous montrer, par exemple, Simenon et Leo Malet, accompagnés de Nestor Burma et de Maigret, alors que la scénariste, elle, fait apparaître, au détour d’une histoire, Dostoïevski…

Terkel Risbjerg : les références

Mais c’est surtout un livre passionnant, léger, merveilleusement agréable à lire. C’est un livre de personnages qui, tous, se libèrent en se racontant. Et ces récits, emmêlés et parallèles, créent une ambiance, tant dans le dessin que dans le texte, envoûtant, poétique. Ces histoires nous montrent que toute mémoire est une fiction, et que raconter, même en inventant, c’est aussi SE raconter ! Ces récits nous montrent également que le silence est ce qui rythment l’imaginaire pour qu’il se fasse image de la vraie vie !

Anne-Caroline Pandolfo : la vraie vie
Sousbrouillard © Dargaud
Terkel Risbjerg : le non-dit

Ces récits mélangent les existences, les époques, les lieux, sans jamais nous perdre en cours de route, et ils nous donnent l’envie, à nous, lecteurs, d’aller au-delà des apparences, sans chercher de morale ni de dénouement « normal ».

On revient à Lewis Caroll : Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg nous entraînent de l’autre côté du miroir… Donc des habitudes et des préjugés.

Dans nos placards, ce sont finalement moins des cadavres qui s’y cachent que des portes ouvertes vers d’inattendues merveilles !

Sousbrouillard © Dargaud

Et c’est ce qui fait de ce « Sousbrouillard » une sorte de voyage dans nos propres souvenances, donc dans nos propres racines…

C’est un livre plein de sens, tout simplement, de sensualité aussi… Et il faut souligner la qualité du dessin, un dessin moderne qui sait nous montrer que les objets et les décors font partie intégrante, eux aussi, de tout ce que nous fûmes, de tout ce dont nous avons rêvé…

Terkel Risbjerg : les décors

Sousbrouillard : Un livre choral extrêmement réussi ! Une sorte aboutie de recueil de nouvelles qui, toutes, mènent vers un même horizon, comme s’il fallait oser partir pour pouvoir revenir.

Sousbrouillard © Dargaud

Les histoires qui se mélangent deviennent le reflet d’une histoire humaine. Et la grande Histoire, majuscule, n’est-elle pas, un définitive, la simple addition de mille et une tranches de vies ?

Jacques Schraûwen

Sousbrouillard (dessin : Terkel Risbjerg – scénario : Anne-Caroline Pandolfo – éditeur : Dargaud – 200 pages – septembre 2021)

Spa-Francorchamps

Les 100 ans d‘un circuit F1 mythique !

Pour cet anniversaire, et malgré le monumental flop de la dernière édition de son grand Prix, Spa-Francorchamps met les petits plats dans les grands, grâce à la Bande dessinée !

© Point Image

Osons le dire, en une époque où une certaine idéologie politique tend à tout faire pour que la voiture devienne un objet de luxe pour nantis (et politiciens…), l’automobile reste un élément majeur de ce qu’a permis le progrès tout au long du vingtième siècle.

Il fut un temps où un slogan s’affichait un peu partout dans nos cités, un slogan qui disait, tout simplement, « ma voiture, c’est ma liberté ».

Et c’est vrai que ce moyen de transport a permis petit à petit à ce que tout un chacun puisse se balader hors des sentiers battus, puisse découvrir, librement et au hasard de ses envies, des paysages, des lieux… La voiture a permis à l’être humain de ne plus être dépendant des circuits tout faits, des voyages organisés, des vacances toujours au même endroit. Cela, tout en offrant la possibilité de découvrir, véritablement, le monde qui nous entoure, loin des clichés…

© Point Image

Oui, la voiture, à sa manière, a élargi les horizons de l’intelligence… Et de l’imaginaire ! Et c’est encore plus vrai lorsqu’on pense à la bande dessinée.

Des Pieds Nickelés à Michel Vaillant, de Leo Loden à Félix, de Franquin à Jidéhem, de Walthery à Paape, de Batman aux Casseurs, de la deux-chevaux au bolide tonitruant, l’automobile a fait et continue à faire quelques belles pages du neuvième art.

© Point Image

C’était donc normal que la Formule 1 se fête aussi avec la bande dessinée !

Et c’est bien le cas avec une exposition qui reste visible, à l’Abbaye de Stavelot, jusqu’en janvier 2022…

https://www.abbayedestavelot.be/fr/news

© Point Image

Bien sûr, ce n’est pas la voiture de Madame et Monsieur Toutlemonde qui se retrouve à l’honneur tout au long des illustrations en grand format qui émaillent cette exposition. Quoique ! Mais l’essentiel, oui, y reste la compétition automobile, avec des dessins en grands formats de quelques dessinateurs qui, dans leur œuvre, ont rendu hommage aux vrombissements de voitures et à leurs pilotes.

© Point Image

Une trentaine d’auteurs nous offrent donc leur vision d’un sport qui continue à attirer en masse des fans de tous les âges.

Une trentaine d’auteurs, et non des moindres, jugez-en…

Philippe Jarbinet y côtoie Jean-Marc Krings, Jean-Luc Delvaux s’y retrouve proche de David P, Stibane et Baudouin Deville y font face à Michel Pierret et à Yves Plateau…Et bien d’autres encore tracent ainsi le portrait dessiné d’une aventure qui dure depuis cent ans, dans un des circuits qui reste considéré comme un des plus beaux qui soient…

© Point Image

Et outre cette exposition, un livre est paru qui ravira tout autant les amateurs de Formule 1 et les amoureux du neuvième art. Ce « carnet de croquis » est paru aux éditions Point Image.

https://www.pointimage.be/carnet-de-croquis/1024-3032-carnet-de-croquis-spa-francorchamps.html#/17-ex_libris-cooper_climax_de_jack_braham_par_olivier_weinberg

Jacques Schraûwen

© Point Image